Cinéma
- 21 janvier 2010
Rien de
personnel
Dans son
premier long-métrage, Mathias Gokalp, propose une mise en abyme cruelle et
édifiante du monde du travail.
La
société pharmaceutique Muller organise une réception en grandes pompes pour
le lancement de son nouveau produit. Champagne et petits-fours sont offerts
à tous les collaborateurs et leur conjoint dans un beau château loué pour
l’occasion. En cours de soirée, un petit jeu de rôle est mis en place et des
coachs se glissent parmi les invités pour « tester les potentiels ». Mais
Bruno Couffe (Jean-Pierre Daroussin), chef de production en fin de période
d’essai, testé par une jeune louve aux dents longues, craque et avale des
morceaux de verre devant un délégué syndical compatissant mais dépassé…
Découpé en trois
parties, le film de Mathias Gokalp commence mal : les comédiens surjouent,
Daroussin est lamentable et la mise en scène lourdingue. Et puis tout
recommence dans la deuxième partie : on revoit la même scène, mais d’un
point de vue légèrement différent. Bruno Couffe, le cadre au bord de la
crise de nerf, est en fait un comédien et c’est la jeune louve qui se
retrouve testée et manipulée. Lorsqu’une rumeur de rachat de la société se
met à courir dans l’assemblée, le petit jeu de rôle vire au sauve-qui-peut.
Car qui dit rachat, dit dégraissage.
Troisième
partie : toujours la même scène sous un troisième point de vue : le
syndicaliste n’est pas exactement celui que nous croyions. Le patron non
plus, d’ailleurs, ainsi que le personnel du château. Bref, peu à peu, les
pièces du puzzle se mettent en place et, se dessine alors une réalité
différente, complexe et bien plus sombre.
Le parti-pris du
réalisateur Mathias Gokalp est audacieux : unité de temps et de lieux,
narration en abyme. Mais rien n’est de pure forme ; le film porte une lourde
charge sociale : «J’avais envie de remettre en question ces principes de
subjectivité, explique le réalisateur, parce que c’est elle qui sert à
justifier la souffrance des individus dans une société, leur incapacité à
s’intégrer, etc. Dans «Rien de personnel», les personnages s’attribuent les
uns les autres les causes de leurs malheurs, mais en réalité les places sont
interchangeables et le malheur ne vient pas de l’individu, mais du système
dans lequel il évolue.»
Dans ce jeu
cruel subsiste toutefois un peu d’humanité. Un personnage, pareil à lui-même
quel que soit le point de vue, incapable de porter le masque, un ouvrier
campé par Bouli Lanners, nous rappelle qu’on peut toujours dire non.
// Linda Léonard
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Rien de personnel
• de Mathias Gokalp • avec Jean-Pierre Darroussin , Denis Podalydès,
Mélanie Doutey, Pascal Greggory, Bouli Lanners, Zabou Breitman • 1h31.
Mr. Nobody
Avec des si,
on mettrait Paris en bouteille. C’est un peu ce que Jaco Van Dormael,
réalisateur belge de Toto le Héros et Le huitième jour, tente de faire dans
son nouveau film, Mr. Nobody. Il a vu grand : il s’attaque à une multitude
d’histoires qui s’enchevêtrent pendant plus de deux heures.
Les
histoires que nous raconte ce film sont celles de Nemo Nobody, confronté à
un choix cornélien à l’âge de 8 ans, suite à la séparation de ses parents:
quitter Chance, sa ville natale, pour partir vivre avec sa mère ou y rester
avec son père. L’un ou l’autre choix entraînera des conséquences importantes
sur le reste de sa vie. Mais toutes les possibilités sont intéressantes !
Tant qu’il ne choisit pas, tout reste possible…
En 2092, alors
âgé de 118 ans, il revient sur les multiples facettes qu’aurait pris son
histoire personnelle en fonction de ses choix. Il est désormais le héros
d’un reality-show. Les téléspectateurs peuvent le suivre en direct : c’est
le dernier mortel sur terre qui s’éteint de vieillesse.
Complètement
surréaliste, le film plonge le spectateur tantôt dans un décor futuriste
digne d’une œuvre de science-fiction, tantôt dans une ambiance familiale,
colorée et enfantine qui rappelle celle de Toto le Héros. Des couleurs
éclatantes, de grands tubes musicaux, des techniques particulières de
caméra… sont associés à chaque ambiance et rendent ce film esthétiquement
beau. Jaco Van Dormael a travaillé de manière minutieuse. Pas étonnant qu’il
ait disparu des salles de cinéma pendant plus de dix ans. Et pour ce retour
sur le devant de la scène, il s’offre de belles têtes d’affiche étrangères,
comme Jared Leto (Requiem for a dream) qui incarne Nemo, Diane Kruger
(Inglourious Basterds) ou encore Linh-Dan Pham (De battre mon cœur
s’est arrêté). Sans oublier l’apparition brève et attendue de son
protégé belge, Pascal Duquenne. Chaque personnage est associé à une partie
de la vie de Nemo. Malheureusement, les nombreux allers-retours entre les
différents personnages et scènes perdent le spectateur dans les méandres de
Mr. Nobody.
Le très bon jeu
des acteurs fait un peu oublier l’absurdité et l’incohérence des histoires.
Le réalisateur a de bonnes idées mais la complexité à les suivre et la
longueur du film déforcent ces amorces intéressantes. Le spectateur est,
certes, tenu en haleine jusqu’à la fin du long métrage mais comprend peu
(voire pas) où Jaco Van Dormael veut emmener Nemo, son personnage principal.
// Virginie Tiberghien
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Mr. Nobody
• de Jaco Van Dormael • Avec Jared Leto, Diane Kruger, Linh-Dan Pham, Sarah
Polley • 2h17.
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