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Prendre la plume (4 octobre 2001)

Alcool au volant

Ma fille est morte, il y a un an. Elle avait 27 ans et un petit garçon de 15 mois. Elle a été tuée, par un bel après-midi de juin, en rentrant de son travail. Un chauffard roulant en sens inverse l’a percutée, à plus de 100km/h, alors qu’elle tenait la droite, à vitesse normale, sur une route parfaitement dégagée. L’homme avait 1,75 gr d’alcool dans le sang. Un accident malheureusement banal, dû à la fatalité : ma fille a croisé la route de ce chauffard à la mauvaise heure, à la mauvaise minute…

Si les circonstances sont dues à la fatalité, la responsabilité de cet homme qui conduisait, ont conclu les experts, “en état assez net d’imprégnation alcoolique” et à vitesse excessive, est tout aussi évidente. C’est pourquoi nous, les parents, ainsi que les frère et sœurs, avons déposé plainte. Jamais auparavant je n’avais mesuré la justesse de cette expression : déposer plainte, sa souffrance causée par un mal insoutenable, entre les mains des représentants de la justice, afin qu’ils reconnaissent ce mal injustement subi. La plainte appelle une parole qui dit aussi la responsabilité, qui exige de celui ou celle qui est cause du mal de répondre de ses actes, d’en assumer les conséquences, de réparer lorsque c’est possible. Dans ce non-sens absolu, dans ce chaos que représente la mort d’un enfant - fût-il adulte -, déposer (sa) plainte, c’est demander à la société, à travers ses institutions judiciaires, un geste qui permettra de faire le travail de deuil, sans rester pétrifié dans l’absurdité.

Un an, jour pour jour, après la mort de Babette, le jugement a été rendu au tribunal de police de Dinant. Aucun tort n’a été imputé à ma fille. La prévention de coups et blessures n’a pourtant pas été retenue contre le chauffard. Dans son casier judiciaire, figureront l’excès de vitesse, l’alcoolémie et l’incapacité de maîtriser son véhicule, ayant involontairement entraîné la mort. Le “tarif” ? Trois mois de prison avec sursis, 100.000 FB d’amende avec sursis de 80.000 FB et un retrait de 6 mois de permis de conduire… avec sursis de 5 mois. Lorsqu’il aura passé son mois de vacances, ce monsieur pourra donc reprendre la route – on ne le lui avait d’ailleurs jamais interdit depuis l’accident ! Malgré notre insistance, le parquet a refusé de faire appel de ce jugement.

Enseignante, je n’ai pas attendu le Décret-Missions pour inviter mes élèves à une réflexion et à des attitudes de citoyenneté démocratique. Aujourd’hui, je ne sais plus ce que je ferais. Comment parler d’une justice équitable, d’une justice à l’écoute des victimes lorsque la responsabilité d’avoir fauché la vie d’une jeune maman est estimée à 20.000FB et un mois de retrait de permis ? Qui expliquera cela à son petit garçon, lorsqu’à son tour il questionnera ? Insidieuses, des questions me taraudent, moi aussi : si, au lieu d’être officier de justice, ce chauffard avait été chômeur, s’il avait porté un nom exotique, si au lieu de l’alcool, il avait été surpris avec du haschisch… Le jugement aurait-il été identique ? Je voudrais sincèrement le penser, mais le doute, ce poison insistant, vient alourdir encore le deuil.

Jamais, depuis un an, je n’ai crié vengeance et je ne le ferai pas. La vengeance ne résout rien, elle détruit ceux qui l’appellent. Déposer plainte, ce n’est pas demander vengeance, mais demander à la société de dire à ses membres qu’il est des actes gravissimes – le texte du jugement utilise d’ailleurs ces termes. C’est aussi, me semble-t-il, sanctionner ses membres reconnus fautifs de manière à ce qu’ils puissent prendre conscience du mal qu’ils ont commis et si possible, s’amender.

Jamais ce chauffard n’a exprimé un mot de regret ni d’excuse. Jamais il ne nous a même regardé, se tenant obstinément le dos tourné. Aucun avocat, aucun magistrat ne l’a même invité à faire ce geste de simple humanité, si pénible soit-il. Je n’enferme pourtant pas cet homme dans sa faute et j’espère, vraiment, que se sera pour lui l’occasion de devenir meilleur. Je resterai sans doute une mère définitivement amputée. Mais en tant que citoyenne, j’ai mal et honte à la Justice de mon pays. Pour Noé, orphelin de sa maman et pour toutes les autres victimes, la Justice sera crédible lorsqu’elle dira que la responsabilité, cette exigence de répondre de ses actes, est autre chose qu’un slogan dont on s’acquitte à vil prix.

M.T., Nivelles