Cinéma
(5 avril 2007)
Les témoins
André Téchiné filme les trois saisons de l’amour et de l’amitié aux tout
premiers temps du sida.
Cet été-là, au début des années 80, Paris danse sur les Rita Mitsouko.
Dans certains parcs, la nuit, des regards s’échangent, des couples se
frôlent. C’est là qu’Antoine (Michel Blanc), médecin le jour, drague les
garçons la nuit venue. Et c’est là qu’il rencontre Manu (Johan Liberau).
Il est beau, Manu, il est jeune, il est venu de son Ariège à Paris
rejoindre sa sœur Julie (Julie Depardieu), et trouver du boulot. Antoine
lui présente Sarah (Emmanuelle Béart), écrivain en panne d’inspiration, et
son mari Mehdi (Sami Bouajila). Quelques week-ends au bord de la mer, et
les amitiés se soudent, les amours s'emmêlent. Antoine aime Manu, Manu
aime Mehdi, Sarah aussi, Mehdi ne sait plus s’il aime les filles ou les
garçons, et Julie n’aime personne. Un jour, des taches apparaissent sur le
corps de Manu. C’est une maladie nouvelle, dont on ne connaît ni l’origine
ni le traitement: le sida. «C’est la guerre, dira Antoine, mais personne
ne le sait. Alors on s’organise pour résister».
«Les témoins» est un film sur le sida, certes,
«parce que j’ai le
sentiment d’avoir échappé à mon destin, dans ces années-là», explique le
réalisateur André Téchiné. Mais, ajoute-t-il, «c’est surtout un film sur
le bien et sur le mal. Et le bien et le mal, aujourd’hui, qui le décide?
La médecine et la justice. Depuis le sida, la médecine a capitulé par
rapport à la morale, et donc il ne reste que la justice, et son bras
exécutif qu’est la police.» Justement Antoine est médecin, et Mehdi
policier. Alors que les femmes, elles, sont du côté de la création. Sarah
est écrivain, confrontée à sa propre exigence artistique, et à son
impossibilité d’aimer l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Julie est
chanteuse lyrique, mais ne considère son art que comme un sport, et sa
voix comme un muscle. Après «Les beaux jours» et «La guerre», les deux
premières parties du film, c’est «Le retour des beaux jours». Parce que
«c’est un miracle d’être vivant». La vie continue, ou reprend, l’amour
revient, sans Manu, mais avec la force de l’avoir aimé, et le pouvoir de
témoigner.
«Les témoins» n’est pas un film sombre, il éclate de couleurs, il vibre de
lumière. Il va vite, saute dans le temps, dans les nuages et les eaux
sombres, parfois. Ce n’est pas un film dur, mais un film qui dure, les
personnages, dont on sait si peu finalement, vous accompagnent, longtemps
après le générique de fin. Ce n’est pas un documentaire, juste un constat,
de ce que furent la vie et l’amour, aux premiers temps du sida.
Linda Léonard
Les témoins, d’André Téchiné, sur un scénario de Laurent Guyot. Avec
Emmanuelle Béart, Michel Blanc, Sami Bouajila, Julie Depardieu, Johan
Libereau. 1h 52’.
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