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A suivre... (17 novembre 2005)

Une société d'individus ?

L’individualisme a mauvaise presse. On lui attribue la cause de beaucoup de nos difficultés. Et pourtant, l’individualisme, c’est aussi un vaste réservoir d’initiatives et d’engagement personnel.

"La société n’existe pas: il y a des hommes et des femmes, et il y a des familles". Cette affirmation très forte de Madame Thatcher, dans la ligne du libéralisme pur et dur, exprimait sans doute un objectif politique plus qu’une réalité. Mais cela voulait dire : on ne va pas s’encombrer des organisations sociales, ni des associations de toutes espèces, bref de ce que nous appelons la société civile.

Beaucoup de sociologues aujourd’hui, seraient prêts à souscrire à cette déclaration. Non pas parce qu’ils auraient des sympathies politiques pour la Dame de fer, mais parce qu’ils constatent que : "Nous sommes de plus en plus une société d’individus". Autrement dit, "vivre ensemble c’est de moins en moins "faire société", du moins au sens où nous l’entendons habituellement.

Certes, il y aura toujours une société, c’est-à-dire des gens qui se côtoient et qui, bon gré mal gré, doivent se concerter, cohabiter, se supporter, travailler ensemble, assurer leur sécurité commune… Mais, tiraillée en tout sens par les flux migratoires, les flux économiques, les flux d’informations qui passent au-delà de toutes les frontières territoriales, sociales, intellectuelles…, la société a bien du mal à fonctionner sans heurts et sans à-coups.

Y a-t-il donc «moins» de lien social qu’autrefois ?

Tout dépend du sens plus ou moins fort que l’on donne aux mots. Les liens entre les gens, les groupes sont sans aucun doute plus ténus, changeants, bougeant, flexibles… Mais cela ne signifie pas que les liens sociaux n’existent plus. Ce qui tend à disparaître, c’est le jeu croisé des obligations mutuelles, des devoirs réciproques, des engagements permanents.

Il ne faut donc pas prétendre trop vite à l’apparition d’une société atomisée, dans laquelle chaque individu serait seul face à la collectivité anonyme. Les cercles sociaux demeurent ou se recomposent. Les jeunes se retrouvent en groupes et en bandes. Des associations naissent et meurent. Le voisinage ou les collègues de travail entretiennent des relations bien réelles. Mais ces solidarités se rattachent de moins en moins à de grandes structures ou à de grands mouvements intégrateurs auxquels l’individu, ne serait-ce que par sa naissance, se savait rattaché.

Cette évolution vers plus d’autonomie, plus de fluidité, plus de liberté de choix dans les manières de vivre n’est pas sans risque pour l’individu car elle entraîne: "la dérégulation et la privatisation des tâches et des devoirs". Ce n’est plus de l’amélioration de la société qu’on attend seulement le progrès. Dans cette société "hypermoderne", où tout semble pouvoir être (ré)inventé, jusqu’à l’excès : la vie familiale, les liens sociaux, l’éducation, la santé, la liberté de conscience, les normes collectives : "C’est à l’individu de progresser, d’être chaque fois plus performant. Les contours de la société tendent à s’effacer." (1).

Mais, plus on met en valeur l’autonomie et la responsabilité personnelle, plus on constate la montée parallèle d’un sentiment de peur et d’insécurité : "Perspective formidable de libre déploiement personnel. Mais malheur aux vaincus et aux faibles! Car aucune structure ne viendra désormais épauler celui qui aura vu se déliter son tissu de relations. On a sûrement la chance de ne plus être enserré et contraint par les mailles d’un filet d’appartenances imposées. Mais rien ne vient plus, en revanche, servir de filet de secours et freiner les chutes." (2).

L’individualisme contemporain ne peut pourtant être réduit à ses excès et à ses dangers. On ne peut en rester à une dénonciation de l’individualisme négatif : "L’individualisme est aussi un humanisme" n’hésite pas à dire le sociologue de Singly (3). En effet, l’individualisme ne nous a pas apporté que des déboires : les Droits de l’Homme (liberté d’expression, liberté de conscience, respect des différences…) sont peut-être la première expression politique de l’individualisme positif. Par ailleurs, l’engagement personnel sous-tend de nombreux engagements solidaires. C’est de l’importance accordée aux personnes qu’est né le droit des enfants ou le droit des patients. John Dewey, philosophe pragmatiste américain n’hésite pas à écrire : "…les individus sont, en dernière analyse, les facteurs décisifs de la nature et du mouvement de la vie sociale… Je suis conduit à insister sur l’idée que seules l’initiative volontaire et la coopération volontaire des individus peuvent produire des institutions sociales qui protégeront les libertés nécessaires pour accomplir le développement d’une individualité véritable."

Ne s’agit-il donc pas aujourd’hui de réconcilier un «je» auquel on accorde tant d’importance, et d’un «nous» - quelque peu désemparé. Il nous faut penser les formes de la solidarité et du partage d’un bien-être commun, grâce à la mise en place d’institutions justes et efficaces, dans une société qui devient de plus en plus "une société d’individus".

Christian Van Rompaey

 

(1) Lire le dossier de la Revue des sciences humaines (novembre 2006): "Où est passé la société ?" (6,70 euros)

(2) "L’individu hypermoderne." Ouvrage collectif sous la direction de Nicole Aubert. Editions Eres 2004 (25 euros)

(3) "L’individualisme est un humanisme." François de Singly. Editions de l’Aube (10,90 euros)

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