Cinéma (17
mai 2012)
Bons baisers de la
colonie
Dans un documentaire poignant et dépouillé, Nathalie Borgers croise son
histoire familiale et l'Histoire coloniale en dévoilant le destin de
Suzanne, une “enfant métisse sauvée d'un destin nègre”.
Nathalie Borgers est journaliste, réalisatrice et féministe. Elle a sillonné
le monde, animée du besoin de comprendre son fonctionnement, de décortiquer
les inégalités entre les hommes et les femmes. Elle a dénoncé les mariages
arrangés entre Autrichiens et Turques, la sous-représentation des femmes
dans la vie politique française, ou encore les conditions de vie des femmes
Toubou au Soudan. Mais c'est au détour d'une fête de famille que son
histoire familiale rejoindra la Grande Histoire, lorsqu'elle découvre sur
une photo, une dame noire d'un certain âge jusque là inconnue, sa tante
Suzanne.
Suzanne est née en 1926, à Inda, au Rwanda. Son père est Léon
Borgers, le grand-père de la réalisatrice, administrateur territorial belge
en poste dans la colonie. Sa mère, une Rwandaise épousée selon la coutume,
serait morte en couche. Lorsqu'il rentre en Belgique en 1930, avec sa toute
nouvelle épouse blanche, il emmène Suzanne. Une démarche assez insolite pour
l'époque. En effet, s' il était admis que les “broussards” oublient les
rudesses de leur tâche entre les bras des jolies autochtones, on entendait
bien qu'ils laissent les éventuels fruits de ces échanges en Afrique. “Je ne
savais pas que j'étais noire, confie Suzanne, puisque je n'en avais jamais
vu.” Mulâtresse, plus exactement, du mot “mulet”, né d'un âne et d'une
jument... Son histoire de mulâtresse, donc, Suzanne la raconte avec
simplicité, mais aussi une certaine réticence, et un peu de colère. “J'ai
senti qu'il y avait beaucoup de souffrance derrière cette histoire, explique
la réalisatrice Nathalie Borgers, notamment chez ma grand-mère qui a été
bouleversée de ne pas s'entendre avec sa belle-fille, mais ça a été
difficile d'en savoir plus, parce qu'on n'en parlait pas. Or un silence,
c'est extrêmement lourd, plus lourd que ce qu'on cache réellement, surtout
quand on laisse le temps passer.”
Nathalie Borgers décide alors de se rendre
au Rwanda, et la surprise sera totale de découvrir deux frères de Suzanne,
prénommés Jean et Jacques, comme les deux enfants que Léon aura plus tard en
Belgique avec sa nouvelle femme. Pour Suzanne, c'est comme une chance
qu'elle aurait laissé passer, lorsque qu'une assistante sociale lui dit
qu'elle veut lui parler de sa mère qui vit toujours, et que Suzanne refuse
de rencontrer. “C'est comme un viol mental”, dit-elle, “lorsque l'on vous
force à repenser à des choses que vous voulez oublier”. Pour Nathalie Borgers, c'est un “tabou national”. “Mon grand-père a utilisé son pouvoir.
Il était grand, il avait un pouvoir de blanc sur les noirs, il avait un
pouvoir de maturité sur une plus jeune, et un pouvoir d'homme sur une
femme”.
// LINDA LÉONARD
>> Bons baisers de la colonie •
film documentaire de Nathalie Borgers • 1h14
• En salle et sur ARTE le jeudi 7 juin 2012 • Disponible en DVD sur le site
du Centre Vidéo de Bruxelles (CVB) :
www.cvb-videp.be
|