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Prendre la plume (18 décembre 2003)

 

 

24 décembre, 218 rue du Parc

Le front posé contre la vitre, il regardait la rue à ses pieds, la façade rose de l’immeuble en face, le soleil se couchant dans un ciel de coton. Un jour comme les autres. Noël est un jour comme les autres. Et le soir du réveillon, un soir comme les autres. Il l’a dit et répété à ses collègues, à ses amis: pour lui, Noël est un jour comme les autres. C’est peut-être différent quand on a une famille, des enfants, le sapin, les cadeaux, tout ça… Dans une semaine, ce sera le Nouvel An, et là, super soirée avec les potes, sur une péniche, à Londres. Il y aura Héléna, la blonde hyper-sexy qui l’avait branché, l’autre soir, au Fool Moon. Mais Noël... un mauvais moment à passer, comme une grosse grippe. Il y a bien Chantal, sa sœur, qui a laissé un message disant qu’ils étaient à la maison, qu’ils ne faisaient rien de spécial et qu’il était le bienvenu, mais franchement, la campagne, les mioches et la messe de minuit, c’est pas trop son truc… En fait, ça fait longtemps qu’il ne les a plus vus, les enfants; Lucas doit avoir drôlement grandi...

Un taxi s’arrêta juste en face de l’immeuble, un immense sapin attaché sur le toit. Le chauffeur détacha le sapin du fixe au toit et le laissa glisser sur son épaule, la vieille du quatrième soutenant la pointe, comme si ça pouvait l'aider.

Dans sa chambre, le jeune homme attrapa un gros pull de laine et un tee-shirt pour la nuit, tassa le tout dans son sac de voyage et claqua la porte derrière lui. Il appellerait sa sœur Chantal de la gare, pour lui dire à quelle heure il arriverait…

 

Passer la porte d’entrée ne fut pas vraiment un problème pour la veille dame. Il faut dire que le chauffeur de taxi lui avait gentiment déposé le sapin en haut des marches, et tenu le battant pendant qu’elle le poussait dans le hall. Restait à le monter au quatrième. Impossible de le porter dans les escaliers, le sapin était trois fois gros comme elle. Quelle idée, aussi, de faire un sapin malgré tout. C’est la première fois qu’elle en achetait un elle-même. C’était toujours son frère qui s’occupait de ça. Le premier Noël sans lui. Elle poussa sur le bouton d’appel de l’ascenseur, sachant pertinemment qu’il lui serait impossible de caser l’arbre dans la cabine minuscule. Toutes ces choses dont il fallait à présent s’occuper... Elle prenait peu à peu conscience de tout ce qu’il avait fait pour elle, des années durant, pour simplifier et embellir sa vie, sans même qu’elle pense à le remarquer... Il avait toujours été là, grand frère, chevalier servant, majordome. Et lorsqu’il avait eu besoin d’elle, ces derniers mois, c’est distraitement qu’elle lui avait tenu la main, quelques heures, en fin d’après-midi.

La cabine s’arrêta devant elle avec un léger rebond et les portes grillagées s’ouvrirent en grinçant. Le jeune homme du troisième se tenait là, élégant, comme toujours. Il déposa son léger bagage sur le tapis brosse et, spontanément, enlaça le sapin, sans une pensée pour les poils de chameau délicats de son manteau et les aiguilles persistantes du sapin…

 

