ès que j’ai appris à lire, je suis entrée avec ravissement dans cette étrange confrérie des lecteurs invétérés, déchiffrant tout ce qui me tombait sous les yeux. Passion jamais démentie. Aujourd’hui, je collectionne les reproductions de tableaux présentant un lecteur, une liseuse et toujours me requièrent les visages clos sur leur plaisir attentif", confiait Colette Nys-Mazure dans son livre intitulé «Célébration du quotidien»
(1).
Aujourd’hui, avec «Célébration de la lecture», elle partage avec ses lecteurs quelques-unes de ces reproductions et des émotions qu’elles suscitent en elle dans un beau livre publié par la Renaissance du Livre. Colette Nys a sélectionné 74 tableaux (ou détails de tableaux) dans sa collection privée et, en vis-à-vis de la reproduction, commente brièvement chacun d’eux. Sa démarche est donc toute différente de celle de Jacqueline Kelen: tandis que celle-ci invite à une longue méditation, un essai (voir ci-dessus), Colette Nys propose, selon ses propres termes, des «éclats en tous sens».
De Rembrandt à Fantin-Latour en passant par Vermeer, Berthe Morisot, Chirico, Manet, Vallotton, Goya, Léger, Picasso, Signac, Fuller, Ferenczy et tant d’autres, Colette Nys se penche sur tous ces lecteurs, célèbres ou inconnus, «solitaires dans un jardin ou sur une marche d’escalier, entre les érudits d’une bibliothèque, à une terrasse de café; visages tendus vers le journal, la lettre tragique ou éclairés du dedans par le livre fabuleux, le billet d’amour». Colette Nys souligne que les visages des lecteurs ainsi représentés ne sont «jamais vides ni veules». Elle les regarde avec la complicité qui se tisse entre lecteurs impénitents. Elle les décrit avec tendresse, leur imagine une vie, s’interroge… Son propos va «du coup de foudre ou de l’anecdote à l’étude serrée, au déchiffrement minutieux».
Le lecteur-spectateur suit cette guide passionnée qui explique: «Entre le tableau et le livre, le lien est étroit: la surface de la page, de la toile, sa pâleur, son étendue à peupler, son mystère à dévoiler». Il lit deux fois: le tableau du peintre et la «lecture» qu’en fait l’écrivain. Il confronte son regard et ses émotions au regard qui lui est offert, aux émotions qui lui sont dévoilées. Il entre en résonance ou, parfois, en opposition et se prend à son tour à se raconter le tableau qu’il regarde.
La promenade, commencée avec la description de tableaux détruits, s’achève sur le beau tableau d’une table vide, dans un jardin. Lecteur ou liseuse ont disparu, emporté le livre… Reste à les imaginer, à s’imaginer peut -être, lisant dans le jardin épanoui. Célébration de l’imaginaire…
AMP
(1) Colette Nys-Mazure, «Célébration du quotidien», Desclée de Brouwer, 1997.
