Cinéma
(7 juin 2007)
Les fantômes
de Goya
Le
réalisateur Milos Forman signe une fresque épique et violente sur
l’Inquisition espagnole,
vue par les yeux du peintre Goya.
En
1792, alors qu’en France Louis XVI vit ses derniers jours, l’Espagne
tremble encore sous la Sainte Inquisition. Francisco de Goya y Lucientes
est peintre officiel à la cour du Roi Charles IV, qu’il peint sans
complaisance. Il a cependant des sympathies pour les idées des Lumières,
et publie sous le manteau ses «Caprices», gravures attaquant violemment
l’archaïsme de la société espagnole et l’influence liberticide de la toute
puissance Eglise catholique. L’Inquisition, qui en pendit pour moins que
cela, s’en prend à son modèle, la belle Inès et la soumet à la question.
On l’a vu refuser de manger du porc, elle est donc juive, et d’ailleurs
elle l’avouera sous la torture. Quinze ans plus tard, les armées
napoléoniennes envahissent l’Espagne et ouvrent les geôles de
l’Inquisition. Inès est libre, folle, et toute sa famille a été
assassinée. Il ne lui reste que Goya, et le souvenir d’un enfant né en
prison. Mais Goya a changé, le pays a changé, seules la terreur et la
violence sont pareils.
Dans «Les fantômes de Goya», du réalisateur américain d’origine tchèque
Milos Forman (Amadeus, en 1984), ce sont bien de fantômes qu’il est
question, ceux qui hanteront la vie et l’œuvre du peintre, plus que de
Goya lui-même. L’artiste ne sert que d’intercesseur entre les différents
protagonistes, dont le Père Lorenzo, interprété par le fabuleux Javier
Bardem, et l’on peut s’étonner de la distance que le peintre observe, de
son absence d’engagement. Ce serait oublier qu’il est avant tout un
artiste, et que c’est par son travail qu’il témoigne. A ce propos, il ne
faut pas manquer le générique de fin. On y montre l’évolution du travail
du peintre, comment la violence de son époque s’est inscrite dans ses
toiles, dans sa technique, préfigurant l’impressionnisme.
Si Forman se défend d’avoir fait un film politique, Jean-Claude Carrière,
le scénariste, explique cependant que le film «met en scène l’idée que
l’on peut assister à un intégrisme provenant de ceux qui s’érigent en
défenseur de la liberté et de la lutte contre l’obscurantisme». Dans
une harangue à ses troupes, juste avant l’invasion de l’Espagne, Napoléon
dira, et c’est noté dans les archives: «Vous serez accueillis avec des
fleurs comme des libérateurs», phrase reprise depuis par les
Américains à propos des soldats US en Irak. Etonnant.
«Les fantômes de Goya» est une fresque épique, fascinante et violente,
réalisée dans les décors originaux, à Madrid et en Castille, mais tourné
en anglais. Déception d’entendre Javier Bardem, acteur espagnol, jouer,
dans son pays, un prêtre espagnol, mais en anglais. Impératif
commercial...
Linda Léonard
“Les Fantômes de Goya”,
réalisé par Milos Forman, scénario de Jean-Claude Carrière. Avec Javier
Bardem, Nathalie Portman, Stellan Skarsgard, Randy Quaid. 1h54.
Jean-Claude Carrière et Milos Forman ont tiré
un livre du scénario, édité chez Plon.
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