Éditorial
(1er juin 2006)
Comment
évoluent nos protections sociales?
Il est devenu courant d’opposer en matière de vie en
société le modèle américain où règne individualisme et compétition au modèle
européen caractérisé par des couvertures sociales fortes et une plus grande
cohésion de la Société. Suivant les opinions on chante les louanges de l’un
ou l’autre modèle et l’on souligne les dangers de l’autre.
Nous avons, comme Mutualité, fait clairement notre
choix. La santé est un bien trop précieux pour faire dépendre de la plus ou
moins grande richesse des personnes la possibilité de recevoir les soins
nécessaires. Et les financements collectifs et généralisés des soins de
santé permettent du même coup une régulation d’ensemble du système de soins
qui en limite les coûts. Les Américains en font l’amère expérience car les
coûts des soins y ont explosé pour atteindre, à niveau de qualité identique,
60% de plus que chez nous. Les entreprises grandes et petites sont de plus
en plus souvent obligées pour réduire leurs coûts de diminuer drastiquement
les assurances santé de leur personnel et elles commencent par en exclure
leur ancien personnel.
Les dépenses sociales importantes constituent une des
spécificités dans nos pays européens. Une originalité de notre «Vivre
ensemble», une volonté de maintenir une cohésion sociale forte et de
compenser par des transferts sociaux les inégalités qui existent entre les
citoyens. Mais ces couvertures sociales sont-elles encore finançables ou
sont-elles condamnées à terme?
La part des dépenses sociales ont sérieusement évolué
dans le temps(1) : en 1960 les prestations sociales en
Belgique représentaient 8,8% du Produit Intérieur Brut (PIB). 24 ans plus
tard en 1984, nous sommes à 20,5%. Mais depuis lors cette part a diminué et
est revenue aujourd’hui à 17,3% du PIB et elle tend de nouveau à augmenter.
Le mode de financement de ces dépenses sociales a lui
aussi connu de sérieuses évolutions ces 50 dernières années. Les cotisations
sociales ont longtemps représenté presque 3/4 des recettes nécessaires à
couvrir ces dépenses sociales. Puis elles ont diminué jusqu’à 62% et les
subventions directes de l’État ont pris le relais. Les cotisations sociales
ont à nouveau augmenté et elles représentaient 78% du total des recettes en
1993. Depuis lors tant la part des cotisations sociales que la part des
subventions de l’État ont diminué au profit de ce qu’on appelle le
financement alternatif. Il a atteint en 2006 18% du total des recettes. Ce
financement alternatif comprend 4 sources différentes : des recettes de TVA,
des recettes d'accises, le produit d'impôt sur les stocks options et autres
participations bénéficiaires des cadres dans les entreprises. En 2006 le
financement alternatif qui, pour partie, compense des allègements de charges
sociales est estimé à 9,5 milliards d’euros dont 1,87 milliard pour
l’assurance maladie.
Les
cotisations sociales évoluent moins vite que les salaires
Il faut bien constater un
sérieux "décrochage" du taux de remplacement des allocations sociales,
chômage, pension et invalidité par rapport au salaire. |
Les transferts sociaux restent donc, dans notre pays
comme chez nos voisins, très élevés. Mais on ne peut majorer l’importance du
phénomène rapporté à l’évolution du produit intérieur brut (PIB) qui mesure
l’évolution de la richesse de notre pays : il y a eu en fait un doublement
en 50 ans de la part relative dans le PIB de 8,8% à 17,3%.
Dans le même temps les couvertures sociales se sont
néanmoins réduites. Deux exemples éclairent cette évolution : en soins de
santé la part des dépenses qui reste à charge des malades s’est
considérablement accrue pour atteindre 22,5% du total des dépenses. Plus
particulièrement en hôpital on a pu calculer sur base des données des
mutualités chrétiennes que les coûts moyens à charge du patient ont augmenté
de 41% entre 1998 et 2004 par admission et pour tous les types de chambre
confondus.
Une autre mesure de la réduction des interventions de la
Sécurité sociale concerne les revenus de remplacement. On constate un
sérieux «décrochage» du taux de remplacement des allocations sociales,
chômage, pension et invalidité par rapport au salaire. Les allocations
sociales ont évolué nettement moins vite que les salaires:
|
1980 |
1990 |
2000 |
2005 |
Chômage |
41,6 % |
34 % |
26,2 % |
26,6 % |
Pension |
33,8 % |
33,5 % |
31,5 % |
31,4 % |
Invalidité |
43,9 % |
38,4 % |
33,1 % |
32,4 % |
Taux de remplacement des allocations sociales par
rapport au salaire
Le décrochage est donc important. Il est dû surtout à la
non liaison des allocations à l’évolution du bien-être. Les allocations de
remplacement s’éloignent de plus en plus de la rémunération. Ces dernières
années, depuis 1981, il n’y a plus eu d’adaptation au bien-être mais des
revalorisations au coup par coup notamment en 1990 (+ de 1% à 3%) et en 1991
(+ 2%), en 2004 et en 2005 pour les plus anciens pensionnés. Il y a eu aussi
des augmentations sélectives pour les minima.
C’est seulement pour 2008 qu’une liaison au bien-être
réelle devrait être restaurée.
On peut dire pour conclure que les transferts
sociaux qui constituent une des dimensions fondamentales de notre
«vivre ensemble» restent très importants. Leur financement suit
l’évolution du PIB mais se diversifie. Néanmoins les besoins
augmentent davantage ce qui provoque une érosion des couvertures
sociales et reste donc préoccupant à moyen et long terme. |
Edouard Descampe
Secrétaire général
(1) Données rassemblées par
Christian Léonard, Service Recherche e Développement des Mutualités
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