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A suivre... (2 juin 2005)

 

Les trois “non” français à la Constitution européenne

 

Les Français ont voté à près de 55% des voix contre le traité Constitutionnel européen. Il serait un peu court, comme certains tentent de le faire, de n’y voir que le résultat de querelles franco-françaises. Les Français ont indiscutablement dit “non” à l’Europe, ou du moins à trois manières de concevoir la construction européenne, comme nous le suggère Christophe Degryse, rédacteur en chef du bi-mensuel Démocratie (1) et observateur attentif des questions européennes.

 

1. Un “non” de mise en garde

 

Pour une part de ceux qui ont voté non, la “machine Europe” serait mal réglée et la Constitution européenne n’améliorerait pas fondamentalement ces mauvais réglages qui concernent principalement la gouvernance économique, la Banque centrale européenne, le pacte de stabilité, les procédures de décision dans le domaine fiscal. Ce n’est pas un non catégorique. C’est plutôt une mise en garde : l’Europe ne fait pas convenablement son job.

Pour l’économiste français Fitoussi (qui n’a pas pris publiquement position durant la campagne), l’Europe affronte simultanément quatre crises : crise de confiance, crise de croissance, crise des inégalités et crise de l’unité. Le projet de Constitution européenne n’apporte pas les remèdes escomptés et, ce faisant, nous risquons de “transmettre aux générations futures nos crises en même temps que l’incapacité de les résoudre”…

Les pistes de solution passent par un surcroît d’intégration notamment dans les domaines des politiques économiques et sociales. Toujours selon Fitoussi “nos pays ont associé leur destin dans l’Union européenne pour mieux résoudre leurs problèmes, pas pour être renvoyés à leurs difficultés nationales, car ils ont compris l’étroite imbrication entre politiques européennes et nationales. La promesse essentielle que les citoyens associent aujourd’hui à la construction européenne n’est plus la paix, c’est la prospérité. La délibération actuelle doit porter sur les moyens de mieux la tenir” (2).

 

2. Le “non” de rupture

 

Pour d’autres partisans du “non”, la Constitution est le dernier avatar d’une Europe en crise qu’il faut entièrement repenser. Ce qui manque aujourd’hui, c’est bien davantage qu’un meilleur réglage des politiques, c’est un véritable travail de réflexion, d’éclaircissement et de choix : il faut rompre avec le fonctionnement passé. Pour Paul Thibaud, philosophe, ancien directeur de la revue Esprit, “il y a donc lieu de faire (…) un bilan des manières d’être de l’Union, et pour cela de rompre le fonctionnement pour réfléchir, ce que permettrait un vote non.”

La rupture n’est donc pas avec l’Europe, mais avec le fonctionnement de cette Europe-ci, dont la Constitution est l’emblème. Le mode d’intégration tel qu’imaginé par les pères fondateurs ne marche plus : l’intégration économique n’aboutit pas à l’intégration politique. “La question n’est pas de compromettre ou non le succès de l’Europe, mais de reconnaître ou non sa crise, pour entreprendre de la surmonter. (…) C’est plutôt du côté du non qu’on sait qu’on est en Europe, dans l’Europe, que notre destin s’y joue, qu’on essaie de la prendre en main” (3).

Ce constat d’échec est également partagé par certains partisans du “oui”, comme en témoigne Edgar Morin, sociologue : “Nous sommes dans le “trou noir politique” ; nous sommes dans l’incapacité de concevoir nos contextes et le contexte même du référendum.” Néanmoins, ceux-ci diffèrent des partisans du “non” par leur stratégie : “Un vote négatif aurait à mon sens des conséquences négatives. Il ne susciterait toutefois pas le chaos : nous y sommes ; il l’aggraverait sans doute, mais surtout il tuerait dans l’œuf l’Europe politique, seule condition pour que l’Europe devienne européenne” (4).

 

3. Le “non” du changement de modèle

 

C’est le “non” le plus radical, qui estime que les fondements même de la construction européenne depuis 50 ans doivent être rejetés et remplacés. Ces deux fondements historiques sont, d’une part, la mise en place d’institutions supranationales et, de l’autre, l’intégration par le marché.

L’extrême droite refuse toute atteinte à la souveraineté nationale et rejette donc toute construction européenne autre qu’intergouvernementale. Sont en particulier dans le collimateur les institutions supranationales (Commission, Parlement européen) et politiques “communautarisées”.

L’extrême gauche et, désormais, une partie de la gauche “classique” rejettent l’autre fondement : l’intégration par le marché. Elles dénoncent l’économie de marché, la concurrence non faussée, la recherche prioritaire de la compétitivité.

Ces deux extrêmes ne se rejoignent pas, bien sûr ; le seul point commun que l’on peut mettre en évidence est leur rejet de l’un des deux fondements historiques de la construction européenne.

 

Au vu de ces différents “non”, les leçons du référendum varieront considérablement. Selon que l’on se place dans la perspective d’un changement radical de modèle, ou d’une simple amélioration des réglages de l’Union, les solutions préconisées seront, elles aussi, très différentes. Pourtant, à moins d’avoir simplement voulu casser l’Europe (ou, plus prosaïquement encore, changer de premier ministre), il faudra bien désormais sortir de l’impasse. Et donc transformer le “non hétéroclite” — mais qui a aujourd’hui la main — en propositions concrètes et négociables. Ce sera le deuxième pari du “non”, le plus difficile à n’en pas douter. S’il ne le gagne pas, sa victoire référendaire risque de n’apparaître dans l’histoire que comme un énorme gâchis.

 

Christophe Degryse

 

 

(1) Démocratie, bimensuel édité par le MOC pour promouvoir les débats de société. Renseignements: 02/246 38 01. Abonnement : 20 EUR par an.

(2) Fitoussi, Le Monde du 8 mai 2005 “La France européenne”.

(3) Paul Thibaud, Le Monde du 11 mai 2005 “Qui sont et où sont les bons Européens”.

(4) Edgar Morin, Le Monde du 11 mai 2005, “À quand une Europe visionnaire”.

 

 

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