Agenda
culturel (3 juillet 2008)
Les
églises,
un patrimoine à découvrir
L’été, s’il ne nous donne pas toujours à découvrir de lointains
horizons, s’il ne nous amène pas nécessairement à déloger vers plus de
soleil, à prendre le large, nous enjoint à adopter un autre rythme. Plus
relax, le temps – derrière lequel on court bien souvent – semble
s’ouvrir à l’évasion. L’occasion pour notre regard de s’attarder sur
l’une ou l’autre de ces curiosités qui nous entourent, mais ne nous
étonnent plus.
La collégiale Saint Ursmer
de Lobbes s’est inscrite dans
le réseau “Eglises ouvertes”.
Le
clocher, là juste à côté, fait partie du paysage. Il sonne à l’habitude.
Quelques-uns le fréquentent de plus près – de célébration, en
célébration. Mais tous l’ont dans les yeux. Il marque nos panoramas
quotidiens. Points de repère, lieux de rendez-vous immanquables, les
églises font bel et bien partie de notre patrimoine, trop discrètement
bien souvent. En voyage, à Tournus en Bourgogne, à Orgelet dans le Jura
ou ailleurs, nous ne manquerons pas la fabuleuse église du village.
Endossée, notre attitude de touriste, de flâneur, de vacancier, nous y
prendrons le frais. Nous y scruterons là un vitrail, là une statue. Nous
profiterons du silence, le temps d’un instant. Mais les belles
découvertes sont aussi aux pas de nos portes.
Enfin, quand elles
n’ont pas fermé les verrous.
Pour des églises ouvertes
C’est ce qui a
frappé Marc Huynen, ce qui l’a mobilisé, alors qu’il découvrait une
cartographie finlandaise des églises ouvertes, qu’il prenait
connaissance de l’initiative anglaise de l’Open Churches Trust. “Il
réunit alors autour de lui quelques personnes d’horizons professionnels
et philosophiques différents mais toutes intéressées par le projet:
ouvrir nos églises si souvent fermées, et rencontrer le désir de
beaucoup, quelles que soient leurs convictions, d’entrer dans les
églises pour des motifs d’ordre spirituel, culturel ou par simple
curiosité.” (1) Depuis presque deux ans maintenant,
une fondation “Eglises ouvertes”(2) met en œuvre ce
projet. À son actif, un réseau de quelque 150 églises sur l’ensemble du
territoire belge; ou plutôt édifices religieux puisque le réseau compte
aussi des synagogues, des temples, des couvents... La démarche
culturelle de mise en valeur du patrimoine se veut en effet œcuménique.
Concrètement, la
Fondation entend mettre en valeur le patrimoine religieux en Belgique et
le rendre accessible tant à la population locale qu’aux visiteurs belges
et étrangers. Signataires d’une charte, les paroisses membres du réseau
s’engagent à ouvrir l’église aux visiteurs au minimum pendant huit
semaines consécutives entre le 1er juin et le 30 septembre, trois jours
par semaine (normalement les vendredi, samedi et dimanche), quatre
heures par jour (généralement de 10h à 12h et de 14h à 16h). Elles se
seront acquittées d’une cotisation unique de 300 euros, qui leur
permettra entre autres de bénéficier du vecteur promotionnel qu’est la
Fondation. Eglises ouvertes insiste sur l’accueil. L’ouverture ne se
limite pas au déverrouillage des portes, elle touche à l’atmosphère du
lieu.
On recenserait
approximativement 4.000 églises paroissiales sur le territoire belge.
L’objectif de la Fondation n’est, bien entendu, pas d’en faire toutes
des signataires de sa charte. D’aucunes n’ont d’ailleurs pas attendu le
projet «églises ouvertes» pour laisser leurs porches ouverts aux
passants. Comme cette église romane sur les hauteurs du namurois, que
quotidiennement une voisine rend accueillante. Un engagement bénévole
discret qui permet au lieu de déployer tous ses attraits.
Un patrimoine dérobé?
