Instants en équilibre
(5 septembre 2013)
Quinzaine après quinzaine, Christophe André, psychiatre français, livre dans
En Marche une vingtaine d’histoires et leurs enseignements, comme autant de leçons de sagesse, au plus près du quotidien, pour avancer sur le chemin de l’équilibre intérieur et de la sérénité.
La photographie est de Thomas Dos Santos, étudiant en photographie à l’école des arts et de l’image, Le 75. Elle a été réalisée à la demande du journal
En Marche, avec le soutien de la Loterie nationale.
Éveils
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© Thomas Dos Santos - Le 75 Cliquez sur la photographie pour l'agrandir |
Un jour de septembre, une feuille de platane qui tombe avec une grâce inexorable, dans un tourbillon
irrégulier mais harmonieux. Elle est morte. Tu t’arrêtes pour observer sa chute. Elle passe
devant ton nez, frôle ton cœur et tombe juste dans tes deux mains, qui se sont ouvertes toutes
seules. Au lieu de la repousser, de la jeter et de passer ton chemin, tu t’arrêtes, tu l’examines, tu
respires un peu plus fort.
Tu te sens complètement vivant, alors qu’il y a un instant, tu n’étais qu’un automate qui marchait
en pensant à sa journée de boulot. Pourquoi es-tu ainsi doucement arraché à tes pensées
par une feuille ? Pourquoi es-tu touché et bouleversé ? Pourquoi ce sentiment d’harmonie, cette
impression que tout est en place. Plus tard un ami te dira que tu aurais aussi pu y voir un sale
présage, dans cette feuille morte : celui de la mort de ce qui vit, celui de la fragilité périssable de
toutes les existences, dont la tienne. Mais non, c’est presque le contraire. La feuille qui tombait te
donnait un sentiment d’éternité de toutes choses.
Ils sont si importants, ces instants où tu sors du cadre, où tu quittes, doucement ou brutalement,
les automatismes et habitudes où tu étais engagé. Tu quittes le chemin de ce qui était prévu : ce
sont les expériences d’éveil. Tu étais endormi ou assoupi par le ronron du prévisible ou de l’habituel.
En réalité tu étais absent à toi-même et à ta vie. Et te voilà arraché à cette rassurante et prévisible
monotonie. Te voilà dans cet « état de bouleversement calme » dont parle le poète Christian Bobin. N’oublie jamais cet instant, n’oublie jamais de cultiver cette réceptivité, d’être présent
à ton existence, au lieu de ruminer le passé ou le futur, de vouloir être ailleurs ou autrement,
pendant que ta vie s’écoule et que les grâces te passent sous les yeux.
EXTRAIT DE L’OUVRAGE “SÉRÉNITÉ. 25 HISTOIRES D’ÉQUILIBRE INTÉRIEUR”/
CHRISTOPHE ANDRÉ / ÉD. ODILE JACOB / 2012
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