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Exposition  (6 juin 2013)

La prostitution mise à nu

© Frédéric Pauwels

Frédéric Pauwels affiche la prostitution en grand et en couleurs au Musée de la Photographie. Il déshabille le plus vieux métier du monde de sa robe de stéréotypes. Le photographe entend provoquer le débat, particulièrement nécessaire à Charleroi depuis la délocalisation des filles de joie.

L’envers du décor. C’est le titre de l’exposition. Il annonce d’entrée au spectateur qu’il y verra autre chose que le communément imaginé lorsqu’on traite ce sujet ‘on-ne-peut-plus- tabou’. Les clichés du photographe se distancient en effet des clichés sociétaux.

Le décor, c’est le fard à paupières, la tenue affriolante et la vitrine. Les images suggèrent avec finesse l’univers propre à chaque femme. Ici, c’est un avant-plan sur des mains croisées, une bague à chaque majeur, de longs ongles rouges et une montre sertie de brillants au poignet. Là, c’est une plongée sur des talons rouges. Entre les pieds, une ombre est projetée au sol : celle d’un homme, sans doute, dans l’entrebâillement d’une porte.

Pour avoir, lui aussi, passé ces portes, Frédéric Pauwels révèle les femmes, les mères parfois, qui se cachent derrière ces maquillages et qui, chacune, donnent un sens différent à leur métier. Pour certaines, la prostitution est une stratégie de survie. Pour d’autres, c’est un travail social qui soulage comme il peut la misère affective dont souffrent des ‘patients’ – et non des clients. Le message saute aux yeux : la prostitution n’est pas noire ou blanche. Elle est grise…

… comme Charleroi

Le décor, c’est aussi la cité du Pays noir et ses coins les plus lugubres. Depuis l’été 2011 et la décision prise par le conseil communal d’effacer la prostitution de la Ville Basse pour rénover le quartier, les femmes sont délocalisées à la rue des Rivages. Description des lieux en quelques mots : sous le ring, en bord de Sambre, peu d’éclairage, toxicomanie, risque élevé d’agressions… Objectif des décideurs locaux : isoler la prostitution pour changer l’image de Charleroi.

Frédéric Pauwels observe et illustre les conséquences de ces choix politiques. La misère des lieux tient en une image : une paire de jambes fines au bout desquelles sont chaussés des talons noirs. L’attente du client se fait sur un tarmac défoncé laissant apparaître des pavés posés à une autre époque. Entre cigarettes et gravats, l’esquisse d’une femme émerge d’une flaque boueuse.

Expression de femmes

Esseulées dans le milieu urbain, déconsidérées par la société, dépourvues de statut et soumises à une législation indécise, les prostituées sont plongées dans un No Man’s Land administratif. C’est pourquoi l’association Espace P… milite pour faire reconnaître les droits de ces femmes, leur offrir un cadre légal de protection et sensibiliser l’opinion publique et les responsables politiques sur ces enjeux qui les concernent. Les propos du photojournaliste rejoignent cette perspective.

Une collaboration avec Espace P… permet dès lors aux femmes desquelles Frédéric Pauwels a acquis la confiance de s’exprimer sur leur rapport à la prostitution. En parallèle aux images, les plus hardies prennent la parole dans un carnet distribué aux visiteurs. Parmi une dizaine de témoignages, celui de Valérie : “J’entends systématiquement associer à la prostitution traite des êtres humains, toxicomanie… J’ai du mal à supporter ces généralités qui usent beaucoup plus les prostituées que l’activité elle-même”. Images et témoignages amènent les visiteurs à porter un autre regard sur la prostitution. Peut-être un rien bienveillant. Un chouïa empathique. Et Gaëlle, une autre participante, de les encourager à réfléchir à sa proposition : “La vraie question n’est pas ‘Où est notre place?’ mais plutôt ‘Pourquoi c’est notre place?’”.

Le courant de la photographie humaniste consacre l’humain à travers ses joies simples, ses difficultés et ses injustices. Frédéric Pauwels, en nous livrant un travail esthétique et politique sur un sujet sensible, prouve qu’il en est un digne héritier.

// MATTHIEU CORNÉLIS

Frédéric Pauwels : “Le rôle du photographe est d’être arbitre”

© Matthieu Cornélis
En Marche : Vous avez côtoyé des femmes prostituées pendant quelques années. C’était difficile d’obtenir leur confiance pour participer à un tel projet?

Frédéric Pauwels : J’ai commencé ce travail à Bruxelles en 2006. Pendant des mois, je me suis promené dans le quartier jusqu’à ce que les femmes me prennent pour un voisin. A ce moment, les choses se sont un peu débloquées. On parlait un peu, je posais des questions… C’est important de poser les bonnes questions et pas celles qui dérangent. Ça m’a permis de traiter le sujet en profondeur. Presque 90% de mon temps consistait à prendre des contacts. Le reste seulement était du temps de prise de vues.

EM : Est-ce que votre regard sur cette “activité” a changé?

FP : Avant de commencer ce reportage, je pensais que la prostitution c’était la traite des femmes sous l’emprise des hommes… Il y en a, bien sûr, mais il y a aussi et surtout des femmes qui ont posé ce choix en âme et conscience et… pas seulement pour la sexualité ! Certains hommes viennent pour parler, se décharger d’émotions…

EM : Votre objectif est-il de changer le regard de la société sur la prostitution?

FP : Le rôle du photographe est d’être arbitre. Je demande aux habitants ce qu’ils pensent des prostituées. J’interroge ensuite les femmes sur leur entente avec le voisinage…

EM : Mais vous avez un point de vue? Faut-il la réglementer, l’“hygiéniser”, la bannir?

FP : Je ne suis pas un défenseur de la prostitution. Je suis toutefois convaincu que la société doit pouvoir offrir un statut à ces personnes. Vous savez… une femme me racontait avoir écrit ouvrière agricole dans sa déclaration d’impôts parce que l’administration considère que le plus vieux métier du monde n’en est pas un. C’est aberrant ! Les femmes louent des vitrines à prix d’or et les communes perçoivent des taxes sur une profession qu’elles ne peuvent pas revendiquer sur leur déclaration. C’est le monde à l’envers. Sans compter que l’environnement de travail peut être potentiellement dangereux. Ces éléments, parmi d’autres, font dire aux prostituées qu’il s’agit de non-respect. Selon moi, c’est de la non-assistance à personne en danger.

// Entretien : MaC

>> L’envers du décor, exposition de Frédéric Pauwels • Musée de la photographie de Charleroi, 11 av. Paul Pastur à 6032 Charleroi (Mont-sur-Marchienne) • Jusqu’au 22 septembre • Tous les jours de 10 à 18h – Fermé les lundi • Entrée : 6 EUR (3 EUR pour les étudiants, 4 EUR pour les seniors…) • Infos : 071/43.58.10. - www.museephoto.be

A voir également au Musée de la photographie, jusqu’au 22 septembre :

>> Charleroi, exposition de Jens Olof Lasthein
Une quarantaine de photos panoramiques en couleur, réalisées par le photographe suédois à la demande du Musée. Elles illustrent des scènes de la vie de tous les jours à Charleroi et ses environs. Elles témoignent du quotidien dans la cité carolorégienne.

>> Les études de Monsieur Gaspar, exposition d’anciennes photographies
Œuvres de Charles Gaspar, photographe amateur belge du XIXème siècle, une trentaine de clichés sont sortis des réserves. Ils témoignent d’un travail recherché et patient sur la composition, la lumière et la pose.


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