Cinéma (
21 octobre 2010)
Un homme qui crie
Un récit
sombre, à la fois simple et tragique, non pas sur la guerre et ceux qui la
font, mais sur ceux qui la subissent et voient leur destin leur échapper.
Adam,
ancien champion de natation d'Afrique centrale,
gagne sa vie comme maître-nageur au bord de la piscine d’un hôtel de luxe à
N’Djamena. La belle soixantaine, tout le monde l'appelle Champion. Il a une
femme qui l'aime et un fils, Abdel, qui l'aide dans sa tâche. Son travail,
c'est toute sa vie, et la guerre civile qui ravage le pays, les forces
rebelles qui menacent le pouvoir ne sont pour lui qu'un bruit de fond à la
radio. Quand des repreneurs chinois rachètent l'hôtel, Adam est contraint de
laisser la place à son fils. Tout ce qu'on lui propose, c'est un boulot de
garde-barrière. De plus, le Gouvernement fait appel à la population pour un
“effort de guerre” exigeant d'eux, soit de l'argent, soit un enfant en âge
de combattre. Adam est alors harcelé par son chef de quartier. Mais il n'a
pas d'argent, il n'a que son fils…
Cet homme qui crie fait
penser à Job, ce sage de l'Ancien Testament, que Dieu accable de tous les
maux mais qui, lui, et contrairement à Adam, ne remet jamais sa foi en
cause. “Les questions religieuses m’ont toujours taraudé”, explique
le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun, “car je pense que les
religions sont à la source de tout. Outre Job, il y a aussi, dans l’Islam,
l’histoire d’Ibrahim – Abraham – auquel Adam peut faire penser: Ibrahim veut
sacrifier son fils, mais Dieu sauve le fils au dernier moment. Mais pour
Adam, les choses sont différentes. Il ne croit pas en une intervention
divine. D’où son amertume, lorsqu’il dit à sa femme: ‘Il n’y a rien à
espérer du ciel’. Je voulais ramener ces récits mythologiques à une réalité
beaucoup plus actuelle et concrète, ajoute-t-il, car en Afrique, de manière
métaphorique, ceux que l’on considère comme des ‘pères’ – les dirigeants
politiques – n’hésitent pas à sacrifier leurs ‘enfants’ – autrement dit,
leur peuple.”
“Un homme qui crie”
est un film tendu, linéaire, avec de longs plans séquences qui
soulignent la lenteur du temps, et une trame sèche, simple et cruelle. Son
titre fait référence au très beau poème d'Aimé Césaire, extrait de son
Cahier d'un retour au pays natal(1), qu'il faut lire ou
relire : “Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de
vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est
pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un
homme qui crie n'est pas un ours qui danse...”
// Linda Léonard
(1) “Cahier d'un retour au pays natal” Aimé Césaire,
Présence Africaine, réédité en 2000.
>>
Un homme qui
crie,
du
réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun. Avec Oussouf Djaoro, Diouc Koma,
Emil Abossolo M’Bo, Hadjé Fatimé N'Goua. 92'
|