Cinéma (
4 septembre 2008)
Le silence
de Lorna
Les frères
Dardenne sont revenus de Cannes avec le prix du meilleur scénario pour un
film qui semble amorcer un tournant dans leur filmographie.
Lorna
est albanaise. Elle rêve d’ouvrir un snack à Liège avec Sokol, son amoureux.
Seulement pour ça, il faut des papiers, et de l’argent. Alors, avec la
complicité de Fabio, un homme “du milieu”, Lorna contracte un mariage blanc
avec Claudy. Elle y gagne la nationalité belge et lui, de l’argent pour se
piquer. Mais les plans de Fabio ne s’arrêtent pas là. L’idée, c’est que
Lorna, sitôt devenue Belge, épouse un mafieux russe, qui ainsi deviendra
Belge lui aussi, contre une somme rondelette. Mais pour cela, il faut
d’abord se débarrasser de Claudy. Un divorce étant trop lent, pourquoi pas
une overdose, avec un peu d’aide s’il le faut; ce n’est qu’un camé, après
tout. Mais Claudy tente d’arrêter la drogue, et son seul point d’ancrage, sa
bouée, c’est Lorna. Gardera-t-elle le silence?
Une fois encore, les frères
Dardenne placent un dilemme moral au cœur de leur film. Une fois encore, il
s’agit de questionner ce qui reste d’humanité chez ceux qui ont choisi les
voies les sombres pour s’en sortir. Mais paradoxalement c’est l’éveil
progressif de Lorna à la conscience qui sera sa perte. Et en cela, il s’agit
peut-être du film le plus sombre de Luc et Jean-Pierre Dardenne. Mais c’est
surtout au niveau de la forme que des changements s’opèrent. Finies la
caméra portée qui colle aux personnes et l’image tremblée. Ici, la caméra
prend du champ, il s’agit d’observer et de tenter de comprendre la
psychologie des personnages, plutôt que de faire corps avec eux. Peut-être
cela rend-il le cinéma des frères moins puissant, mais plus subtil, et plus
compassionnel aussi. Le ton en revanche reste le même: le spectateur est
tenu en haleine de bout en bout par un scénario sec, dépouillé de toute
emphase, quitte à utiliser de puissantes ellipses.
Une des forces
incontestables du film vient, une fois de plus, des comédiens: Arta Dobroshi,
qui joue Lorna, un mélange de cruauté et de détermination, et Jérémie
Renier tellement convainquant que c’en est douloureux. Et probablement aussi
de la méthode de travail des Dardenne. Il s’agit, pour toute l’équipe,
d’être ensemble, de travailler ensemble, de répéter longuement, parfois des
mois avant le début du tournage. Pas question donc de travailler en
dilettante.
La fin du film est ouverte,
comme une porte à double battant, qui rend enfin Lorna à elle-même. A sa vie
qui peut alors re-commencer.
Linda
Léonard
Le silence
de Lorna,
de Luc et
Jean-Pierre Dardenne, avec Arta Dobroshi, Jrémie Renier, Fabrizio Rongione,
Alban Ukaj, Morgan Marinne. 1h45.
A noter:
la sortie
du livre dirigé par Jacqueline Aubenas et initié par Henri Ingberg:
“Dardenne” ■ La Renaissance du
Livre/CGRI ■
49 EUR.
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