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 A suivre (18 avril 2002)

Le gène humain, patrimoine de l’humanité

La société américaine Myriad Genetics cherche à s’assurer l’exclusivité commerciale d’un gène qui joue un rôle crucial dans le dépistage du cancer du sein. Vingt associations belges, dont l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes, soutiennent la démarche d’opposition introduite par les Centres belges de Génétique Humaine et le gouvernement belge contre ces brevets. Non, le gène humain ne peut pas devenir une marchandise exploitable commercialement.

 

Sur l’ensemble des cancers du sein et de l’ovaire, 5 à 10 % relèvent d’une prédisposition familiale. Pour la Belgique, cela représente environ 500 femmes par an. Or, 80 % de ces cas sont liés à une mutation du gène BRCA1. Cette découverte a été faite en 1994 par le laboratoire biotechnologique américain Myriad Genetics. Une découverte déterminante puisqu’elle a permis la mise au point d’un test permettant de déterminer chez une personne à risque si oui ou non le gène BRCA1 est affecté, et d’indiquer, le cas échéant, si des mesures préventives doivent être prises.

Myriad Genetics a tout de suite compris quels avantages financiers elle pouvait tirer du brevetage de ce gène, qu’elle a d’ailleurs obtenu pour tout le territoire américain. Concrètement, lorsqu’un centre médical, quelque part aux États-Unis, identifie une personne à risque, les échantillons à tester doivent être envoyés à Salt Lake City (1). La société américaine s’assure ainsi de rapides rentrées financières. A raison de 2.500 dollars le test, Myriad a déjà accumulé en 2001, entre 30 et 35 millions de dollars (2).

Il y a quelques mois déjà, l’Institut Curie, célèbre organisme parisien de recherche en cancérologie, s’est insurgé contre ce monopole. “Myriad veut imposer sa stratégie d’analyse du gène, laquelle n’est d’ailleurs pas la meilleure car leur méthode ne détecte pas les mutations de grande taille du gène”, dit-on à l’Institut Curie où l’on ajoute aussitôt: “Même si la société américaine améliorait sa technique, le problème de fond ne serait pas résolu: comment accepter qu’un gène d’intérêt médical fasse l’objet d’une exclusivité commerciale?” (2)

 

En Europe aussi

Cette exclusivité commerciale, Myriad Genetics a voulu l’étendre à l’Europe. L’an dernier, l’Office européen des brevets (OEB) lui a attribué trois brevets sur le gène de prédisposition au cancer du sein BRCA1.

A l’instar d’autres pays comme la France, le Danemark et l’Allemagne, les Centres belges de Génétique Humaine et le gouvernement fédéral belge ont décidé d’introduire un dossier en opposition devant l’OEB contre l’octroi de ces brevets. Ce dossier suit son cours mais son issue ne sera connue que d’ici deux à cinq ans!

A l’initiative des mutualités socialistes, une vingtaine d’associations ont décidé de soutenir cette démarche via une pétition. L’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes fait partie des signataires aux côtés de toutes les autres mutualités, du MOC, de l’ACIH, de la Ligue des Familles, du CRIOC, etc. (3)

Le premier argument contre ces brevets concerne la flambée du prix des tests. Aujourd’hui, en Belgique, ces tests sont effectués par les Centres belges de Génétique Humaine au prix unitaire de 292 EUR. La quote-part de la patiente est de 9 EUR, l’INAMI prenant en charge 283 EUR. Si le laboratoire américain devait obtenir le brevet exclusif, les Centres devraient obligatoirement faire réaliser les tests aux États-Unis pour un montant 10 fois plus élevé. Sans parler des frais de transport!

A côté du problème de surcoût, l’attribution de tels brevets représente un énorme danger pour l’avenir de la recherche scientifique et des politiques de santé publique. Le gène humain est et doit rester patrimoine de l’humanité, de la santé publique et de la recherche désintéressée. Du reste, les brevets octroyés à la firme Myriad Genetics sont contraires à la convention relative aux brevets européens, qui interdit la brevetabilité des méthodes chirurgicales, thérapeutiques et diagnostiques.

La stratégie commerciale de Myriad est inquiétante mais hélas, elle n’est pas isolée. A l’instar de Myriad qui s’est associé à l’Université de l’Utah, d’autres sociétés américaines de biotechnologies se lient avec des laboratoires universitaires pour renforcer leurs moyens de recherche. La dynamique commerciale envahit ainsi la recherche fondamentale et l’on voit se multiplier outre-Atlantique les brevets sur des séquences génétiques. Comme l’explique Maurice Cassier, sociologue au laboratoire Cermes du CNRS, “en biotechnologie, on observe un dérapage assez programmé qui aboutit à renforcer les droits de propriété industrielle et à renoncer à la distinction classique entre découverte et invention. Le simple fait d’isoler un gène ou d’extraire un micro-organisme de son milieu naturel et de les rendre disponibles est assimilé à une invention. Toute connaissance devient brevetable dès lors qu’on peut lui attribuer une utilité (...). Le danger est réel. Il ne pourra être écarté qu’en imposant des limites à la logique de marché qui met sur le même plan un gène, issu de millions d’années d’histoire évolutive, et une molécule chimique produite en laboratoire” (2).

Joëlle Delvaux

(1) Myriad exige, contrairement aux usages, que tous les tests de dépistage soient menés dans ses laboratoires de Salt Lake City. La société américaine refuse de vendre la licence à d’autres laboratoires.

(2) Le Nouvel Observateur - 7 février 2002.

(3) Le texte de protestation sera envoyé à l’Office européen des brevets. Les organisations et institutions désirant joindre leur signature au texte sont invitées à prendre contact avec l’Union nationale des Mutualités socialistes, Unité consumériste, rue St Jean, 32-38 - 1000 Bruxelles. dominique.plasman@mutsoc.be - tél.: 02/515.04.89