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Éditorial (4 avril 2002)

Pour que les soins restent “humains”

Pénurie d’infirmières en France, en Angleterre. Médecins généralistes belges attirés pour travailler aux Pays-Bas. “Nouvelles” revendications salariales du personnel soignant en Belgique. Aurons-nous encore assez “d’humains” pour nous soigner ?

Avec la suppression progressive des frontières pour les travailleurs, les étudiants et les patients, et depuis l’équivalence des diplômes en médecine et en soins infirmiers, on assiste au sein de l’Europe à des mouvements de personnes en sens divers. Des infirmières espagnoles sont recrutées en masse pour combler les manques en France et aux Pays-Bas. Des médecins généralistes et spécialistes belges sont “débauchés” par ces mêmes pays pour travailler dans de meilleures conditions. Des patients anglais et hollandais, fatigués d’attendre (plus d’un an parfois), viennent se faire soigner en Belgique. Peut-on minimiser ces mouvements, simples épi-phénomènes ? Ou faut-il les considérer comme un sérieux avertissement ? Car sans mains les soins risquent de devenir inhumains.

Les soins humains prennent du temps et le temps a un coût

Soigner un patient prend du temps. Une “bonne” consultation chez le médecin prend et prendra toujours au moins une demi-heure. Soigner trop rapidement des plaies qui se guérissent aussi avec le temps (la nature cicatrise à son rythme) risque de réduire la qualité des soins et des résultats. On ne peut pas augmenter la productivité dans les soins de santé comme dans le secteur industriel car le temps de travail “humain” ne peut pas être réduit. Il fait partie du processus de guérison.

Il y a déjà 27 ans, pour illustrer cette vérité, l’économiste Baumol prenait en exemple la production d’un quatuor de Mozart. En 1793, pour produire un quatuor de Mozart cela nécessitait quatre personnes, quatre instruments de musique et à peu près 30 minutes. Aujourd’hui, pour produire ce quatuor cela nécessite le même nombre de personnes, instruments et temps. La productivité, c’est-à-dire, le nombre de morceaux de musique joués à l’heure n’a pratiquement pas changé en deux cents ans.

Mais, si la productivité ne peut pas être augmentée dans les soins de santé, si on ne peut pas réduire le temps des soins, si on ne peut pas soigner plus de patients par heure, alors le coût par patient ne peut qu’augmenter. Car les salaires du personnel soignant (et des musiciens) doivent rester attractifs pour leur garantir un niveau de vie contemporain. Les salaires doivent suivre le rythme d’augmentation générale des revenus. Le coût des soins, le prix pour un concert de musique classique vont dès lors nécessairement devenir plus chers en comparaison avec d’autres produits et services.

Les besoins en soins humains vont augmenter, alors que l’offre …

Faut-il encore le rappeler ? Le nombre de personnes âgées, de personnes seules, les maladies chroniques, les maladies de civilisation sont en augmentation. Les besoins en soins vont donc augmenter. Selon une étude récente de l’Institut Supérieur du Travail à Louvain, il faudrait 17.500 soignants de plus d’ici 2010 rien que pour faire face à l’augmentation du nombre de personnes démentes.

Et, dans le même temps, la durée du temps de travail diminue (voir les 35 heures en France), les soins deviennent plus spécialisés, des conditions de travail respectant la qualité de vie sont légitimement revendiquées, la féminisation du personnel médical modifie le temps professionnel, le numerus clausus accentue certaines pénuries. Toutes ces évolutions font que le nombre d’heures de travail disponibles pour soigner par médecin, infirmière ou aide-soignant diminue.

D’un côté les besoins en soins humains augmentent, de l’autre côté l’offre en heures de personnel soignant diminue. La tension monte, la bouilloire siffle, le couvercle se soulève, des débordements commencent à se manifester en tous sens.

Sans budget, sans personnel suffisants, l’accès aux soins humains se détériore

Si, suite à un manque de personnel soignant, les patients en “besoin” de soins sont confrontés à une longue file d’attente, nous risquons de connaître des dérives dont les mouvements européens de personnes signalés plus haut sont les premiers signaux. Des patients essayeront de contourner la file en cherchant à se faire soigner à l’étranger. Les médecins seront tentés de réclamer des suppléments d’honoraires pour soigner plus rapidement les patients en privé.

Les hôpitaux, pour attirer du personnel infirmier, seront tentés d’offrir de meilleures conditions de travail. Déjà, aujourd’hui, on assiste à une certaine dérégulation des conditions de travail. Les patients devront payer plus de leur poche pour recevoir un meilleur encadrement de soins. C’est déjà vrai pour les soins en maisons de repos.

Garantir un encadrement humain suffisant est donc essentiel pour garantir des soins humains de qualité. Cela coûtera nécessairement toujours plus car il n’y a pas moyen d’augmenter la productivité dans les soins de santé. Le budget des soins de santé augmentera car les salaires du personnel soignant doivent suivre l’évolution générale des salaires et de nouveaux emplois seront nécessaires pour absorber les réductions de temps de travail et faire face aux nouveaux besoins.

Peut-être faudra-t-il aussi réévaluer le numerus clausus en tout cas pour certaines spécialités, autoriser que certains actes puissent être délégués, revoir la nécessité de tous les actes techniques, mieux valoriser les prestations intellectuelles et… petit à petit coordonner les différentes politiques nationales.

Et, si le budget est insuffisant, alors, peut-être, que demain les soins humains seront réservés à ceux qui auront les moyens et l’information c’est-à-dire un bien de luxe.

 

Des soins, humains, évidemment ! Mais cela nécessite du temps et de l’argent. Si nous ne le finançons pas collectivement, les patients se débrouilleront individuellement. Que les actes suivent les discours!

 

Jean Hermesse

Secrétaire National