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Éditorial (17 février 2005)

 

Il faut remettre l’industrie du médicament à sa place

 

La polémique fait rage entre l’industrie pharmaceutique et les ministres du budget et des affaires sociales. Face à l’ampleur du dépassement du budget des médicaments en 2004, plus de 330 millions d’euros (!), des mesures d’économie s’imposent. L’industrie brandit des menaces sur l’emploi, la recherche et l’accès aux nouveaux médicaments. Qui dit vrai ? De quoi faut-il vraiment avoir peur ?

 

Décidément, les années se suivent et se ressemblent. Chaque année, les dépenses en médicaments sont supérieures au budget fixé. De 1995 à 2004, ces dépassements représentent de manière cumulée plus de 2 milliards d’euros ! Le rythme de croissance, 7,3 % par an sur cette période, est insupportable pour les finances de la sécurité sociale. Ramener la croissance du secteur des médicaments à un taux raisonnable est essentiel pour préserver la qualité de notre système des soins de santé.

 

Des médicaments trop chers

Le Ministre Demotte veut tout d’abord agir sur le prix des médicaments en ramenant le remboursement de tous ceux appartenant à un même groupe thérapeutique à celui du médicament générique. Les firmes seront ainsi forcées de revoir leur prix à la baisse.

En réponse, l’industrie brandit la menace d’une réduction des investissements en recherche et donc des emplois et finalement des profits. Pourtant d’après le magazine économique très réputé “Fortune”, l’industrie pharmaceutique est classée depuis 10 ans en tête de toutes les industries en termes de rentabilité atteignant 18 % en 2001 alors que la valeur médiane des 500 premières entreprises n’était que de 3,3 %. Dans ce même article, on révèle que le pourcentage du chiffre d’affaires consacré à la recherche est de 11 %, alors que le budget consacré au marketing et à la publicité est de 27 %.

Publicité, marketing, profits, tout cela est compris dans le prix du médicament et remboursé par l’assurance maladie obligatoire. En limitant fortement ces frais ou même en les supprimant et en ramenant les profits à des taux plus raisonnables, on pourrait ainsi sérieusement réduire le prix du médicament sans léser les patients. Ce n’est pas utopique. Un consultant expert dans le secteur pharmaceutique financé par l’ensemble des mutualités de Belgique, de France et des Pays-Bas a démontré que de nombreux médicaments pourraient être fabriqués et mis sur le marché 40 % moins chers que les médicaments génériques.

 

Une consommation trop élevée

Même si comparativement à la moyenne européenne, le prix moyen de l’ensemble des médicaments, génériques compris, est plutôt bas, les dépenses pharmaceutiques totales par habitant sont très élevées en Belgique, plus de 500 euros par habitant par an (!), loin devant les pays nordiques, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Près de 18 % du budget des soins de santé est ainsi consacré aux médicaments. Dans d’autres pays, cette part n’est que de 11 % sans que cela se traduise par une espérance de vie moindre.

Le prix moyen modéré de l’ensemble des médicaments en Belgique est donc largement compensé par une surconsommation manifeste. Les analyses internationales l’attestent, la Belgique est championne en prescription d’antibiotiques et d’antidépresseurs. Et ici, les pratiques médicales sont en cause, sans doute parce qu’elles sont mises “sous pression” par la politique de marketing des firmes.

Grâce au recueil systématique des données de consommation des médicaments par patient et par prescripteur, on peut aujourd’hui très précisément identifier les profils de prescription des médecins, et les comparer aux recommandations de bonne pratique médicale. Ces profils seront communiqués systématiquement aux médecins, mais que faire si ces communications ne conduisent pas à une modification des pratiques ? Car en tolérant ces pratiques, on autorise aussi que les “sous-consommateurs” actuels pourraient prescrire plus. Nous comprenons l’opposition du corps médical à toute sanction financière en cas de surprescription, mais lorsque l’abus est manifeste, est-ce que la seule persuasion morale suffira ? Tenu depuis plusieurs années, le discours de la prise de conscience vertueuse ne semble pas tenir ses promesses. Face à l’ampleur du déficit, il y a urgence, des mesures plus directes s’imposent.

 

Les patients risquent-ils d’être privés des innovations ?

Il faut tout d’abord relativiser la réalité des vraies innovations. Depuis plusieurs années, contrairement aux effets d’annonce de l’industrie pharmaceutique, la revue scientifique indépendante PRESCRIRE, “constate l’absence de toute nouveauté importante”. Cela s’est également confirmé en 2004 à la Commission de remboursement des médicaments de l’INAMI, où les dossiers pour lesquels une certaine plus value a été reconnue se comptent sur bien moins que les doigts d’une seule main. Il faut également constater que, malheureusement, aujourd’hui l’innovation et la recherche sont orientées essentiellement par les perspectives financières des firmes et non pas par les besoins de santé des populations.

Mais plus fondamentalement, les innovations ne se limitent pas au seul secteur pharmaceutique ; on peut aussi innover dans l’organisation des soins, la communication entre patient et soignants, dans la nutrition, l’encadrement des personnes âgées dépendantes …. Faut-il rappeler que le gouvernement a trouvé difficilement 375 millions d’euros étalés sur 5 ans pour conclure un accord social avec le personnel soignant permettant entre autres la création de 10.000 emplois alors qu’en 2004, en une seule année, le dépassement du secteur pharmaceutique a été de 335 millions d’euros, pour créer combien d’emplois ? Dans un budget limité, il faut établir des priorités et des choix.

Malheureusement, la procédure d’acceptation et de remboursement du médicament est devenue un circuit à part. Les propositions de remboursement à destination du ministre sont élaborées au sein de la Commission de remboursement des médicaments, dans laquelle les mutualités sont tout à fait sous représentées et ne peuvent donc pas y exercer correctement leurs missions sociales. Plus aucun dossier, plus aucune décision ne transite par le Comité de l’assurance de l’INAMI, et donc le débat fondamental sur les choix et les priorités en matière de soins de santé ne peut avoir lieu. Le Comité de l’assurance qui réunit tous les acteurs de soins est relégué dans un rôle passif de constat.

 

L’intérêt de la Santé Publique et le maintien de l’équilibre et de l’accès de notre système de soins doivent primer sur la logique commerciale de croissance de l’industrie pharmaceutique. Les mesures d’économie dans le secteur des médicaments sont raisonnables et nous les soutenons. C’est un choix de société. La santé n’est pas à vendre.

Jean Hermesse

Secrétaire National ANMC

 

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