Cinéma
(21 septembre 2006)
La raison du plus faible
Mi-portrait
de groupe, mi-polar social, le dernier film de Lucas Belvaux est
profondément enraciné en terres liégeoises.
Derrière
les grilles, des hommes regardent leur usine partir par morceaux, au prix
de l’acier. Démantelée, comme leur vie. Certains y ont travaillé vingt
ans, trente ans, comme leur père, leurs grands-pères avant eux. Pour
certains, l’usine tenait lieu de famille. Comme Robert (étonnant Claude
Semal), dont la femme est partie et qui se console à la Jupiler ; comme
Jean-Pierre (Patrick Descamps) qui y a laissé ses jambes. Alors
maintenant, leur vie, ce sont les cartes au bistrot, avec Marc (Lucas
Belvaux), ancien taulard, et Patrick (Eric Caravaca); un Lotto de temps
en temps, un petit Vieux-Temps pour changer. Patrick, lui, c’est pas
pareil. Il a fait des études mais apparemment ça n’aide pas trop pour
trouver un travail dans la région. C’est Carole, sa femme, qui fait
rentrer l’argent du ménage. Tous les matins, elle part au boulot sur sa
vieille mobylette pendant que Patrick s’occupe de leur fils, de la maison
et du jardin. Mais la mobylette tombe en panne, et il n’y pas d’argent
pour en changer. Et c’est là que la comédie sociale tourne au film noir.
Parce que, leur grande idée, aux potes du bistrot qui voudraient bien
aider, ce n’est rien moins que récupérer ce qu’ils estiment être leur dû :
l’argent de la ferraille de leur usine vendue au poids. Et comme Marc est
tombé pour vol à main armée, ils pourront profiter de son expérience...
Très vite, la mobylette n’est plus qu’un prétexte. Ce n’est plus d’argent
dont ils ont besoin, mais de rêve, et de dignité.
“Ce n’est pas tellement le rêve
de pouvoir s’acheter une mobylette mais le constat que l’on ne peut même
plus s’acheter une mobylette. La mobylette est tout à coup le révélateur
du fait qu’on ne peut même plus rêver. Finalement, le seul rêve qui leur
reste, c’est le Lotto”, explique le réalisateur Lucas Belvaux.
“J’ai peur que l’on bascule dans ce genre de violence de faits divers,
ajoute-t-il. J’ai l’impression que l’on tend vers une société moins
solidaire où, tout à coup, ce qui construit une société démocratique est
en train de disparaître au nom d’autres valeurs, bizarres. On va de plus
en plus vers le “démerdez-vous !”, “vous n’avez qu’à vous prendre en main
!” et en même temps, sans donner les moyens aux gens de se prendre en main
et de s’organiser”, ajoute le réalisateur. Evidemment, tout va mal tourner, tuer
un homme, ce n’est pas comme faire pan-pan les doigts tendus.
“La raison du plus faible” est
un film noir, frontal, sans esbroufe mais qui regarde l’époque bien en
face.
Linda
Léonard
“La raison du plus faible”,
scénario
et réalisation de Lucas Belvaux, avec Eric Caravaca, Natacha Régnier,
Patrick Descamps.
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