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A suivre... (4 novembre 2004)

 

Reconnaître la “souffrance des soignants”

L’actualité a vu une nouvelle fois défiler le personnel soignant dans les rues de Bruxelles, réclamant une amélioration des conditions de travail ainsi qu’une augmentation de son pouvoir d’achat. Sans entrer dans une discussion syndicale, le dernier numéro de la revue Ethica Clinica, revue francophone d’éthique des soins de santé, nous livre quelques réflexions intéressantes sur la “souffrance des soignants” (1).

 

Christophe Dejours, dans un ouvrage bien connu (2), constatait combien la culture collective de la souffrance au travail est une réalité marquée d’une véritable “stratégie de dénégation”. Le management d’aujourd’hui, écrit-il, conduit trop souvent à interpréter les échecs au travail ordinaire comme “l’expression d’une incompréhension, d’un manque de sérieux, d’une insouciance, d’un manque de formation, d’une malveillance, d’une défaillance ou d’une erreur relevant du facteur humain…Ce jugement péjoratif retentit douloureusement sur le vécu du travail.” Le premier défi éthique, commente Marc Maesschalk est donc celui de la reconnaissance de la souffrance car “il met en cause les conditions d’une forme de vie juste.”

Mais de quoi parle-t-on au juste quand on parle de la “souffrance des soignants” ?

 

La souffrance au travail, dans le secteur tertiaire, n’a pas grand chose à voir avec l’exploitation de la force de travail physique des ouvriers. Par contre, gestion du stress, maux de dos, violences mentales… sont “les nouveaux syndromes de nos espaces de travail, révélateurs de nouvelles formes de souffrance liées à l’exploitation des ressources psychiques” comme cette exigence d’attention permanente, cette demande de compétences de plus en plus pointues, cette nécessité d’être de plus en plus polyvalent.

 

Lorsqu’on évoque la souffrance des soignants, on pense le plus souvent au burn-out spécifique aux métiers de la relation d’aide. Mais combien comprennent-ils que le burn-out des soignants est bien plus que ce que l’on désigne habituellement par le “mauvais stress” ?

Au départ, explique le docteur Michel Delbrouck de la Société Balint, le soignant se lance avec enthousiasme dans sa profession. Il ne compte pas son temps. Il est dévoué, courageux. Puis, les difficultés s’accumulent : pénurie de personnel, tâches répétitives, solitude, compétition professionnelle… Et s’il reçoit peu en retour au regard de son investissement personnel, le soignant s’épuise. Lassé, il s’interroge sur son efficacité. Il remet en question sa profession. Au-delà du stress, la marque de sa souffrance est celle de “la perte du sens du travail”. De l’épuisement émotionnel jusqu’au sentiment d’échec personnel, on voit apparaître le syndrome dur du burn-out : le soignant se détache de son patient qu’il considère de plus en plus comme un cas, un dossier de plus à gérer.

 

Alors, la souffrance des soignants “est-elle un problème médical, psychologique ou institutionnel”, se demande le rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica, Jean-Michel Longneaux ?

 

Le plus souvent, la souffrance des soignants est attribuée aux circonstances de travail : manque de personnel, salaire insuffisant, chef de service impossible, dispersion des horaires, contraintes administratives et légales pesantes, violence des patients… Tout cela est malheureusement vrai. Et, tout ce qui peut être amélioré dans l’organisation des soins doit l’être, bien évidemment. Mais cela suffira-t-il à mettre un terme à la souffrance des soignants ? Non, bien sûr, parce que “la souffrance des soignants obéit à d’autres lois … elle n’est pas simplement un problème à résoudre.” Dans l’hôpital le mieux organisé du monde et qui ne manquerait pas de moyens financiers, techniques et humains (on peut rêver !), “personne n’échappera à la souffrance dont nous parlons”.

 

Dans la profession de soignant, qui comme tout un chacun cherche à être heureux dans sa profession, il y a un profond désir d’être à la hauteur de ce qu’attendent les patients : un professionnel compétent et accueillant, capable de soulager et de produire du bien autour de lui… mais qui doit aussi être capable de tout supporter. Autrement dit, il doit être irréprochable ! Le soignant a aussi besoin de reconnaissance. Il doit se sentir aimé, soutenu, reconnu de faire tout le bien possible. Et enfin, le soignant espère en retour trouver le bonheur qui lui est dû, comme la juste récompense du travail fourni. Mais voilà, le plus souvent, ces souhaits (ces exigences) ne sont que des idéaux que l’on a pris pour la réalité alors que celle-ci est bien plus dure que celle imaginée. C’est alors que certains “font le grand écart”, dépriment ou adoptent des attitudes de fuite, de distance ou de violences.

 

Il faut donc d’abord reconnaître que la souffrance des soignants est propre à l’univers des soins, et que ce n’est pas celle du personnel ouvrier ou administratif. On ne peut donc la réduire à un problème institutionnel ou syndical tout en reconnaissant que le discours syndical et les règles institutionnelles sont des outils qui permettent à la souffrance de se dire.

 

Parler de la souffrance des soignants répond donc à une exigence éthique, écrit le philosophe Marc Maesschalk. On pourrait la définir comme “la recherche d’une vie juste pour chacun sur son lieu de travail.” Mais cela suppose un travail collectif de reconnaissance sociale. Avant même de mobiliser l’arsenal législatif, le droit social, le règlement de travail… il faut d’abord valoriser les ressources personnelles, multiplier les lieux de parole, redistribuer les pouvoirs afin de favoriser une organisation plus juste des institutions.

 

Christian Van Rompaey

 

(1) La souffrance des médecins et des soignants. Ethica Clinica, revue francophone d’éthique des soins de santé. Septembre 2004 - Rens: F.I.H.-W., Chaussée de Marche, 604 - 5101 Erpent (Belgique). Tél. 081/32.76.60 - Fax : 081/32.76.76 - e-mail : ethica.clinica@fih-w.be 

(2) Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale. Éditions du Seuil, 1998.

 

 

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