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A suivre... (3 janvier 2002)

Apprendre à ralentir

Un jour, en excursion quelque part en Afrique, le psychiatre suisse Carl Jung, avait remarqué que les Africains se reposaient assez fréquemment durant le voyage. A sa grande consternation, il constatait que ses compagnons désiraient s’arrêter plus souvent qu’il ne lui semblait nécessaire…

Jung se garda bien de penser que ces Africains étaient des paresseux ! Mais il ne pu se retenir de leur demander pourquoi ils avaient besoin de se reposer aussi fréquemment. Leur réponse le laissa pantois : “Lorsque nous marchons sur ces pistes, nous nous arrêtons de temps à autre quand nous nous apercevons que nos âmes n’arrivent plus à nous suivre. Lorsque nous les avons trop distancées, nous attendons un peu, pour leur permettre de nous rattraper. Sans elles, nos idées deviennent confuses, et nous nous perdons.” Cette anecdote, rapportée dans un petit livre de réflexion de Siddhartha, journaliste indien, n’est pas sans portée pour notre monde d’aujourd’hui, toujours en accélération permanente. Les nouveautés technologiques, des plus sérieuses aux plus futiles, nous obligent à vivre de plus en plus vite que ce soit dans notre travail, dans nos manières de consommer, dans les loisirs… Or, “Lorsqu’on vit dans la précipitation permanente, il est difficile d’apprendre à ralentir” .

Savoir s’arrêter… et réfléchir. Voilà ce à quoi nous invite Siddhartha dans ses “Lettres du Gange” (1). Celui-ci parcourt la Planète. Engagé dans des mouvements sociaux locaux en Inde, mais aussi au plan international, il participe à l’effort de ceux qui veulent une “autre mondialisation” : “Un terrible tumulte du corps et de l’esprit, écrit-il, submerge le monde sur les traces du processus de la mondialisation…” Des traces dont les effets sont sans aucun doute bien plus visibles dans ces pays aux inégalités terriblement contrastées. L’échelle des disparités dans ce monde que l’on dit “globalisé” défie l’imagination alors qu’une petite fraction des richesses de la Terre suffirait à faire disparaître la pauvreté.

Des chiffres extraits du programme de développement des Nations-Unies, indiquent que les 100 personnes les plus fortunées disposent de ressources équivalant à celles de 40% de la population de la Terre. “De combien de ressources doit disposer une personne pour s’estimer satisfaite ?, se demande Siddhartha, Gandhi avait coutume de dire qu’il existait suffisamment de biens matériels pour satisfaire les besoins de tous les hommes, mais pas assez pour satisfaire l’avidité d’un seul.”

Voici un exemple précis, que l’on pourrait multiplier à l’infini, des effets pervers de la mondialisation telle que la conçoivent les partisans de l’économie libérale. Est-ce une bonne idée de suggérer aux paysans indiens d’abandonner les cultures vivrières, dont ils ont un besoin quotidien, pour la production (financièrement plus rentable) de fleurs destinées aux marchés du Moyen-Orient, d’Europe ou d’ailleurs ? C’est le marché qui doit déterminer ce que le paysan doit planter, affirment certains économistes. Selon cette logique, il serait donc normal d’abandonner la production de nourriture pour les populations locales pour passer à la production de fleurs pour les monarchies du désert.

Nous sommes là très loin du conseil donné par Gandhi à l’économiste indien Kumarappa qui lui demandait quels devaient être les critères d’un bon choix en économie. Gandhi lui répondit que lorsqu’on doute du résultat d’une décision politique, il fallait se demander si cette décision serait de nature à améliorer le sort du “dernier homme”, le plus pauvre de la communauté. Autrement dit, ceux et celles que les stratégies néolibérales oublient dans le processus de mondialisation actuellement en cours.

“Les réserves de compassion s’épuisent chez tout le monde, constate notre journaliste indien Siddhartha, surtout lorsqu’on n’est pas soi-même “le dernier homme”. C’est en effet, un des axiomes de la société postmoderne qu’il y aura des gagnants et des perdants… comme dans la courte histoire de “La fourmi qui cherchait le sens de la vie.”

… Une fourmi toute jeune, en quête du sens de la vie, remarqua au loin un attroupement, une petite montagne de fourmis entassées les unes sur les autres. Au milieu de la bousculade, on entendait un seul refrain : “Il faut arriver au sommet !” La jeune fourmi se jeta à corps perdu dans la mêlée, jouant des coudes pour arriver la première au sommet. La compétition dura plusieurs heures et il y eut de nombreuses fourmis blessées. A la fin, l’une des fourmis poussée par l’élan des autres, atterrit au sommet. Ce qu’elle vit la laissa ébahie. “Il n’y a rien, au sommet ! s’exclama-t-elle. Il n’y a rien tout en haut.” Au bout de la compétition libérale, il n’y a ni fraternité, ni solidarité.

Alors que faire ? Il ne suffit pas de s’indigner en disant : “ Mon Dieu ! Dans quel monde vivons-nous ?” Il s’agit de prendre parti : “Dans quel monde avons-nous choisi de vivre ?”

Christian Van Rompaey

(1) Lettres du Gange. Siddhartha. Editions de l’Aube. Collection Le monde en cours. Série Intervention (2001- 69 FF).