Éditorial
(2 novembre 2006)
Incorrigible
Europe
On connaît les débats européens à propos de la fameuse directive
Bolkestein sur la libre circulation des services. Une version
édulcorée avait finalement abouti et le secteur de la Santé avait
été retiré de son champ d’application. Sage décision. Mais voilà
que cette décision à peine prise, la Commission européenne, qui
digère sans doute mal d’avoir dû reculer, contre-attaque.
La
Commission européenne lance une mise en demeure contre l’Etat
belge estimant que la programmation des équipements médicaux
lourds qui limite le nombre des Pet scanners à 13 est une
infraction à la liberté du commerce.
Les Pet scanners sont des appareils sophistiqués et coûteux
d’imagerie médicale; ils sont d’une grande utilité pour dépister
les tumeurs naissantes de certains types de cancer. Les fabricants
de ces appareils ont déposé plainte contre la Belgique estimant
que la réglementation belge entrave la liberté de leur commerce.
Une situation absurde
Comment contrôler la croissance des dépenses de
santé si la planification des outils médicaux ne peut se faire en
fonction des besoins de la population, mais de l'offre commerciale ? |
Ce n’est pas tout à fait un hasard: au même moment la commission
met en demeure l’Autriche et l’Italie pour leur réglementation en
matière d’installation de pharmacies. La France est aussi mise en
demeure de modifier son décret qui contraint le patient voulant
passer un examen de résonance magnétique à l’étranger de recevoir
une autorisation préalable.
A ce stade on n’est encore qu’à l’instruction mais la Belgique
pourrait être mise en demeure de modifier sa législation. Si ce
devait être le cas, tous les systèmes de programmation et de
planification en matière de santé se retrouveraient à la poubelle.
C’est une situation absurde car comment peut-on espérer gérer et
contrôler la croissance des dépenses de santé si la planification
des outils médicaux en fonction des besoins de la population (et
non en fonction de l’offre commerciale) n’est plus possible ?
Cela paraît énorme mais c’est vrai et correspond à une des
dimensions les plus pénibles de l’Europe en devenir: l’Europe des
marchands passe bien avant une Europe solidaire et soucieuse du
bien commun.
Un risque de dualisation
Sans doute, dira-t-on, la sécurité sociale pourrait encore décider
du nombre d’appareils qu’elle choisit de rembourser par exemple 13
Pet scanners (ce qui est déjà plus que tous nos pays voisins
rapportés au nombre d’habitants), les autres pourraient alors
s’installer sans remboursement. Mais ce n’est pas une solution car
ce serait créer un second réseau privé de médecine avec un sérieux
risque de dualisation de cette médecine. Nombre de patients
seraient orientés vers ce réseau privé hors assurance maladie et
il sen suivra un démantèlement de la régulation d’ensemble qui
fait justement la qualité des systèmes de santé européens par
rapport au libéralisme qui prévaut Outre-Atlantique.
Bien sûr cette destruction de tout système de programmation ferait
des heureux. Les industriels qui fabriquent les équipements mais
aussi de nombreux médecins ou directeurs d’hôpitaux. Ceux-ci
voient dans les systèmes de planification une entrave à leur
dynamisme. Il peut aussi arriver, il est vrai, que la
programmation ne soit pas adéquate. Mais comment ne pas voir que
l’absence de programmation rend le système ingérable, conduit à sa
faillite, ce qui se retournera contre eux car la demande de soins
deviendra insolvable?
Une réaction vigoureuse du Ministre Demotte
Le Ministre fédéral de la Santé, Rudy Demotte, a réagi
vigoureusement contre cette mise en cause et on le comprend. Il
devra en outre répondre à une plainte introduite auprès de la
Commission par les assureurs commerciaux contre les mutuelles
belges, cette fois pour concurrence déloyale.
Après avoir perdu tous leurs procès contre les mutualités dans les
juridictions belges, les assureurs espèrent, non sans raison sans
doute, avoir une oreille plus attentive dans les cénacles
européens dominés par le libéralisme du marché. Mais c’est une
autre histoire.
Après cela il nous sera demandé, à nous membres éminents de la
société civile organisée, de prendre en considération positivement
le devenir de l’Europe!
La seule manière d’en sortir sérieusement et efficacement est sans
conteste que la Commission européenne abandonne toutes ces
escarmouches pénibles, cesse de laisser la Cour de Justice
européenne faire la politique de santé à coups de jurisprudence.
Il faut traiter de front l’élaboration d’une vraie politique
sociale et de santé européenne. Celle-ci est aujourd’hui sans
arrêt traitée par défaut comme une exception aux pures lois du
commerce, acceptée au compte-gouttes par des commissaires et une
administration réticents.
La construction européenne en matière sociale et de santé est
tout de même autre chose qu’une dérégulation au profit de quelques
corporations et intérêts privés. L’adhésion des populations à
l’Europe est à ce prix.
Edouard Descampe
Secrétaire général
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