Cinéma (
1er septembre 2011)
Melancholia, le “No future” de Lars von Trier
Un mariage qui tourne court en quelques heures, une planète qui menace
d’exploser. Telle est la trame du dernier film de Lars von Trier, chef
d’œuvre de lumière et de noirceur.
Il
serait dommage de ne retenir de “Melancholia” que la pitoyable prestation de
son réalisateur, se disant “nazi” devant un parterre de
journalistes ébahis lors du dernier festival de Cannes. A la lecture
complète de ses propos de mai dernier, on réalise pourtant que le Danois
s’est moins livré à un quelconque aveu de sympathie pour le régime hitlérien
qu’à une stupide provocation ou, plus probablement, à un salmigondis
d’affirmations vagues, reflet d’une forme de confusion mentale ou à tout le
moins d’inconscience. Cet épisode lamentable ne devrait pas faire oublier le
choc provoqué chez le spectateur par ce petit chef d’œuvre d’esthétisme,
invitant à la réflexion sur la comédie et la fragilité humaines.
Melancholia est d’abord l’histoire d’un mariage qui tourne mal. Michael et
Justine (Kirsten Dunst, prix d’interprétation féminine à Cannes 2011)
unissent leur destin. Les mariés sont beaux et radieux. Malgré
l’embourbement de leur limousine dans un sentier de campagne avant de
rejoindre les invités, la fête s’annonce somptueuse. Mais quelque chose ne
tourne pas rond. Frôlant les corps et les visages de cette assemblée très
chic, la caméra s’attarde sur un froncement de sourcil, un regard oblique,
un sourire qui se crispe, une allusion mystérieuse, une parole à double
sens… A peine perceptibles, ces détails créent le malaise chez le
spectateur, déjà prévenu par un prologue hors normes qu’il ne sera pas
laissé au repos bien longtemps. Ils accouchent ensuite d’une tragédie où se
mêlent éthylisme, règlements de comptes, lâchetés parentales et
personnalités caractérielles. Pas une seule fausse note des comédiens dans
cette descente aux enfers où apparaît l’autre explication de ce mariage
pulvérisé sur fond de bassesse humaine: la maladie de la mariée.
La deuxième partie du film peut alors s’entamer. Le gâchis de la fête
nuptiale sert de tremplin à la mise en scène d’une autre forme de perdition
absolue: l’apocalypse. Celle-ci prend la forme d’une rencontre inexorable
entre la Terre et une mystérieuse planète qui semble ne pas pouvoir
l’éviter. Face aux signaux de la catastrophe imminente, Justine, sa sœur
Claire (interprétée par Charlotte Gainsbourg) et son beau-frère (Kiefer
Sutherland) s’attachent comme ils peuvent à la vie, nient l’inévitable ou
s’apprêtent au pire. Le film est glaçant, car il emmène le spectateur au
bord du gouffre de la dépression vécue par Justine, sa protagoniste
principale. Glaçant, aussi, car il invite à s’interroger sur la lucidité
dont seraient pourvus, peut-être, les grands mélancoliques face à
l’inexorable. Une arme à double tranchant.
//Ph.L.
>> Melancholia •
de Lars von Trier •
avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Charlotte Rampling, John
Hurt, Kiefer Sutherland •
2 h 10 min.
Habemus
papam
Rome. Place Saint Pierre. Le protodiacre s’avance sur le balcon de la loge
des Bénédictions. Il s’apprête à dévoiler
le nom du nouveau Pape. Mais derrière lui, l’élu pousse un grand cri
de désespoir.
Réunis en conclave, à l’abri des influences du monde, les cardinaux
procèdent à l’élection du prochain pape, chacun d’entre eux priant
Dieu de ne pas être élu. Au fil des votes apparaît un candidat inattendu, le
cardinal Melville (incarné par l’étonnant Michel Piccoli)... qui hésite puis
refuse d’endosser la fonction papale. En imaginant ce scénario inattendu,
Nanni Moretti, le réalisateur du film “Habemus papam”, introduit un peu
d’humanité dans l’enceinte du Vatican. Il n’est pas question ici de basses
intrigues, mais de la dépression d’un homme placé devant une tâche immense
qui s’interroge sur sa capacité d’être à la hauteur de celle-ci.
Ce qui se passe alors au Vatican n’est pas ordinaire. Un psychiatre (incarné
par Nanni Moretti), exceptionnellement autorisé à entrer en grand secret
dans ce lieu fermé qu’est un Conclave, tente de guérir le cardinal Melville.
