A suivre...
(21 novembre 2013)
La fièvre populiste des gens heureux
Le populisme
de droite est en train de se répandre dangereusement en Europe.
En comprendre les ressorts est indispensable pour y donner une
réponse démocratique et agir sur les signes avant-coureurs d’un
désastre annoncé.
“On ne peut plus minimiser
le populisme politique, lance Marc Maesschalck, professeur à l’UCL et
formateur à l’Isco (animation en action collective). En 2008, les partis
populistes remportaient 10 % des suffrages dans quatre pays européens.
Quatre ans plus tard, ils représentaient 15 % des voix dans 12 pays
d’Europe. Et dans trois d’entre eux, ils dépassaient même les 30 %.
Aujourd’hui, l’Autriche, la Finlande, la Norvège, le Danemark et les Pays-
Bas sont les cinq pays d’Europe où les scores des partis populistes et
eurosceptiques son t les plus élevés. Et ce sont aussi ceux qui se situent
dans les premiers pays classés au top mondial des indicateurs de bien-être
de la population”, constate-t-il. Ce qui fait dire au sociologue qu’il s’a
git là d’un populisme de gens heureux, de la prospérité.
Glissement vers le péjoratif
A priori, le populisme politique
devrait plutôt être de gauche. Il est d’ailleurs né au 19e siècle, d’une
part en Russie – sous la forme de révoltes paysannes contre le pouvoir du
Tsar – et d’autre part aux Etats-Unis – sous la forme de mouvements
politiques d’ouvriers ou d’agriculteurs. Il s’agissait en effet de défendre
les intérêts du peuple pris dans sa dimension sociale, le peuple souffrant,
méprisé par des élites politiques et économiques (ce qui renvoie notamment à
la lutte des classes). Ce populisme de gauche n’est pas mort, loin s’en
faut. Il existe encore, notamment en Amérique latine et en Europe de l’Est,
même s’il y prend des contours très différents. Plus près de nous, certains
partis d’extrême gauche surfent aussi sur la vague populiste et
protestataire. Cependant, contrairement au populisme de droite, l’idéologie
reste centrale : il s’agit de convaincre les classes populaires d’adhérer à
un projet politique. Selon Richard Lorent, sociologue, le terme de populisme
est d’abord réapparu dans les médias français au milieu des années 1980 pour
ne pas étiqueter le Front national de fascisme. Aujourd’hui, le plus souvent
associé au nationalisme ou à l’extrême droite, il abrite tant de
significations qu’on ne sait plus bien de quoi on parle. Concept fourre-tout
sur-employé dans le champ médiatico-politique, il se charge le plus souvent
d’une forte dose polémique destinée à disqualifier tout adversaire plutôt
gênant. Le populisme est devenu ainsi un terme péjoratif, bien loin de sa
signification originelle.
Protestataire et identitaire
En Europe de l’Ouest, le populisme
est avant tout un phénomène de droite. Il ne se réclame pas du peuple entier
; il se limite à la majorité silencieuse et s’adresse d’ailleurs à la masse,
au “peuple affect”, comme le définit Louis Carré, chargé de recherches au
FRS-FNRS et attaché au centre de théor ie politique de l’ULB. Le leader
charismatique qui prétend l’incarner exalte ce pe uple mythique. “Un peuple
fait d’honnêtes gens sans histoire, de tous ceux qui ont voué leur vie à
leur travail et à leur famille et qui aspirent à profiter du fruit de leurs
efforts dans la sérénité et la sécurité, décrypte le politologue Vincent de Coorebyter, (Le Soir, 11 avril 2012).
Cela englobe une partie des couches
précarisées, celle qui mérite qu’on lui porte attention . Et cela peut s’étendre jusqu’aux plus favorisés pour autant qu’ils aient le sentiment que leur
position est mise en péril, que le fisc ou les voyous menacent de leur
prendre leur dû, que l’immigration ou la mondialisation risquent de les
déclasser, eux ou leurs enfants”, ajoute-t-il. On sent poindre ici la
rhétorique du populisme faite de démagogie, de simplismes, puisant dans les
émotions, nourrissant la peur, s’inquiétant de tout ce qui menace les
acquis, désignant les coupables et les complices, renforçant la méfiance
envers les institutions traditionnelles, disqualifiant les
contre-pouvoirs... “Le populisme mange à tous les râteliers, dénonce Marc Maesschalck.
Ce qui le définit, c’est son combat, sa structure polémique. Il
tire à boulets rouges sur deux cibles en particulier : d’une part les élites
qu’il juge par définition incompétentes et impuissantes, et d’autre part les
profiteurs du système avec, comme coupables, les élites qui laissent faire”.
Le professeur de l’UCL souligne encore qu’il n’y a rien à trouver comme
idéologie derrière la mobilisation collective du populisme. Celui-ci n’est
porteur d’aucun projet politique lié à la construction d’un espace public.
Que du contraire. Les partis populistes sont électoralistes et montent des
machines de pouvoir performantes dans le seul but de faire des voix là où
cela les intéresse. A côté du “protestataire”, “l’identitaire” trouve bien
souvent une place de choix dans les discours populistes, observe Henri Deleersnijder, professeur d’histoire à l’ULg. “Le peuple entendu ici au sens
de nation est présenté comme menacé dans son homogénéité substantielle – ou
sa supposée pureté originelle – par ceux venus d’ailleurs”, explique-t-il.
Islam, immigration et insécurité sont ainsi les thèmes favoris qu’exploitent
les formations nationalistes, xénophobes et anti-démocratiques pour défendre
cette thèse de la nation en péril.
Réveiller la conscience
politique
On pourrait encore évoquer la
responsabilité des médias – audiovisuels en particulier – dans la crise de
confiance démocratique, en raison de la “tentation populiste inconsciente”
qui les envahit, comme le décrit si bien Marc Sinnaeve, professeur en
journalisme à l’Ihecs. La phase suivante est celle de l’action. Que faire
face aux populismes? “Il faut transformer les populations objets en acteurs
politiques, plaide Marc Marc Maesschalck. C’est le dos au mur que les
peuples se réveillent mais le risque est réel qu’ils se détournent des
partis et des structures organisées. Les partis populistes et
antidémocratiques opèrent comme les sectes. Ils disent aux gens:
‘réveillez-vous de votre incapacité politique’. Ils les embrigadent alors
dans leur processus de pouvoir”. Contre la force du populisme, les
organisations et mouvements sociaux ont un rôle important à jouer dans le
champ de l’information, de l’éducation permanente et de l’action collective.
Au de là des instances, ce défi nous concerne tous. Pour faire barrage à la
montée de l’obscurantisme.
//Joëlle Delvaux
>> Les experts cités dans cet article (à
l’exception de Vincent de Coorebyter) étaient orateurs lors d’une journée
d’étude organisée le 8 novembre dernier par le Centre d’information et
d’éducation populaire (Ciep- Moc) sur le thème des populismes. Les actes
seront publiés dans quelques mois.
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