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A suivre (6 juin 2002)

Mondial 2002 : le mythe de la “fête sportive”

Sur les hauteurs de l’île de Cheju, en Corée du Sud, le tout nouveau stade de Seogwipo, adossé au majestueux volcan Halla, s’ouvre sur une mer parsemée d’îlots. Le site est grandiose. Ce n’est là qu’un des vingt nouveaux stades construits en Corée et au Japon, au prix de quelque 8 milliards de dollars… et pour lesquels on peut se demander comment ces pays, qui n’ont pas de tradition footbalistique, trouveront assez de spectateurs pour les remplir après le Mondial !

Ce n’est là qu’un des exemples, parmi tant d’autres, de la démesure du Mondial 2002.

La Coupe du monde de football est, sans aucun doute, depuis 1930, la compétition la plus prestigieuse au monde. L’audience télévisée cumulée pourrait atteindre cette année quelque 60 milliards de téléspectateurs. Mais alors que l’épreuve était autrefois une vraie compétition sportive, elle est aujourd’hui pour la Fédération Internationale (FIFA), une formidable machine financière qui se décline en produits dérivés, vente de billets, sponsoring, droits de diffusion astronomiques… Ainsi, TF1 a obtenu l’exclusivité du Mondial 2002 pour la France, et 24 matches du prochain Mondial de 2006, pour 168 millions d’euros, soit 6,77 milliards de francs belges. Par ailleurs, la dotation de la Coupe du monde 2002 se montera à 136,3 millions d’euros, soit une augmentation de 51% par rapport au Mondial 98.

Une fois encore, la fièvre s’est donc emparée de la planète. Et l’enthousiasme des nations jettera, une fois de plus, un voile d’ignorance sur l’irrésistible glissement du monde sportif professionnel vers sa commercialisation et une omnipotente médiatisation, les institutions sportives devenant des entreprises concurrentielles, avant tout “préoccupées de symboles et de rentabilité” (1). Comment dès lors le monde du sport peut-il continuer à véhiculer un modèle de juste compétition si les performances dépendent à ce point des investissements des sponsors, si les résultats des matches peuvent se vendre, si la corruption est active dans les plus grandes institutions sportives, si le dopage est un élément constitutif de la performance? Une commercialisation effrénée n’a pu empêcher des pans entiers de l’univers sportif de transgresser, sans trop de regret, des règles essentielles de l’éthique sportive. Mais pour que l’analyse du monde sportif ne reste pas enfermée dans un aveuglement idéaliste, il faut au moins surmonter trois difficultés (2).

• La loi du silence.

Rappelez-vous, quand Glassman, un joueur de Valenciennes, a dénoncé le “système Tapie” il a été considéré comme un briseur de rêve. Quant à Tapie, il déclarait tranquillement avoir fraudé non par plaisir, non pas pour s’enrichir, mais… parce que tout le monde le faisait. Il n’avait fait, disait-il, qu’ “améliorer” les procédures ! Glassman a été remercié pour son courage du bout des lèvres par les officiels du foot. Et celui-ci, malgré ses qualités reconnues de défenseur, n’a été repris dans aucune équipe de première division.

 

• L’incapacité de se remettre en cause.

L’étroitesse d’esprit de nombreux sportifs et de leurs dirigeants, ainsi que de journalistes sportifs qui refusent d’entendre la moindre critique, parce qu’il serait écrit quelque part qu’on ne touche pas à des “champions” qui consentent énormément de sacrifices, renforce les mécanismes de défense d’une institution en crise. Certains concéderont qu’il y a des «bavures». Mais, par-dessus tout, il s’agit de protéger le mythe de la « fête sportive », même lorsque celle-ci dérape dans la violence ou la triche. Ainsi, de coupable le sport devient la victime !

Quand les coureurs du Tour de France n’ont plus seulement été soumis à des analyses scientifiques de sang ou d’urine, mais à des procédures judiciaires et que des équipes entières ont été écartées de la course, les médias ont souvent pris la défense des champions sous le titre: “Le Tour aux arrêts. Qui veut tuer le Tour ?”.

 

• L’adhésion - médiatisée - de nombreuses personnalités en vue de leaders d’opinion.

Même les hérauts de l’humanisme s’y mettent. Personnalités politiques, universitaires… évitent de parler du sport réel avec ses dérives pour bavarder à propos d’un idéal sportif que l’on rencontre de moins en moins dans cet univers commercialisé à l’extrême. On sait pourtant que derrière cette conception angélique du sport se cachent des gestions frauduleuses, la pratique du dopage et la violence des stades.

Chaque soir, au terme de l’étape quotidienne du dernier Tour d’Italie, les résultats de l’étape étaient suivis des résultats… des tests de dopage. Violence et racisme ont envahi les stades. Le mythe d’un sport représentatif d’un modèle de loyauté, d’équité, de compétition juste, en a pris un fameux coup ces dernières années. Et pourtant…

Et pourtant, les sportifs comme leurs entraîneurs, comme l’immense public qui les soutient continuent à y croire sincèrement. Le monde sportif se donne encore des missions éducatives et humanitaires. Les plus courageux stigmatisent ceux qui transgressent les règles du jeu : le dopage, les caisses noires, la triche. Envers et contre tout le sport apparaît encore comme un idéal qui relève du sacré parce qu’il est dépassement de soi. Mais en voulant sauver le mythe, on n’aide guère au rétablissement de l’éthique sportive. La difficulté de la dénonciation réside dans cette question : “Jusqu’où peut-on dénoncer la transgression des règles sans que le spectateur ne perde le plaisir de voir?”

Christian Van Rompaey

(1) Le sport, la triche et le mythe. Un dossier publié dans la revue Esprit (janvier 99).

(2) La loi de la jungle, stade suprême du sport ? Jean-Marie Brohm (le Monde diplomatique, juin 2000)