Mais rien n’y fait. Il faut dire que l’échange, qui se passe devant les
cardinaux, manque d’intimité. Michel Piccoli, complètement perdu dans ses
doutes, s’échappe et s’offre incognito une ballade de trois jours dans les
rues de Rome. Au contact des joies et des peines de la vie quotidienne de la
population romaine, il revit des émotions perdues, du temps où il était
acteur de théâtre, reconstruit sa personnalité et consolide son choix
personnel. Bien sûr, rien de tout ceci ne doit filtrer à l’intérieur comme à
l’extérieur. Le service communication du Vatican fait du zèle. Il doit faire
croire aux cardinaux comme aux chrétiens qui attendent le nom du nouveau
Pape que celui-ci, fatigué, se repose dans ses appartements.
Avec son talent, charmeur et moqueur “à l’italienne”, Nanni Moretti a choisi
la critique par la comédie. Les cardinaux, le plus souvent âgés, contraints
de prolonger leur séjour romain, tuent le temps en comparant les effets de
leurs somnifères, en jouant aux cartes ou en participant à un étonnant
tournoi de volley-ball… Nanni Moretti décrit, sans méchanceté aucune et même
avec une certaine tendresse, ces vieux cardinaux désemparés par le refus
persistant du cardinal Melville d’endosser la responsabilité suprême de
l’Eglise. Ces hommes de Dieu sont avant tout des hommes.
Le film, présenté au dernier festival de Cannes, a, dit-on, fait rire et
sourire les festivaliers. Mais est-on seulement dans la comédie lorsque
Moretti met en scène le refus d’un pape de prendre ses responsabilités ?
Faut-il y voir comme un appel à l’Eglise-institution à sortir d’un certain
enfermement et à faire preuve d’un peu plus d’humilité devant le monde
moderne ? Peut-être. Le réalisateur se défend cependant d’avoir voulu
entreprendre une critique de l’Eglise actuelle. Il en appelle à la
psychanalyse pour tenter de sortir le futur pape de sa crise d’angoisse.
Mais la question est-elle seulement d’ordre psychologique? Une seule petite
phrase du cardinal, dans le film, fait allusion à l’état actuel de l’Eglise
catholique : “... Depuis un certain temps, notre Eglise a quelques
difficultés à comprendre les choses. Nous avons eu peur d’admettre nos
fautes”.
// Christian Van Rompaey
>> Habemus papam •
de Nanni Moretti
•
avec Michel Piccoli, Nanni Moretti, Magherita Buy...
•
1h44min.
De la fiction à la réalité |
Devenir pape? Oui, mais en
tremblant!
“Une grande tempête est sur moi”
déclarait le cardinal Luciani à peine élu le
26 août 1978, sous le nom de Jean-Paul Ier.
“Ça serait un cauchemar...
Personne ne fait campagne
pour ça” déclarait, à la fin du mois de
juin dernier, le cardinal Ouellet (Québec),
papabile à la mort de Jean-Paul II (et
encore aujourd’hui).
Le 19 avril 2005, après avoir accepté son
élection, Benoît XVI se dirige vers une
petite pièce attenante à la chapelle
Sixtine, dite “la chambre des larmes”. Là,
le Pape se recueille, se laisse aller à ses
émotions. Il prend conscience de l’immensité
de la tâche qui l’attend. Le cardinal
Ratzinger, comme les autres cardinaux, avait
pourtant prié pour ne pas être élu. Il dira
à des compatriotes : “Quand lentement,
le déroulement du scrutin m’a fait
comprendre que la guillotine s’approchait,
j’ai demandé au Seigneur de m’épargner ce
sort…”
Il n’empêche: l’élection d’un pape ne tient
pas du hasard. Condamnés au silence absolu
dès le début du Conclave, les cardinaux
s’informent et “mûrissent” leur choix avant
son ouverture officielle.
Quel homme et surtout quel programme
soutenir? Réformer la Curie. Accorder plus
de responsabilité aux femmes. Comment
affronter le scandale des prêtres
pédophiles? Faut-il un pape moins
autoritaire qui encouragerait le dialogue
dans l’Eglise? Comment avancer dans la
réconciliation des églises? Quel rapport au
monde moderne…?
Les tendances s’opposent et les rapports de
force existent bel et bien. Mais les
cardinaux ont tendance, au fur et mesure des
tours de scrutin, à se ranger derrière le
candidat donné comme étant le mieux placé,
constatent les historiens, préférant le
consensus à l’affrontement.
//CVR
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