Cinéma (18
septembre 2008)
Valse
avec Bachir
L’Israélien Ari Folman extirpe ses souvenirs de la guerre du Liban dans
un audacieux documentaire d’animation.
On
peu dire que ça commence très fort. Des chiens aux yeux jaunes se
rassemblent en meute et traversent la ville sous un ciel ocre, semant la
panique sur leur passage. Ils s’arrêtent soudain devant un immeuble et,
un homme apeuré apparaît à la fenêtre.
Scène suivante, deux
hommes parlent dans un café, au milieu de la nuit. L’un raconte que,
lors de la première invasion du Liban par Israël en 1982, sa mission
consistait à tuer les chiens dès l’entrée des troupes dans un village
pour qu’ils ne préviennent pas la population par leurs aboiements. Ils
faisaient tous deux parties de la troupe qui encerclait les camps
palestiniens de Sabra et Chatila, où les phalangistes chrétiens, alliés
des Israéliens, massacrèrent les civils par centaines pour venger
l’assassinat de leur chef, Bachir Gemayel. L’autre, Ari, ne se souvient
pas. Pourtant, il était là lui aussi, il le sait, mais il ne se souvient
de rien. Intrigué par cette absence totale de souvenir, Ari décide de
retrouver ses anciens compagnons, et de par leurs récits, de
circonscrire sa place, et son rôle pendant cette guerre.
Si “Valse avec
Bachir” est un film d’animation, il est, on l’aura compris, de cette
vague qui propulsa le film Persépolis de Marjane Satrapi au palmarès du
Festival de Cannes l’an dernier. Du chef même de son réalisateur Ari
Folman, il s’agit plutôt d’un “documentaire d’animation”, basé sur ses
propres souvenirs, le choix, plutôt osé, du cinéma d’animation renvoyant
à un souci d’exemplarité. “L’idée du film me travaillait depuis
plusieurs années, explique-t-il, mais le tourner en images réelles ne me
convenait pas. Cela aurait donné une quarantaine d’interviews sur fond
noir, racontant des histoires vieilles de 25 ans, sans aucune image
d’archive s pour illustrer le propos. Alors l’animation m’est apparue
comme la solution, avec sa part d’imaginaire. La guerre est tellement
irréelle, et la mémoire retorse…”.
Par un récit tantôt
onirique, tantôt réaliste, Forman interroge cette étrange faculté de
l’être humain d’enfouir au plus profond de lui-même les pires
traumatismes de son existence. Mais il évoque aussi la peur et la
culpabilité des rescapés, et leur hantise d’être devenus à leur tour des
bourreaux. “Je pense que des milliers de soldats israéliens ont
enfoui leurs souvenirs très profondément. Ils pourraient vivre ainsi le
reste de leur vie, mais cela peut aussi exploser un jour, causant on ne
peut savoir quels dommages”, explique le réalisateur. Un film d’une
grande puissance, et d’une immense force d’évocation, jusqu’au retour à
la réalité brutale des dernières images.
Linda Léonard
“Valse avec Bachir”,
écrit et réalisé par Ari Folman. Directeur d’animation: Yoni Goodman.
Animé par Bridgit Folman Film Gang. 1h30.
Une adaptation en roman graphique sortira le 15 janvier 2009 chez
Casterman.
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