A suivre...
(15 septembre 2011)
Au-delà du drame, à Goma et ailleurs
Notre vision de certaines régions du monde, notamment le Nord Kivu
(République démocratique du Congo), s’alimente trop souvent de larmes et de
sang. Elle néglige, de ce fait, le dynamisme fascinant de la société civile.
Cette injustice pourrait inspirer la réflexion des journalistes et des
organisations humanitaires.
A travers le hublot du petit avion qui nous ramène de Butembo au Nord du
Congo, le volcan Nyiragongo s’éloigne tandis que, sous les nuages, on
découvre le lac Kivu. Ses eaux ont envahi le cratère d’un autre volcan,
éteint celui-là. Il donne aujourd’hui son nom à la ville : Goma. On se pose
brutalement sur la piste encore coupée en deux par l’éruption de 2002. Nous
voici dans la capitale du Nord Kivu, pour une mission d’appui au processus
mutualiste.
Ce qui frappe au premier abord, ce sont les nombreuses cicatrices de la
coulée de lave qui a défiguré la ville, et puis la poussière qui vole et
colle partout. “Vumbi” en est la traduction en langue locale, ce mot que les
gens répètent pour signifier leur ras-le-bol face aux travaux qui n’en
finissent pas. Entre les piétons qui se pressent dans tous les sens, et dans
une circulation débridée, notre véhicule slalome lentement, routes
pierreuses obligent. Les 4x4 de luxe à l’airco rutilant côtoient les “tchoukoudous”,
ces grosses patinettes en bois sur lesquelles on empile des marchandises. Le
contraste est saisissant.
Arrivés dans un des hôtels qui poussent comme des champignons au bord du
lac, une autre antinomie nous attend : l’eau ne sort qu’au compte-gouttes de
la douche mais la rapidité d’Internet est impressionnante. Simple accroc
momentané: l’eau courante revient vite dans les canalisations des hôtels de
standing, tandis que “les résidents se débrouillent soit en allant
chercher de l’eau directement au lac, soit en l’achetant à des revendeurs à
un prix dix fois supérieur à celui pratiqué par la Regideso (Entreprise
publique chargée de l’approvisionnement en eau)”.(1)
D’après le Comité international de la Croix-Rouge, plus de la moitié de la
population de Goma n’était pas desservie en eau potable en 2009.
Au Nord Kivu, comme dans d’autres provinces de la République démocratique du
Congo (RDC), la Mutualité chrétienne soutient des organisations qui se
battent pour améliorer l’accès des populations aux soins de santé sur le
long terme. Parmi les nombreux défis, la consolidation d’un mouvement social
capable de faire entendre sa voix auprès des décideurs politiques, des
prestataires de soins mais aussi des bailleurs de fonds internationaux, très
présents dans la région.
De récents ouvrages de la journaliste néerlandaise Linda Polman(2)
décrivent les coulisses de l’aide d’urgence. Elle revient sur la situation à
Goma après le génocide rwandais où, selon elle, certaines organisations
internationales présentes sur place ont fermé les yeux sur de graves dérives
pour que les dons continuent d’affluer. L’appel à une certaine prise de
distance par rapport aux images véhiculées lors de campagnes des organismes
humanitaires ne concerne pas seulement le Congo. Tout récemment encore, dans
un article à propos de la famine dans la Corne de l’Afrique, l’éditorialiste
Rasna Warah écrivait ceci: “Bien souvent, les journalistes ne vont pas
au cœur de l’histoire ou ne prennent pas le temps de faire des recherches
sur les causes d’une crise particulière. Les Africains ne sont pas très
présents dans leurs histoires, sauf en tant que victimes”.
(3).
Assurément, le Nord Kivu dans la presse belge se décline davantage en termes
de destruction que de reconstruction, en termes de drames que d’actions
positives. On ne compte plus les articles consacrés aux actes de violence et
au viol comme arme de guerre. A contrario, le dynamisme de la société civile
du Nord Kivu n’a pas l’honneur des Unes. Les propos de Pierre Salignon,
directeur général à l’action humanitaire de Médecins du Monde, donnent
plutôt à réfléchir: “la société civile locale n’a pas attendu les
organisations internationales pour être active.(…) Ces dernières doivent
savoir s’effacer tout en apportant leur soutien à ceux qui se mobilisent
pour les problèmes qui les concernent” (4). N’y a-t-il
pas là un véritable défi de communication pour les ONG internationales:
appeler au soutien de donateurs, sans utiliser les ficelles du sang et des
larmes? N’y a-t-il pas là un questionnement à avoir, tous, par rapport à ce
qui nous mobilise, ce qui nous pousse à donner, ce qui nous entraîne à agir
au Sud comme au Nord?
Au cours de notre visite, l’agitation et l’énergie qui règnent dans cette
fourmilière de plus d’un demi-million d’habitants nous ont marqués à plus
d’un titre. Les ressortissants de Goma, et du Nord-Kivu en général, sont
réputés pour leur dynamisme et leur débrouillardise. Ce n’est pas une
facétie. On ne compte plus les initiatives, associations et coopératives
lancées par une population décidée à s’en sortir. Un exemple parmi bien
d’autres rappelle ce versant de la réalité. En 2001, avec quelques amis, Déo
Katulanya, aujourd’hui président national de la Mecreco - Centrale des
mutuelles d’épargne et de crédit du Congo -, lance une première coopérative.
Son but : accompagner les gens dans leur lutte contre la pauvreté et dans
leurs actions de promotion du développement. Lors de l’éruption volcanique,
en 2002, il sera le seul opérateur à sauver l’argent de ses membres. Leur
confiance n’en sera que renforcée, et l’engouement pour ce projet décuplé.
Aujourd’hui, la Mecreco compte environ 70.000 membres à travers le pays.
Sur le site d’une agence de voyage basée à Goma, on peut lire ceci :
“Chers visiteurs, si vous avez cliqué sur notre site, c’est que vous
partagez une de nos passions: le tourisme, l’humanitaire et le
développement, la région des Grands Lacs!”(5) Peut-on
vraiment avoir comme passion l’humanitaire? A priori regrettable, tant il ne
devrait pas exister. A priori éphémère, tant il ne devrait pas durer. Sans
nier sa nécessité, n’est-ce pas l’humain qui devrait nous passionner
davantage?
//Caroline Lesire
(1) www.icrc.org/
(2) “Caravan crisis”, paru en 2010 et
“War Games: The Story of Aid and War in Modern Times”, paru
en 2011.
(3) “L’aide humanitaire, non merci” paru dans le
Courrier International du 12 septembre 2011.
(4) “Aidez-nous à nous organiser! : au cœur de la
société civile de Goma”, paru sur le site de la revue Humanitaire le 19
avril 2011 :
http://humanitaire.revues.org/index896.html
(5)
www.kivutravel.com
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