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A suivre (19 juin 2003)

 

Croissance de l’insécurité sociale

 

Alors que socialistes et libéraux belges affichent une certaine entente cordiale dans la mise au point du prochain programme gouvernemental, l’Europe sociale est en pleine ébullition. Réformes des retraites, révision des systèmes de santé, retour du chômage, mise en question des services publics, … il n’y a guère de pays européens qui ne se préparent à “repenser l’État social”.

 

Jusqu’à présent, malgré la virulence néolibérale des années 80, les principaux dispositifs de l’État social ont bien résisté. Mais, les réformes entamées dans les années 90, ainsi que le mouvement des idées qui les accompagne, “incitent à prendre au sérieux la thèse de transformations significatives… L’État social, sans être forcément en crise est en chantier” estime l’éditorialiste de la revue françaises Raisons politiques (1). Ces transformations laissent dans le désarroi ceux et celles qui en subissent les premiers les effets pervers : les ouvriers et salariés durement renvoyés chez eux, les cinquantenaires actifs “invités” à la retraite, les jeunes précarisés par le manque de travail, les familles aux moyens modestes prêtes à basculer dans la précarité au moindre accident de parcours…

La montée de l’extrême droite observée dans de nombreux pays européens est généralement expliquée par l’inquiétude que suscite la présence importante des étrangers et l’insécurité qui en résulterait. Mais comment ne pas y ajouter les traumatismes individuels et familiaux causés par les fermetures brutales d’entreprises, la désindustrialisation de régions entières, la remise en question de l’État social, les incertitudes internationales... qui sont autant de causes du développement de l’insécurité sociale ? Autant de traumatismes, de pertes de soi, de gâchis de vies individuelles oubliés derrière ce qu’on nous présente comme les incontournables impératifs économiques et financiers. Comme l’écrit Le Monde Diplomatique, même pour la social-démocratie au pouvoir dans plusieurs pays européens, “la politique, c’est désormais l’économie; l’économie, c’est la finance; et la finance, ce sont les marchés” (2).

 

La question sociale, et tout particulièrement la question de l’emploi, est-elle encore une véritable priorité ?

 

Répondre par la négative à cette question serait un aveu de méconnaissance totale du sentiment d’insécurité sociale que représente pour un travailleur la perte de son emploi. “Ce n’est pourtant pas, un effort intellectuel hors du commun que de faire le lien entre l’exercice d’un emploi pour un individu et ce qu’il en tire pour la conscience de son utilité sociale, et pour la reconnaissance que la société lui retourne, alors, simultanément, l’intégrant ainsi en son sein” écrit Henri Vacquin, sociologue des organisations, dans le mensuel Le Monde Initiatives de juin 2003. Voilà pourquoi, dit-il, il nous faut revenir sur le lien entre évènements économiques, industriels et les vies individuelles oubliées. La crise de l’État social que nous percevons dans les débats sur les pensions, la santé, l’enseignement, la mobilité… ne sont que les symptômes d’un mal plus profond, celui du rapport au travail ou, plus précisément, du travail considéré comme un des outils essentiels de la vie en société et créateur de valeurs collectives. En manifestant, voire en menaçant, les travailleurs rappellent qu’ils existent, à ceux qui ne les voient plus que sous la forme de mesures de reclassement, de train d’indemnités, de plan social, de mise à la prépension… “Perte d’emploi, perte de soi” titrait très justement l’un des ouvrages de la sociologue Danièle Linhart (3) dont les interviews qu’il contient montrent bien comment les plans sociaux détruisent la communauté de travail et laissent les travailleurs seuls face à leur avenir individuel!

“Là, comme en trop de choses, écrit Danièle Linhart, l’absence de prise en compte des fondamentaux de la société et de la démocratie, au profit du traitement à court terme, a créé une situation perverse.” Ainsi, est-il normal qu’aujourd’hui, dans le même temps, tant de jeunes sont au chômage et tant de travailleurs n’ont plus de vie professionnelle après 50 ans ?

 

C’est avec les premières grandes restructurations (notamment de la sidérurgie) que l’on a créé les premiers “inactifs cinquantenaires du privé”. La mise à la retraite anticipée est devenue aujourd’hui une manière socialement correcte de résoudre les crises. Elle est même devenue un droit pour les salariés, bien qu’elle soit maintenant contestée au niveau européen. Mais, quoi qu’il en soit, la “valeur travail” n’en sort pas grandie. Il suffit de voir à quel point certains aspirent à en finir au plus vite pour entrer à la retraite désormais vécue comme une compensation, voire une revanche au temps du travail et à ses “nuisances”. Revanche d’autant plus forte que ces dernières années les exigences de productivité, la responsabilisation individuelle, la compétition organisée entre travailleurs… ont fortement contribué à développer “la souffrance au travail”, et, plus largement à dissoudre l’avenir collectif au sein de l’entreprise. Or, le travail c’est aussi transmettre d’une génération à l’autre un savoir-faire, les valeurs d’un milieu social, des acquis professionnels comme des acquis sociaux. Mais aujourd’hui, les jeunes “remplacent” les plus âgés, plus qu’ils ne leurs “succèdent”.

 

Christian Van Rompaey

 

(1) Repenser l’État social. Raisons politiques (mai 2002). Presses de Sciences Po (N°6) -

(2) Le défi social. Collection Manière de voir (N°66). Une édition du Monde Diplomatique.

(3) Editions Eres, 2002.