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Il reviendra le temps des cerises

Il était une fois un jardin abandonné, s’étirant entre deux longs murs de pierres. Mais non, pas tout à fait abandonné car un jeune couple amoureux venait d’acheter la maison. Il y avait tellement à rénover, à peindre, à défricher, à égayer dans ce petit domaine. Mais les fiancés étaient pleins d’enthousiasme et de courage. “Et puis, l’amour donne des ailes !”. Bon-papa, toujours attentif, leur avait offert le premier cadeau de “propriétaires” : quelques minces tiges, quelques feuilles bien vertes, c’était un jeune cerisier fragile. A l’ombre du vieux mur, il l’avait installé, ce premier espoir d’une terre envahie de mauvaises herbes.

Pendant des semaines, des mois, ce fut le grand branle-bas. Et puis, un jour de printemps, les amoureux se sont mariés, entourés de toute la famille. La maison et le jardin, tout rajeunis, étaient de la fête. Ce jour-là, le muguet embaumait. Le jeune cerisier avait déjà grandi et portait avec discrétion ses premières fleurs blanches, comme pour accompagner le bouquet de la mariée.

Les mois, les années passèrent. La maison résonnait de cris et de rires d’enfants. Car Geneviève, Paul, Jean, Pierre étaient nés. Yeux bleus et cheveux blonds, Yeux noirs et cheveux bruns, tout ce petit monde bousculant et débordant de vie envahissait le jardin, piétinant parfois les parterres ou les légumes, mais s’extasiant devant un ver de terre, une coccinelle. L’arbre était devenu solide. Heureusement, car il était parfois victime de bousculades et de coups de ballon.

Au printemps, il réjouissait l’œil de ses branches légères et mouvantes. En été, il régalait les gourmands, car, de ses belles cerises rouges, on préparait des confitures à s’en lécher les doigts, on garnissait de savoureuses tartes… Sans oublier la maman toujours active et prévoyante qui emplissait les bocaux, parsemait de sucre et renfermait soigneusement “tout pour l’hiver” ! Alors, les armoires “éclataient de rire” avec tout ce rouge !

 

Ah oui, il en a connu des fêtes, l’ami cerisier ! Il a vu des baptêmes attendrissants, de grandes tables recouvertes de nappes blanches et de belles vaisselles aux jours des communions. Il a entendu les éclats de rire lors des réunions familiales, les chuchotements des anniversaires. Les cavalcades au bout du sentier, il en a été le témoin. Je suis sûre qu’il a perçu des petits secrets et des chagrins, car ses branches s’aventuraient parfois très bas. Le bel arbre supportait la pluie, le vent, le gel et le repos forcé de l’hiver. Au-delà du mur, il faisait signe.

Un certain mois de novembre, il se rendit compte qu’on l’oubliait un peu. Là-bas, dans la maison, quelque chose se passait : Françoise venait de naître. Trop loin pour partager l’allégresse familiale, il se promit d’être plus éclatant à la belle saison pour accueillir la petite blonde. Il avait alors dix ans. Quand il voyait tout le monde heureux, il “poussait” ses bourgeons de toute la force de sa sève ; il aurait pu vivre ainsi longtemps, longtemps, se réjouir au mariage et à tout ce qui fait la vie d’une famille.

Mais un jour, oui, un vilain jour tout gris, quelque esprit chagrin lui trouva plein de défauts. On trouva que ses branches donnaient trop d’ombre, que ses feuilles pleuraient trop après la pluie, inondant le jardin voisin ! On l’accusa même d’être dérangeant avec ses racines. Tout était contre lui. Il fut menacé. C’était la consternation. Pourquoi ? Il ne faisait de mal à personne. On essaya de le défendre, lui déjà si vieux, qui avait rendu tant de services et régalé tant de bouches. Il avait des circonstances atténuantes ! Pour le prouver, on ouvrit les placards débordant de bocaux et de pots de confiture au chapeau de vichy rouge. On écrivit pour lui une plaidoirie rappelant son âge et ses qualités. Mais en vain : le cerisier n’avait pas d’avocat. Il n’avait pour le défendre qu’une famille chaleureuse. Tout cela, dans la balance, ne pèse pas bien lourd devant les grandes décisions de l’autorité. Les magistrats en robes noires le condamnèrent à subir l’épreuve de la tronçonneuse. On, lui laissa quelques jours, “le temps de s’habituer à ne plus le voir”. Je pense qu’il sentit planer sur lui la fin de sa vie car, cet été-là et pour la première fois, il parut fatigué, recroquevillant ses feuilles.

 

Une tronçonneuse, cela fait trop de bruit. Il s’endormit doucement, sous la scie… Ce que je sais, c’est qu’il n’est pas mort pour rien, car de son bois, on a taillé des bûches qui, pendant l’hiver, ont réchauffé une belle demeure. Au jardin, dans le creux d’une de ses grosses racines, une poule pond son œuf. Je devine aussi que, sous la terre, d’autres racines servent de tremplins aux petits mulots et autres musaraignes.

Et puis, rassurez-vous, amis de la nature : la relève est assurée ! Dans ce grand jardin, à quelque distance de ce qui fut “l’arbre”, un nouveau petit cerisier aux fleurs blanches a trouvé sa place. Je l’ai vu, il rayonne…

Sur l’étagère, les pots restent vides. Mais plus pour longtemps… Il n’est plus là, Bon-papa qui l’avait offert. Mais n’oublions pas qu’en plantant cet arbre, il ne sera pas passé en vain sur terre !

Il reviendra, le temps des cerises…

 

Cécile Tournay

(20 décembre 2001)