Les maisons
médicales ont trente ans !
Au beau
milieu des années '70, quelques soignants estiment que
"mettre l'usager au centre du
système de soins" peut contribuer à construire un
"autre monde".
Aujourd'hui, la Fédération des maisons médicales et des collectifs de
santé francophones regroupe 71 maisons médicales en Communauté française.
Aujourd'hui, la Fédération des
maisons médicales emploie 900 personnes dont 300 médecins et 600
infirmières, kinésithérapeutes et psychologues pour soigner un peu plus de
220.000 patients, soit 3,4% de la population en Communauté française. De
nombreux jeunes médecins s’y intéressent dès leur formation car les
raisons qui ont motivé la création des premières maisons médicales sont
toujours d’actualité : développer une médecine proche des patients,
favoriser le travail en équipe et expérimenter d’autres modes de paiement.
Les maisons
médicales, c'est un projet de société qui vise à une médecine moins
dépensière, une meilleure prise compte du contexte social, l'accès pour
tous aux mêmes soins, la valorisation de la médecine de première ligne
ainsi que de la médecine préventive. Si, incontestablement, des progrès
ont été réalisés sur ces questions,
" le modèle hospitalier,
hiérarchique et autoritaire, dit-on à la Fédération des maisons
médicales, reste largement
dominant à la fois sur le plan financier, sur le plan de l’organisation
des soins, sur le plan de la formation des professionnels nécessitant un
travail de refondation de nos pratiques sociales et de nos pratiques de
santé".
C'est ce à
quoi s'est attelée la Fédération à l'occasion d'un colloque organisé dans
la vaste Aula Magna de Louvain-la-Neuve les 3 et 4 février derniers. Une
question cruciale, l'humanité des soins, traversait l'ensemble des débats
: "Devenir humain est-ce là
une des préoccupations primordiales de nos politiques de santé et de
pratique médicale, s'interroge Marie-Hélène Dutilleux, médecin à
Bruxelles (1). Notre pratique
médicale occidentale peut-elle vraiment assurer ce grand écart grandissant
d'une prouesse technique toujours plus époustouflante, subventionnée,
génératrice de qualité de vie mais aussi d'interpellations éthiques
majeures et d'une misère humaine et affective préoccupante ?"
Une telle
approche, explique Jacques Morel Secrétaire général de la Fédération (1),
nécessite une disponibilité, une organisation du travail et une formation
qui dépasse les possibilités de praticiens isolés. Aujourd'hui, comme il y
a 25 ans, elle ne peut être rencontrée que par la réunion de
professionnels issus de formations différentes… D'où l'idée de soins
globaux, intégrés et continus, à partir d'une équipe pluridisciplinaire,
réunissant au moins plusieurs médecins généralistes, une infrastructure de
secrétariat et d'accueil, des soins infirmiers, de la kinésithérapie, un
service social et la possibilité de recourir à un psychothérapeute.
Des
évolutions préoccupantes
Un
"carrefour citoyen" devait travailler sur la manière dont se croisent le
savoir des soignants et l'expérience des patients. Un autre prenait en
compte les multiples tensions suscitées par la volonté d'exercer dans les
maisons médicales une démocratie participative. Mais la santé n'est pas
seulement une question individuelle ! Avec le retour des inégalités
sociales, économiques et culturelles, les "déterminants sociaux" de la
santé se révèlent décisifs. Les nouveaux modes de consommation et de
communication, la commercialisation, les bouleversements économiques et
démographiques se répercutent sur les conditions de travail, sur les
structures familiales, sur le tissu social des communautés… Comment
s'imbriquent santé et social ?
Depuis 25
ans, notre système de santé doit également affronter la très forte montée
des coûts. La recherche d'une meilleure efficience pourrait aboutir, si
l'on n'y prend garde, à baisser la qualité des soins ou à restreindre
l'accès pour tous à des soins de qualité, comme l'a affirmé le nouveau
président du MOC, Thierry Jacques, rappelant que nous avons à faire face à
des évolutions négatives très préoccupantes :
"Il est même nécessaire, dit-il,
de se mobiliser pour assurer à notre sécurité sociale un développement
durable…Les récents gouvernements ont préféré faire la réforme fiscale qui
a conduit à réduire à néant les marges pour le social (…)Beaucoup de
retraités et d'allocataires sociaux s'aperçoivent de l’accroissement
constant entre leur revenu de remplacement et leur dernier salaire. Dans
les années 80 et 90, (…)la liaison au bien-être a été abandonnée (…) Et la
question communautaire donne à penser à beaucoup de francophones (mais
aussi de représentants des organisations sociales flamandes) que leur
niveau de protection sociale sera prochainement réduit ouvrant ainsi une
brèche au profit de ceux qui veulent privatiser la sécurité sociale ou
réduire les allocations."
Devant ces enjeux, de nombreux
participants ont approuvé l'idée d'organiser une nouveau type de formation
pour les professionnels de la santé, complétant la formation classique, en
mettant en place une faculté ouverte qui ferait le pont entre les
différents métiers de la santé à partir de l'expérience des travailleurs
de la santé.
Enfin, le ministre de la santé et
des Affaires sociales, Rudy Demotte, devait parler de la
"nécessité"
des maisons médicales, malgré
l'hostilité qu'elles suscitent encore dans certains milieux médicaux. Les
pratiques de groupe, devait dire le ministre, entrent tout à fait dans la
politique actuelle de revalorisation de la médecine générale.
Christian Van
Rompaey
(1)
Renseignements : Fédération des maisons médicales et collectifs de santé,
Boulevard du Midi, 25 bte 5 à 1000 Bruxelles. Tél.: 02/514.40.14. Fax :
02/514.40.04. Site Internet :
http://www.maisonmedicale.org
Afin de
soutenir la réflexion, la revue de la Fédération des maisons médicales
"Santé conjuguée" publie un numéro spécial dans lequel les contributions
de divers acteurs de la santé, des chercheurs et des observateurs du
travail social contribuent à
"refonder les pratiques" des maisons médicales pour la société
d'aujourd'hui (8,68 euros).