Recherche :

Loading

La rédaction

Notre histoire

Newsletter

Nous contacter

Une erreur dans votre adresse postale ?
Signalez-le

Actualité

Culture

International

Mutualité Service

Santé

Société

Nos partenaires

Visitez le site de la Mutualité chrétienne

A suivre... (18 janvier 2007)

 


 

La santé, c'est capital !

 

La préservation de notre "capital santé" s'impose aujourd'hui comme une valeur ultime, constate le sociologue Gilles Lipovetsky. Mais, à qui incombe la responsabilité de l'entretien de ce capital santé? Jusqu'où la collectivité doit-elle s'engager? Quelle répartition entre la responsabilité individuelle et une prise en charge collective?

 

Telles étaient, entre autres, les questions proposées au cours des Entretiens de la santé d'âge en âge organisés en novembre dernier à Paris par Pfizer, premier laboratoire pharmaceutique mondial. Ces Entretiens avaient rassemblé des experts d'univers différents afin de réfléchir de manière croisée à la préservation de notre "capital santé" défini comme "un potentiel vital dont chacun dispose à la naissance et qu'il va ou non développer au cours de sa vie."

 

Pour maintenir la croissance, l'industrie de la santé doit
de plus en plus souvent s'acharner médicalement sur des individus sains.

D'emblée, la notion de "capital santé" à préserver, voire à développer, résonne comme une valeur libérale dont il reviendrait à "chacun" de tirer des dividendes. Alors, "où finit la prise en charge individuelle de la préservation de ce capital santé et où commence sa prise en charge collective ?" Les Français, auxquels l'IFOP, Institut français d'opinion publique, a posé cette question lors d'une vaste enquête de marketing, ont répondu de manière ambivalente: 73% pensent que la santé est une question "d'entretien et de vigilance" mais 50% attribuent la maladie à de la malchance.

Nos sociétés semblent saisies d'obsessions contradictoires. D'une part, la notion de "capital santé" déborde le cadre habituel de la notion de santé, définie traditionnellement comme l'absence de maladie, et cherche à convaincre chacun de nous d'adopter un mode de vie plus sain. L'argument santé est même devenu un puissant argument commercial. Préserver sa santé, c'est manger de manière équilibrée, réduire la consommation de sel, limiter les sucres, réduire les graisses, faire de l'exercice, ne pas fumer, goûter modérément à l'alcool, se soumettre à divers dépistages, mesurer de temps à autre sa tension et son taux de cholestérol… Mais, par ailleurs, dans notre "société de consommation", l'offre alimentaire ne faiblit pas et la sédentarité est le mode de vie imposé à la majorité de nos citoyens, produisant toujours plus d'obèses, de diabétiques, d'hypertendus, d'insuffisants cardiaques…

 

Pénaliser, récompenser

Alors, responsabilité individuelle ou responsabilité collective ? Il ne serait pas étonnant qu'une majorité se dégage pour affirmer que chacun a, en fin de compte, à quelques exceptions près, la santé qu'il mérite… au point d'affirmer qu'il faudrait peut-être songer à ne pas rembourser les frais de santé de ceux qui n'auraient pas adopté un comportement sanitaire correct. Ou, plus positivement, remercier ceux qui coutent moins cher à la sécurité sociale par des baisses de primes, comme cela se fait déjà dans certains pays.

Personne, bien sûr, ne peut affirmer qu'il ne faudrait pas préserver son "capital santé". Mais quelque chose a changé dans la manière de penser la protection de la santé. Si cette idée que nous devenons chacun entièrement responsables de notre capital santé s'est imposée avec tant de force, n'est-ce pas aussi que sa préservation apparaît aussi comme techniquement atteignable ?

La prévention "de papa", c'est bien fini. Il ne s'agit plus seulement d'entendre des conseils. Il convient aujourd'hui pour être moderne d'analyser, de tester, de prendre des médicaments préventivement… La préservation du "capital santé" passera par la petite pilule, rose, blanche ou bleue adaptée aux maux dont souffrent aujourd'hui, paraît-il, les bien- portants: "Pour maintenir la croissance titanesque de ces dernières années, l'industrie de la santé doit de plus en plus souvent s'acharner médicalement sur des individus sains. De grands groupes pharmaceutiques agissant à l'échelle mondiale et des associations de médecins organisés en réseau international redéfinissent ainsi le concept de santé: les épreuves naturelles de la vie et les comportements normaux sont alors systématiquement interprétés comme étant pathologiques. Les entreprises du médicament sponsorisent l'invention des tableaux cliniques complets et conquièrent ainsi de nouveaux marchés pour leurs produits." (1)

 

Créer des maladies pour vendre

Selon Le Monde diplomatique (2): "Il y a une trentaine d’années, le dirigeant, le très dynamique directeur de Merck, Henry Gadsden, alors proche de la retraite, confia au magazine Fortune son désespoir de voir le marché potentiel de sa société confiné aux seuls malades. Gadsden déclara alors qu’il rêvait depuis longtemps de produire des médicaments destinés aux... bien-portants. Parce qu’alors Merck aurait la possibilité de “vendre à tout le monde”.

Chacun doit prendre sa santé en main, assurément. Et, au nom de l'intérêt commun, les pouvoirs publics doivent informer le public et garantir sa protection. Mais jusqu'où aller dans la contrainte? Il ne faudrait pas négliger le fait que l'état de santé reste largement tributaire du niveau de formation, des conditions de vie et de travail. Une médecine qui n'encouragerait que la performance individuelle ne serait profitable qu'à ceux qui sont les mieux informés et qui ont des moyens financiers suffisants.

 

Voilà plus de 30 ans qu'Ivan Illich affirmait déjà que l'establishment médical était lancé dans un vaste entreprise de "médicalisation" de la vie, elle-même sapant la capacité des gens à affronter la réalité de la maladie et de la mort, transformant de trop nombreux citoyens ordinaires en malades: "Le système médical", écrivait-il, "prétend avoir autorité sur des gens qui ne sont pas encore malades". (3)

 

Christian Van Rompaey

 

(1) Jorg Blech. Les inventeurs de maladies. Actes Sud 2005 - 20 EUR.

(2) “Pour vendre des médicaments, inventons des maladies” Ray Moynihan et Alan Cassels - Le Monde Diplomatique. Mai 2006.

(3) Ivan Illich. Némésis médicale. Seuil 1975. Œuvres complètes rééditées en 2006 chez le même éditeur.

Réagir à cet article

Retour à l'index

A suivre 2006