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A suivre... (3 janvier 2008)

 

Travail et stigmatisation des chômeurs

L'absence de travail ou la perte d'emploi est une épreuve difficile. Surtout dans un contexte où les valeurs du travail, celles de l'effort individuel et du mérite personnel, sont mises en avant au point de confirmer l'opinion dominante selon laquelle les chômeurs ne peuvent qu'être responsables de ce qui leur arrive.

C'est décidément une tendance qui semble irrépressible: rendre les gens responsables de ce qui leur arrive ! Voici pourtant un livre qui prend le contrepied de cette thématique propre à alimenter les discussions au café du Commerce. Il est vrai qu'on trouve toujours des exemples qui permette de dire: “moi je connais quelqu'un qui…”  Mais la stigmatisation de tous les chômeurs, hélas relayée dans de trop nombreux meetings politiques ainsi que dans des groupes sociaux plus favorisés sur le marché de l'emploi contribue à donner des chômeurs une image négative. Qui s'est penché sérieusement sur les effets de cette stigmatisation sur les personnes privées d'emploi ?

Voici donc un travail de recherche universitaire qui remet en question le sens commun. Dans l'introduction de cet ouvrage de psychologie sociale, Travail, chômage et stigmatisation,  un travail collectif conduit sous la direction de Ginette Herman, VincentYzerbit, professeur de psychologie sociale à Louvain-la-Neuve, souligne à raison les dangers des analyses sommaires et l'urgence d'une réflexion de fond sur les conditions auxquelles doivent faire face les personnes désireuses de s'engager dans une activité professionnelle.

Les mesures prises en faveur de l'emploi tiennent-elles suffisamment compte des réalités vécues par les travailleurs en situation précaire? 

Bien souvent, les commentateurs se contentent de mettre en avant l'ampleur du chômage pour parler des transformations du monde du travail. Mais ce n'est pas la seule évolution qu'a connu le monde du travail. Dans les années soixante, l'emploi était encore réputé stable et il était exercé à temps plein, au moins dans les grandes industries. Mais aujourd'hui les mots clés de la situation des travailleurs sont diversité et flexibilité, voire précarité. Le travail est intérimaire, coupé, à domicile, “freelance”, (faussement) indépendant, informel… On parle aussi de “travailleurs pauvres” car le travail ne suffit pas toujours à procurer un revenu suffisant. La carrière devient fluctuante, morcelée, suspendue. Ce sont bien des situations à haut risque pour l'individu comme pour la société, constate Ginette Herman, car le chômage ne pose pas seulement des questions de pauvreté, voire de misère. Il “diminue les attentes et les activités des personnes qui le subissent, déstructure leur rapport au temps et les entraîne vers des formes d'apathie caractérisées. Devenues psychologiquement et financièrement démunies, ces personnes tendent à l'isolement, se vivent sans espoir mais aussi manifestent occasionnellement des explosions de violence.”

Cette approche du chômage par la psychologie sociale étudie l'ampleur des risques qu'entraîne une situation de précarité d'emploi. Elle analyse la manière dont leurs effets s'exercent sur les individus et cherche à identifier les processus qui permettraient de les réduire. Elle place donc au cœur de sa  recherche la manière dont les individus vivent la perte de leur emploi ou la dégradation de leur statut professionnel. Parler de la mondialisation, de la dureté de la compétition internationale, de difficultés conjoncturelles ou étaler des statistiques de chômage dans une région ou dans un secteur n'aide pas à comprendre la situation vécue par les travailleurs qui perdent leur emploi, c'est-à-dire la manière dont ils font - ou ne font pas - face à cette situation, comment ils réagissent au verdict social émis par leur entourage (les voisins, les amis, la famille) à propos de leur statut de chômeur, comment ils perçoivent les interventions de services privés ou publics censés les aider à retrouver un emploi, et quelles stratégies mettent-ils en place pour améliorer leurs conditions de vie individuelles et collectives.

Pour faire face aux coûts économiques et sociaux engendrés par le chômage, les pouvoirs publics de tous les pays de l'Union européenne ont mis en place de nombreuses mesures afin de réduire leur taux de chômage, de l'aide au démarrage d'entreprises aux mesures de soutien à la création d'emploi jusqu'aux efforts accomplis dans le domaine de la formation. Mais, cet ensemble permet-il de construire une politique de l'emploi qui tienne suffisamment compte des réalités vécues par les travailleurs en situation précaire, de leur identité sociale et de la stigmatisation sociale qu'ils doivent subir du fait d'être au chômage?

“Esthéticienne, électricien ou boulanger, le travailleur peut se référer au groupe professionnel dont il est membre et bénéficier du statut social que celui-ci procure. Mais placé au chômage, il perd une partie de ce  qui l'a défini jusqu'ici.” Une fois au chômage, les points de repère changent. Le travailleur se définit autrement que par le métier qu'il a perdu. Son image sociale est d'autant plus dévalorisée que, commente Ginette Herman, “l'évolution actuelle des politiques publiques d'emploi, au travers de ce qui est communément appelé “l'Etat social actif”, s'oriente aujourd'hui vers des pratiques qui accentuent fortement la responsabilité individuelle du chômeur."

 

Voilà donc un ouvrage utile dont les auteurs espèrent, malgré son caractère théorique, le voir déboucher sur la mise en route d'outils destinés aux politiques comme aux professionnels. Cet effort de recherche tranche en tout cas dans le débat actuel qui tend à réduire tous les chômeurs à des assistés. Ce travail met en évidence le poids personnel que constitue indéniablement la mise au chômage avec la perte de tous les avantages généralement reconnus aux travailleurs : le revenu et le sentiment de sécurité qu'il procure, mais aussi la reconnaissance d'un statut social.

Christian Van Rompaey

Travail, chômage et stigmatisation. Ginette Herman (et autres). Editions de Boeck 2007 (49 Euros).

 


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