A suivre...
(19 juin 2008)
Etre en
bonne santé,
une obligation?
Etre
en bonne santé, qu’est-ce que cela veut dire? Ne pas avoir contracté de
virus, ne pas fumer, ne pas boire, avoir un indice de masse corporelle ad
hoc... ? La liste des normes de santé peut être longue, et tout aussi longue
celle de ceux qui ne répondent pas à ces normes.
Chaque
époque, chaque société modèle sa vision de la santé, selon les valeurs
dominantes, selon les innovations technologiques, les rapports de forces…
(1). Si longtemps la santé était considérée comme l’absence
de maladie, d’abord d’un point de vue physique, puis peu à peu
psychologique, elle s’avance aujourd’hui davantage vers une définition en
termes de recherche d’un bien-être. Recherche parce qu’il s’agirait d’une
dynamique, non d’un état figé. Bien-être parce que les approches de la santé
se font plus globales prenant en compte le physique, le mental, le social.
On le perçoit alors,
“la santé est complexe”, comme l’écrit Philippe Lecorps (2),
de l’Ecole nationale française de santé publique. “Le sujet humain ne
peut se réduire à cet individu rationnel, linéaire, transparent qui attendra
la vérité de la science pour transformer ses comportements et attendre le
nirvana de la santé”. Une perfection d’autant plus inatteignable, que la
santé n’est ici plus considérée comme un état mais comme une dynamique, une
perspective vers laquelle tendre.
Des “hors-normes” interpellent
Reste que certains se
voient “stigmatisés” en leur qualité de hors-normes, de sanitairement
incorrects. Parmi eux émergent des “résistances”, des mobilisations à
contre-courant. Ainsi le relève Marianne Prévost, sociologue, chercheuse à
la Fédération des maisons médicales (3): des “a-normaux” se
rebiffent, s’insurgent contre la violence de certains messages médicaux,
refusent les étiquettes négatives, dénoncent la discrimination, récusent la
honte qui les habite. Marianne Prévost cite entre autres le mouvement des
sourds qui s’élève contre le dépistage précoce de la surdité, refusant
l’étiquette de malade ou de handicapé. “Ils invoquent la richesse de leur
culture, explique-t-elle. Ils pratiquent ici ce que les sociologues
appellent le ‘retournement du stigmate’: ce qui consiste à endosser
l’étiquette qui leur est donnée et à en faire un objet de fierté. Non les
sourds ne sont pas sous-instruits, sous-cultivés, en dehors du ’vrai
monde’(…)”
“Jusqu’où la société doit-elle guider les citoyens vers la vertu
pour faire leur bonheur?”
P. Tréfois |
La sociologue évoque
également les mouvements de gros, ou autour de l’obésité. C’est alors
“rondinet.com” qui nous vient à l’esprit, et ces rondinettes qui célébraient
avec pas mal d’humour le 6 mai la journée internationale sans régime.
Marianne Prévost cite, quant à elle, GROS, le groupe de réflexion sur les
obèses et le surpoids, une association de professionnels de la santé
(médecins, diététiciens, psys…). Ceux-ci constatent “l’ostracisme”en
matière “d’excès de réserves graisseuses”. “Dès le plus jeune âge, la
crainte de devenir gros isole ceux qui dépassent les courbes admises,
pointant d’emblée la différence.” “Manger, d’acte social, d’acte de
réconfort, devient un acte dangereux pour le poids et la santé”, s’alarment
les membres du GROS. En tant que soignants, ils rejettent toute approche
normative de l’obésité: “(…) notre objectif n’est pas de faire tomber des
records à coups de kilos perdus. Notre objectif n’est pas davantage de
rendre conformes des corps démodés.”
Et puis, il y a les
fumeurs, tout récents reclus. Dans un article intitulé “Fumeurs,
réveillez-vous”, le docteur Patrick Trefois, de l’asbl Question santé et par
ailleurs non fumeur, évoque leur stigmatisation (4).
S’adressant aux fumeurs, il leur demande “jusqu’à quand supporterez-vous
d’être désignés comme des tueurs (…), des inconscients et des suicidaires
(…) au mieux des malades incapables de résister à ce poison qui hante vos
pensées?” Et d’ouvrir largement le débat: “jusqu’où la société
doit-elle guider les citoyens vers la vertu pour faire leur bonheur?”;
de s’interroger dans la foulée sur l’attitude de l’Etat. Plutôt que
d’interdire la consommation de tabac, n’y aurait-il pas lieu de légiférer
par exemple sur le produit? Et la réflexion vaut pour d’autres domaines
comme l’alimentation.
Face à la responsabilisation croissante
De plus en plus, les
individus sont renvoyés à leur responsabilité personnelle. L’individu se mue
en “patient sentinelle”, selon l’expression reprise par l’anthropologue J.P.Dozon.
Celui qui fait face à ses devoirs de santé, qui a intériorisé les normes
comportementales. Mais, si a priori, la tendance semble être au renforcement
de la liberté individuelle, d’importantes pressions s’exercent pour agir
avec conformisme. A mesure que la liberté s’accroît, les indications sur ce
qu’il est convenu d’en faire s’accroissent dans la même proportion, relève
le juriste Bruno Dayez. D’après lui, l’interventionnisme de l’Etat n’est
qu’à ses liminaires en matière de soins de santé. Au nom de la dignité par
exemple, qu’avons-nous non plus le droit de faire, mais l’obligation de
faire?
Construire les
conditions pour que la santé des citoyens se déploye devrait être préféré au
développement d’interdictions, de réglementations qui stigmatisent les
personnes, les taxent d’immoralité.
Par bonheur, une part d’entre nous résiste à l’abus de normatif, une
part en chacun de nous sans doute aussi, sans pour autant délaisser
notre santé, en restant sensibles aux messages de prévention, en
évitant tout manichéisme.
Catherine Daloze |
D’après une journée d’étude organisée par Question Santé ce 6 mai: “Les
normes de santé: être en bonne santé, une obligation?”
(1) “Des concepts et une éthique”. Brochure de la collection
“Santé communautaire et promotion de la santé”.
Voir: www.sacopar.be
(2) “Ethique et morale en promotion de la santé”, Education
Santé, n° hors-série.
(3) “Quand les a-normaux se rebiffent”, Santé Conjugée,
n°41, juillet 2007.
(4) Education Santé, n°221, mars 2007.
|