Mais qu’est ce qui
pousse un grand nombre de ces lieux par essence accueillants à donner un
tour de clé? D’abord le vandalisme et les vols, expliquait Raphaël
Collinet, vicaire épiscopal judiciaire de l’Evêché de Liège, lors qu’une
journée d’études organisée par la Fondation. “Lors d’un vol
spectaculaire effectué à Tournai, on a cité le chiffre de 800 objets
annuellement volés dans les églises en Belgique. 6 à 8% d’entre eux
seulement sont récupérés”, poursuivait-il. Le marché du mobilier
religieux est de plus en plus important en effet, remarque Mathieu
Bertrand
historien de l’architecture, co-auteur d’un inventaire des églises
paroissiales wallonnes (1830-1940) (3). Par ailleurs,
la mode des bondieuseries bat son plein. Les acquéreurs se bousculent.
Pour se prémunir, il
est recommandé aux fabriciens de remplir leur obligation légale de tenue
d’un inventaire complet de ce patrimoine mobilier et surtout de
l’actualiser. La Belgique compte en la matière un instrument
particulièrement utile, au travers de l’Institut royal du patrimoine
artistique (IRPA) et de sa photothèque. Sans compter que la sécurisation
à l’heure de l’électronique peut parfois prendre des allures très
originales, dépassant l’indispensable arrimage aux murs ou au sol. Il y
a plus d’une société spécialisée en la matière.
Mais attention,
insistait Raphaël Collinet, l’essentiel des vols a été effectué dans des
églises fermées. Apposer les scellées ne mettrait donc pas à l’abri. Et
puis, n’est-ce pas démunir les communautés que de cloîtrer ainsi une
part du patrimoine? N’est-ce pas délaisser la part de patrimoine
immatériel que ces édifices constituent également?
Là où il y a de la vie
L’avenir même des
bâtiments est en question, constate Mathieu Bertrand qui, de par son
rôle d’inventaire, a l’occasion de visiter nombre d’édifices. Les
bâtiments les plus anciens subiront les intempéries du temps, tandis
que les autres – plus récents et dont la stylistique est moins reconnue
– vont plus facilement être laissés à eux-mêmes, présage-t-il. Il est
question de moyens, de moyens humains entre autres. Il n’est pas rare
que les prêtres assument plusieurs paroisses. Les fabriciens prennent de
l’âge. Et la présence dans les édifices est moins effective qu’avant.
Or, un bâtiment qui vit sera sauvegardé plus longtemps.
La sauvegarde passe
parfois par la réaffectation. Nos voisins hollandais en connaissent un
rayon en la matière. Mais, comme le précise Mathieu Bertrand, le lieu
n’a dans le protestantisme pas la même charge sacrée que pour les
catholiques aux yeux desquels le sujet reste sensible. Ce qui n’empêche
certains projets d’aboutir, en mixant notamment les attributions:
bibliothèque dans le fond, et culte dans le cœur; exposition d’artistes
à l’occasion… “Certains édifices religieux sont devenus de véritables
institutions diffusant régulièrement des programmes musicaux de très
haute qualité”, remarque Marguerite Bernard, administratrice de la
Fondation Eglises ouvertes. Quand on entend dire que, du côté de Liège,
une église désacralisée est devenue stand de tir, la perplexité peut
poindre…
Quoiqu’il en soit,
la matière est complexe, en termes de responsabilités, de propriétés.
Les différents droits de regard font du bâtiment un objet difficile à
gérer. Mais le regain d’intérêt pour l’histoire locale dont font preuve
de plus en plus de quidams, est précieux aux yeux des spécialistes comme
Mathieu Bertrand. Les monographies ainsi façonnées constituent des
sources d’informations uniques par rapport à l’histoire immédiate des
lieux et méritent des encouragements, estime l’historien de
l’architecture. Cultivons donc notre curiosité.
Catherine Daloze
(1)
www.eglisesouvertes.be
(2) Fondation Eglises ouvertes, chaussée de Tirle-mont
508 A, 1370 Jodoigne
(3) Cellule de recherche en histoire et en archéologie
du bâtiment (CRHAB asbl), rue Joseph Jadot, 56 à 1350 Orp-Jauche -
www.crhab.be
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