Recherche :

Loading

La rédaction

Notre histoire

Newsletter

Nous contacter

Une erreur dans votre adresse postale ?
Signalez-le

Actualité

Culture

International

Mutualité Service

Santé

Société

Nos partenaires

Visitez le site de la Mutualité chrétienne

A suivre... (20 octobre 2011)

 

Nous ne sommes pas

des super-héros

Notre monde n’en finit pas de conjurer les risques de l’existence. Surtout sur le terrain de notre santé. Ne pas être malade, éviter les soucis physiques et psychiques, ne pas vieillir (ou le plus tard possible), voire repousser au plus loin la mort. En appui de cette quête, des recommandations multiples nous sont délivrées. Nous ne les suivons pas toujours et pour cause.

Notre ambition de vivre plus longtemps et mieux est certainement louable. Et l’on ne pourrait regretter l’espérance de vie qui est devenue la nôtre : un gain de 30 ans, si l’on compare avec le début du siècle précédent. En 1900, l’espérance de vie était inférieure à 50 ans, tandis qu’en 2000, elle atteignait 80 ans. Il n’est pas question de se passer de ces années gagnées. Surtout pour les vivre en bonne forme.

A tout être vivant, il échoit de mourir un jour. Tiens, faut-il s’en rappeler? Balayer les limites de la vie relève de l’illusion. De nos jours pourtant, la quête de la non-mort ou de l’éternelle jeunesse des corps se déploie comme une utopie bien pesante. La quête est insensée. Nous le savons tous pertinemment bien. Elle s’immisce pourtant dans nos quotidiens sous la forme d’injonctions préventives, dans nos inquiétudes ordinaires, dans nos manières de distinguer le bon du mauvais, dans nos prescriptions aux autres sur ce qu’ils ont à faire ou à bannir.

 

Prudence, prudence…

Les recommandations d’usage ne manquent pas, en effet. Chacun est interpellé en tant qu’homo medicus – tel que le décrivent le sociologue Patrick Peretti-Watel et l’économiste Jean-Paul Moatti(1). Nous voilà tous considérés comme auxiliaire médical de notre santé, responsable de notre “capital santé”. Ce capital, il faudrait le gérer dans un style épargnant très précautionneux, et éviter les attitudes du flambeur ou celles du joueur taxés d’inconscients, d’immatures.

Une foule de messages de prévention s’adresse à ce personnage imaginaire qui devrait nous habiter. Petit tour d’horizon de ce qui nous incombe au risque d’être blâmé pour comportement irresponsable ; une liste de conseils tantôt connus, tantôt surprenants, tantôt anecdotiques, tantôt fondamentaux: “(…) toujours scruter son corps à la recherche de signes menaçants,(…) éviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé ; on doit limiter la consommation de viandes rouges et de charcuterie ; manger quotidiennement cinq fruits et légumes (en prenant soin de bien les laver pour éliminer les résidus de pesticides); s’astreindre à une demi-heure d’exercice physique chaque jour ; modérer sa consommation d’alcool (et y renoncer pendant la grossesse); ne pas fumer; mais aussi, pour limiter les risques infectieux, porter un masque lorsque l’on est grippé, se laver les mains avant de faire la cuisine, avant de s’occuper d’un bébé, après avoir caressé un animal, pris les transports en commun, s’être mouché; ou encore, pour éviter les contaminations bactériennes, ne pas serrer la main d’un inconnu, se déchausser en entrant chez soi, fermer le couvercle des toilettes avant de tirer la chasse d’eau”. Un peu de tout.

 

Le danger se voit partout

Plus se développent les calculs probabilistes de cause à effet supposé sur la santé – à la faveur de la puissance des outils informatiques -, plus les facteurs de risques croissent en nombre et les sujets d’inquiétudes en parallèle. Ainsi, en traquant tous azimuts les relations statistiques entre le cancer du pancréas et d’autres données collectées auprès des patients, une étude épidémiologique concluait à la relation entre le cancer du pancréas et la consommation de café; boire du café devenant de ce fait une conduite à risque. Si l’étude a été critiquée par la suite, cet exemple témoigne de l’extension continue de la notion de risque et la liste toujours plus affinée de ce qui devient « conduites à risque ». Le tout sur fond de probabilité. Parce que, loin d’être systématique, la conséquence néfaste du risque pris est tantôt bien réelle, tantôt inexistante. Allons savoir…

 

Manque de volonté
et autres raisonnements

Force est de constater que “les individus n’incarnent ce modèle [de l’homo medicus] que très imparfaitement”. Est-ce une manière pour nous d’éviter de virer hypocondriaque, de nous alarmer pour un rien?  Ou souffrons-nous d’un déficit de volonté, comme certains le croient en pointant du doigt la pression des pairs, le mimétisme social ou la puissance addictive de substance ou de pratiques? Aux yeux de Peretti-Watel et de Moatti, il existe d’autres explications à nos conduites risquées que le manque de volonté. Parmi celles-ci, l’arbitrage que l’on peut poser entre des risques concurrents par exemple. Certains préfèreront – dans la balance coûts-bénéfices – prendre un risque pour leur santé, pour se préserver d’autres maux comme l’exclusion, l’excès de stress, la prise de poids. Autre cas de figure: pour éviter une prise de risque, on en prend d’autres. Un exemple: “pour ne pas risquer de s’éloigner du corps idéal(…), certaines personnes s’infligent volontairement des privations alimentaires”.

A bien écouter les uns et les autres, on pourra entendre ces raisonnements. Il n’est cependant pas toujours nécessaire de débusquer des risques concurrents ou substituables pour comprendre pourquoi nous adoptons des conduites à risques. Elles sont parfois simplement motivées par la recherche du plaisir. Une quête du plaisir qui n’est pas nécessairement “compulsive, frénétique et irraisonnée”.

“Nous sommes des êtres raisonnables et raisonneurs, prompts à justifier nos écarts de conduite, et dont les choix sont ancrés dans un contexte social – et ce contexte véhicule des valeurs qui ne coïncident pas forcément avec celles de la santé publique”, avancent Peretti-Watel et Moatti, en guise de conception alternative de l’homme. Le défi serait alors, pour les politiques de prévention, de renoncer à nous transformer en homo medicus discipliné, de mieux comprendre ce qui nous meut, de considérer aussi nos pratiques “vertueuses” avec davantage d’attention. Des études montrent que des événements heureux dans l’existence (familiaux, amoureux, professionnels…) peuvent créer les circonstances favorables à l’arrêt du tabac… Une hypothèse à explorer.

//Catherine Daloze

(1) P.Peretti-Watel et J.-P. Moatti, “Le principe de prévention. Le culte de la santé et ses dérives”, éd. du Seuil et La république des idées, 2009.


Réagir à cet article

Retour à l'index

A suivre 2011

A suivre 2010

A suivre 2009

A suivre 2008

A suivre 2007

haut de page