Le gamin grimpa les quelques marches du perron, le bonnet de travers et les lacets défaits. La clé se trouvait dans sa poche droite, sous un mouchoir crasseux, la liste de courses chiffonnée et la monnaie rendue. Il l’attrapa de sa grosse moufle verte et entraîna dans son geste le mouchoir et un billet de 10 euros. Le plus simple serait de tout poser par terre, pour ouvrir la porte et ramasser l’argent. Mais les sacs s’emmêlaient dans sa main gauche, et il savait que, immanquablement, la moitié des courses dégringolerait les quelques marches. Il passa nerveusement d’un pied sur l’autre et, d’un geste expert, remis en place son bonnet de laine tout en frictionnant son crâne. Sa mère adorait lui tricoter des bonnets. Et des moufles aussi. Elle disait qu’un peu d’amour lui glissait entre les doigts et restait accroché dans les mailles. Le problème, c’est que ça grattait affreusement, ces bonnets, et ce n’était pas franchement discret. Il préférerait mettre des casquettes, avec la visière sur la nuque, mais sa mère disait que ce genre de chose ne tenait chaud qu’à la tête et pas du tout au cœur. Allez expliquer ça aux copains...

Il rapportait une quiche, toute prête, qu’il glisserait au four, juste avant le grand film. Le minuscule gâteau en forme de bûche, ce serait pour après, s’il ne dormait pas déjà, ou si maman n’avait pas une des ses migraines…

 

Il restait au concierge à distribuer le courrier dans les étages, passer une dernière fois le torchon dans le hall d’entrée et il pourrait commencer à se préparer. Il allait mettre son bon costume. Pas avec une chemise blanche, ce serait trop, mais avec la bleue, à fines rayures grises. Sa parka verte jurerait un peu, mais pour aller jusqu’à l’église, il faudrait bien ça. Ce sera la première fois qu’il ira à l’Amicale pour le réveillon. Avant, il trouvait ça trop déprimant, tous ces esseulés, autour d’une dinde aux marrons en boîte. Et puis, c’est Marcel avec qui il fait encore bien un whist, le dimanche, au café des Sports, qui lui en a parlé. Il n’y a pas que des gens seuls et des vieux, il paraît, il y a des jeunes aussi, et pas seulement pour servir ou faire la vaisselle. L’an dernier, il y avait même un gars qui jouait de l’accordéon, et ils ont dansé jusqu’à passé trois heures. Ça fait longtemps qu’il n’a plus dansé. La dernière fois, c’était au mariage du fils de sa sœur, Marthe, l’aînée. Elle est morte, maintenant, ça va faire quatre ans en mars, et le gamin a divorcé.

Il posa son seau d’eau tiède devant les boîtes à lettres. Sur le tapis brosse de l’entrée, un sac de voyage brun. Derrière la porte, déformé par les biseaux des vitrages et sous son bonnet ridicule, le gamin du second se battait avec des sacs du Delhaize. Quelques aiguilles de sapin parsemaient les premières marches de l’escalier…

Finalement le séjour en famille à la campagne révéla des charmes insoupçonnés. Le jeune homme décida même de le prolonger quelque peu, un concours de bonhomme de neige étant prévu pour les jours suivants.

Au quatrième, la vieille dame prit un bain, long et parfumé, en écoutant enfin ce disque de Bach reçu il y a quelques mois pour son anniversaire. Vers 22 h, une voix plutôt jeune demanda à parler à son frère au téléphone. Découvrir ainsi une inconnue dans la vie si bien rangée de Jean la déconcerta quelque peu, mais, bizarrement, la réconforta aussi. Le sapin, installé dans le coin du salon près de la fenêtre, resta sans décoration.

Pendant que la quiche chauffait dans le four, une partie de Cluedo s’organisa au second.

Il semblerait que le Colonel Moutarde eut été assassiné avec un chandelier par une certaine Mademoiselle Rose, et que personne ne tricha pour laisser gagner le gamin. Vers 23 h, sa mère le porta au lit, et déposa un paquet sur sa table de nuit. Il contiendrait une casquette. En polar, avec des rabats pour les oreilles.

A l’Amicale, un karaoké spécial Jo Dassin permit de découvrir quelques talents. Le concierge dansa jusque 2h, surtout avec Jacqueline, cousine par alliance de Marcel. Il serait question qu'ils se revoient au Nouvel An.

Linda Léonard

 

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