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A suivre... (1er avril 2004)

 

Individualisme et protection sociale

 

Recherche de bien-être, développement personnel, être bien dans son corps… le thème du bonheur individuel connaît un succès certain dans de nombreux magazines comme aux rayons des librairies. Au point de susciter un certain malaise. Un tel engouement pour les “recettes du bonheur” ne serait-il pas le signe d’un profond malaise de notre société de plus en plus marquée par l’instabilité, l’insécurité et l’individualisme ?

 

La recherche du bonheur est de toutes les générations. Mais à chaque génération correspond d’autres manières de rechercher le bonheur. Pour beaucoup de nos concitoyens, écrit le sociologue français de Gaulejac : “La vie est devenue une course individuelle – au bonheur, à la réussite, au développement personnel. Le bien-être tend à se déplacer du niveau social et politique au niveau individuel et psychologique ”.

Ainsi, les générations les plus jeunes n’entendent rien ou pas grand chose aux idées de leurs parents qui se projetaient le plus souvent dans un avenir collectif. Aujourd’hui, par peur d’être exclus d’une vie professionnelle, le bonheur se confond avec la “réussite”, ici et maintenant. Et celle-ci ne peut être que le résultat d’une compétition. D’où cette frénésie de vivre au jour le jour. D’où cette course permanente vers le “toujours plus, toujours plus vite”, à laquelle ne cesse de nous presser l’idéologie publicitaire.

 

Le changement est devenu une valeur en soi. On ne vénère plus les figures anciennes. Les traditions ne sont pas respectables par nature. On n’a pas à apprendre les leçons de l’histoire… La puissance, l’efficacité, l’originalité, la création se mesurent aujourd’hui à la vitesse des changements, largement amplifiés par le développement irrésistible des technologies de la communication. En fin de compte, il y a selon Nicole Aubert, professeur à L’École supérieure de Commerce à Paris une “surcharge du présent au détriment du passé et de l’avenir” (1).

 

Quelles en sont les conséquences dans la vie de travail, s’interroge Catherine Vincent journaliste au quotidien Le Monde (2) : “Dans l’entreprise, les personnes ne sont plus considérées comme une donnée, mais comme une variable. L’individu lui-même, bénéficiant d’une formation continue, doit être en perpétuel mouvement. Même pour ceux qui travaillent dans une entreprise publique ou dans une administration, et qui ne sont donc pas menacés de perdre à tout moment leur emploi, les effets de cette dynamique de changements incessants finissent par se faire sentir. Pas facile d’être confiant et sûr de soi quand les liens se défont sans cesse, et que l’on est censé faire, pour prouver ses compétences, à des demandes de plus en plus versatiles.”

Dans la vie privée, les personnes subissent également cette idéologie de “l’homme pressé”. Le GSM, c’est être là, disponible à tout moment (comme au boulot). L’Internet, la télé, c’est savoir tout (croit-on) tout de suite. C’est l’époque de la bousculade. Il n’y a plus d’horaires. Même en famille, on mange seul, à l’heure qui convient à chacun. Certes, cette mobilité, ce besoin d’être partout à la fois – capacité démultipliée par les messageries électroniques, les répondeurs, les portables… - n’a pas que des inconvénients. Elle favorise l’invention, la créativité. Mais les relations sociales en sont fragilisées. Le tissu social se détend. Les relations humaines sont peut-être plus nombreuses, mais on sait que la solidarité ne se mesure pas au nombre des rencontres mais à leur qualité.

 

Nos sociétés modernes, comme l’a bien vu Robert Castel (3), sont construites sur le terreau de l’insécurité - civile et sociale - “parce que ce sont des sociétés d’individus qui ne trouvent, ni en eux-mêmes ni dans leur entourage immédiat, la capacité d’assurer leur protection.” Elles se sont engagées à promouvoir les libertés individuelles, mais en même temps, elles ont installé les conditions de la vulnérabilité des travailleurs (en favorisant la mobilité, la flexibilité, les faux indépendants, les temps partiel…) et du même coup, l’effritement des liens établis entre le droit du travail et le droit à la protection sociale. Le développement de ce que Marcel Gauchet a appelé “un individualisme de masse” remet en question le fragile équilibre qu’avait réalisé la société salariale entre promotion de l’individu et mécanismes collectifs de sécurité sociale.

Voilà pourquoi “il faut s’efforcer de penser en quoi peuvent consister les protections dans une société qui devient de plus en plus une société d’individus.” écrit encore Robert Castel.

La puissance publique, poursuit-il, est la seule capable d’imposer un minimum de cohésion à la société. Il ne nous faut pas davantage d’Etat. On ne peut espérer reconstruire l’édifice imposant des années 70. Mais il n’en faut pas moins non plus ! Ce serait s’abandonner aux “lois” du marché. L’Etat doit conserver son mandat qui est de garantir, par des institutions justes et efficaces, l’appartenance de tous à une même société. Aujourd’hui, l’Etat ne peut qu’ accompagner cette montée de l’individualisme tout en restant un Etat “protecteur” car “dans une société hyperdiversifiée et rongée par l’individualisme négatif, il n’y a pas de cohésion sociale sans protection sociale.”

Christian Van Rompaey

 

 

(1) A la fin de l’année dernière, l’École Supérieure de Commerce de Paris avait organisé un colloque qui s’était interrogé sur ce thème : “Qu’est-ce que l’individu contemporain ?”

(2) Édition du 30/09/2003.

(3) Robert Castel. Les métamorphoses de la question sociale (Fayard 1995). Lire également sur ce thème des protections sociales et de l’individualisme un petit ouvrage éclairant et stimulant : L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? Editions du Seuil 2003. Collection La République des idées (9,50 Euros).

 

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