A suivre...
(4 septembre 2008)
L’école
subit
ou transforme
la société?
On connaît
les études PISA. Cette enquête internationale axée sur le suivi des acquis
des élèves avait mis en évidence les mauvais résultats des élèves
francophones dans les mathématiques de base et la lecture. Mais, estime l’Aped
(Appel pour une école démocratique), ces études ne nous donnent guère
d’information sur l’état des connaissances des jeunes à la fin du
secondaire.
Voilà
pourquoi l’Aped a réalisé une enquête auprès d’un peu moins de 3.000 élèves
des classes terminales de l’enseignement secondaire (enseignement général,
technique et professionnel) en vue de tester la maîtrise de savoirs
nécessaires à leur vie de citoyens actifs (1).
Faut-il s’en étonner? Les
lacunes sont importantes, même sur des questions qui font l’actualité.
Ainsi, seuls 45% d’entre eux
peuvent définir correctement le concept d’énergie renouvelable, beaucoup
confondant “énergie renouvelable” et “énergie produite par la nature” alors
que, précisément le pétrole, le gaz et le charbon ne sont pas renouvelables.
Certes on trouve 58% de bonnes réponses dans l’enseignement général, mais
30% seulement dans l’enseignement professionnel. On pouvait s’attendre à ce
que les carences des savoirs apparaissent plus importantes dans
l’enseignement professionnel mais “l’ampleur des lacunes a tout de même de
quoi faire frémir”, constate l’enquête.
Dans le domaine économique
et social, moins d’un élève sur quatre est capable de traduire un graphique
de croissances en pourcentages. Par ailleurs, seule une minorité d’élèves
(de 13% à 18%) ont une idée plus ou moins réaliste des écarts de revenus
dans notre pays. Soit les uns n’ont pas d’avis, soit les réponses sont
incohérentes, soit elles sous-estiment fortement les inégalités. Un élève
sur quatre ignore que le Congo a été une colonie belge. En histoire, moins
d’un élève sur quatre comprend l’importance historique de la machine à
vapeur au XIXe siècle. Un élève sur cinq dans l’enseignement général et près
d’un élève sur deux dans le professionnel ignore que les noirs d’Amérique
sont les descendants d’esclaves.
Inégaux face à la citoyenneté
Cette enquête montre encore
que les jeunes francophones ne font pas moins bien que les étudiants
flamands et que l’enseignement libre et officiel font pratiquement jeu égal.
Par contre, les différences entre l’enseignement général et l’enseignement
de qualification – surtout l’enseignement professionnel – sont énormes!
C’est que l’acquisition des compétences et des savoirs est largement
déterminée par l’origine sociale des élèves.
L’acquisition des compétences et des
savoirs est largement déterminée par l’origine sociale des élèves. |
De l’analyse de l’Aped, il
ressort que les élèves qui fréquentent l’enseignement de qualification et,
en particulier, l’enseignement professionnel, seront nettement moins bien
armés que les autres pour exercer leurs droits et leurs devoirs
démocratiques. C’est dans les compétences de type “sciences humaines”
(histoire, économie, problèmes sociaux...) que le fossé entre les types
d’enseignement est le plus profond.
Il apparaît aussi que
l’écart global entre l’enseignement francophone et l’enseignement flamand
est faible. Les élèves flamands font mieux que les francophones dans les
domaines scientifiques, socio-économiques et technologiques. Les
francophones font mieux en mathématique et dans les questions relatives à
l’environnement. En histoire, les deux communautés sont à égalité.
Par ailleurs, le fossé entre
autochtones et allochtones de deuxième génération est nettement plus
important en Flandre qu’en Communauté française, comme le révélait déjà
l’étude PISA. Pareillement, le fait d’avoir une langue maternelle autre que
la langue de l’école constitue, en Flandre, un handicap deux fois plus lourd
qu’en Communauté française sur le plan de l’accès aux savoirs citoyens.
Savoir pour changer le monde
De ces observations, l’Aped
constate que les exclus du “droit à la formation” sont avant tout les élèves
de l’enseignement de qualification, les élèves issus de famille populaire
et/ou de l’immigration et que les filles sont aussi fortement désavantagées
par rapport aux garçons: “Le système d’enseignement échoue très largement
à remplir ce qui devrait pourtant constituer sa tâche première: permettre à
chaque jeune de devenir un citoyen capable de prendre une part active dans
l’action démocratique et dans les luttes qui transforment le monde.” L’Aped
précise que lorsqu’elle parle de “système d’enseignement” elle ne désigne
pas sous cette appellation les “écoles” avec leurs traditions pédagogiques
et encore moins “les enseignants” avec leur stress et leur dévouement
pédagogique. Elle vise par là les structures, les moyens financiers et
matériels, les programmes, les directives…
Cela dit, le “système
d’enseignement” n’est pas seul responsable de tous les manques. Comme l’a
écrit Philippe Meirieu, spécialiste de la pédagogie, “la question
scolaire ne peut être pensée indépendamment même de notre société et, plus
précisément, du statut que cette société donne à l’enfance. Nous sommes face
à un phénomène complètement inédit: le caprice, qui n’était qu’une étape du
développement individuel de l’enfant, est devenu le principe organisateur de
notre développement collectif… Peut-on continuer à considérer l’enfant comme
un prescripteur d’achat, un public captif pour la publicité?... La liberté
d’expression des médias dans une démocratie ne doit-elle pas s’accompagner
d’un devoir d’éducation?... Ne faut-il pas mettre en place une relance de
l’éducation populaire pour faire pièce à la frénésie consommatrice en
matière de loisirs et de culture?...” Il faut oser se demander, affirme
Philippe Meirieu, “si l’éducation à la démocratie et à la toute puissance
du marché sont compatibles”. (2)
Christian
Van Rompaey
(1) L’enquête intégrale est téléchargeable sur le site de l’Aped
: www.ecoledemocratique.org
(2) Philippe Meirieu. L’école face à la barbarie
consommatrice (le Monde 22/03/2007).
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