Éditorial (15 juin 2006)
Médicaments moins chers :
quel rôle pour le pharmacien?
Interpellant et navrant! Les pharmaciens
proposent rarement le médicament le moins cher lorsque la loi leur en
donne le choix. Tel est le constat d’une enquête effectuée par
Test-Achats.
Les patients, les médecins, et même
l’industrie, sont tous responsabilisés en vue de promouvoir l’utilisation
des médicaments moins chers et de qualité. Mais si les pharmaciens ne
jouent pas le jeu, tous ces efforts risquent d’être perdus en grande
partie.
Depuis
le 1er octobre 2005, les médecins peuvent prescrire sans mentionner le nom
de marque du médicament. A sa place, ils écrivent sur l’ordonnance le nom
scientifique de la molécule active, ce qu'on appelle la Dénomination
Commune Internationale (DCI). Lorsque le patient se présente avec cette
ordonnance DCI chez son pharmacien, sans marque de médicament, celui-ci
peut choisir, en concertation avec le patient, le médicament le plus
adéquat. Dans son choix, la législation lui impose de tenir compte de
l'intérêt du patient, à la fois sur le plan thérapeutique et financier. Si
le médecin prescrit en DCI, le pharmacien n’est plus obligé d’avoir toutes
les marques en stock. Il a ainsi l’occasion de délivrer les médicaments
moins chers, ce qui est tout bénéfice pour le patient et pour l’INAMI.
Test-Achats a enquêté pour savoir dans quelle mesure les pharmaciens
proposent effectivement les médicaments moins cher. Et les résultats sont
décevants.
Le médicament le moins cher
rarement proposé
Bien
que limité à un échantillon de 140 pharmacies, le constat est
interpellant. Face à une ordonnance en DCI pour un antibiotique très
courant, il n’y a que deux pharmaciens qui ont délivré le médicament quasi
le moins cher et 119 pharmaciens qui ont délivré un médicament 48 % plus
cher pour le patient par rapport au meilleur marché. Résultat : un coût
plus élevé pour les patients et pour l’INAMI de plusieurs millions d’euros
(extrapolé pour toute la Belgique).
Alors
que, grâce à différentes campagnes d'information, telle que notre campagne
«Ne loupez pas les médicaments moins chers, ils sont de qualité», les
patients prennent conscience du fait que les médicaments moins chers sont
équivalents aux médicaments plus coûteux, alors que des médecins font
l’effort de prescrire en DCI pour permettre au pharmacien de ne pas devoir
stocker plusieurs marques de médicaments, et de pouvoir délivrer les
médicaments moins chers, ces efforts sont finalement annihilés, en partie,
par le pharmacien dans le cas où il délivre un médicament plus cher. C’est
particulièrement frustrant pour les médecins qui prennent le temps de
prescrire en DCI et de l’expliquer à leur patient.
Les médecins responsables non respectés
En vue
de maîtriser les dépenses de médicaments, le gouvernement a, en même temps
que l’introduction de la prescription en DCI, responsabilisé les médecins
pour les encourager à prescrire des médicaments moins chers ou en DCI.
Chaque médecin devra atteindre un pourcentage minimum de médicaments moins
chers sur le total des médicaments prescrits au risque d’être évalué par
une commission spéciale. Chaque médecin a aussi reçu le profil de son
comportement prescripteur dans le passé pour pouvoir mieux se situer.
Pour
pouvoir évaluer correctement le profil prescripteur de chaque médecin, il
faut donc enregistrer correctement ses prescriptions. C’est pourquoi nous
avons exigé que le pharmacien soit tenu de mentionner explicitement toute
prescription en DCI de chaque médecin. Mais si ces prescriptions
n’aboutissent que rarement à la délivrance du médicament le moins cher …
qu’en est-il de l’enregistrement correct des prescriptions en DCI dans les
statistiques où figureront ces prescriptions ? En tout cas, il serait
légitime que les médecins responsabilisés sachent comment les pharmaciens
ont exécuté leurs prescriptions en DCI.
Pourquoi ne
pas responsabiliser aussi les pharmaciens?
Pour
la prescription DCI, le pharmacien peut pleinement jouer son rôle de
conseiller. Il peut tenir compte des paramètres financiers pour le patient
et l’INAMI ainsi que de l’intérêt thérapeutique du médicament. Mais si
cette liberté de choix ne réduit pas sensiblement la facture du patient et
de l’INAMI, si des produits encore trop chers sont systématiquement
délivrés aux patients… on peut se poser des questions sur le succès des
produits que le pharmacien conseille.
Pour
responsabiliser le médecin et le patient on a misé sur la transparence :
transparence sur la différence des coûts pour le patient, transparence sur
le comportement prescripteur du médecin. Pourquoi ne pas rendre aussi le
comportement de délivrance du pharmacien plus transparent ? Les données de
facturation le permettent. Il est possible d'établir le pourcentage de
médicaments moins chers délivrés par pharmacie. Rien de tel que la lumière
du jour pour identifier les comportements responsables.
Pour
que les médicaments les moins chers soient acceptés, il faut la
participation de tous et de chacun, le patient, le médecin prescripteur et
le pharmacien! Si ce dernier ne joue pas le jeu, il faudra aussi l’évaluer
et le responsabiliser.
Jean Hermesse
Secrétaire National
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