Recherche :

Loading

La rédaction

Notre histoire

Newsletter

Nous contacter

Une erreur dans votre adresse postale ?
Signalez-le

Actualité

Culture

International

Mutualité Service

Santé

Société

Nos partenaires

Visitez le site de la Mutualité chrétienne

A suivre... (1 mars 2001)

De la vache folle à l’homme

“La monstruosité n’est pas que la vache soit folle, mais que l’homme puisse la rendre telle.” Martine Rèmond-Gouilloud (1)

La perte de confiance des citoyens européens envers leur agriculture ne cesse d’être alimentée par d’inquiétantes nouvelles. L’imaginaire des consommateurs est désormais nourri de ces images quasi quotidiennes, fortes et écœurantes, de carcasses d’ovins et de bovins alimentant des bûchers aux quatre coins de l’Europe. Le soupçon s’installe partout, renforcé par des politiques indécises qui ne savent trop comment garantir la sécurité alimentaire. Les industriels ne peuvent pas davantage l’assurer et les scientifiques ne savent pas trop de quel côté se trouve la solution. La situation est paradoxale. Comment la chaîne alimentaire, qui semble être beaucoup plus sûre qu’autrefois du point de vue de l’hygiène, du conditionnement et de la conservation des aliments, peut-elle être à l’origine d’accidents qui nous traumatisent plus qu’hier ?

Les producteurs éperdus sont les victimes économiques de ces crises successives. Et les consommateurs, inquiets pour leur santé, s’interrogent chaque jour: “Que peut-on manger aujourd’hui sans courir de risque ?”. La perte de confiance est à la mesure de la croyance, donnée pendant de longues années, en l’infaillibilité du progrès technique (2). Aujourd’hui, après des décennies de développement productiviste et intensif, de plus en plus de politiques préconisent, comme Margareta Winberg, ministre suédoise de l’agriculture, d’en revenir à une approche plus extensive et plus biologique : “On ne peut plus produire de la viande pour la détruire ou même la stocker.”

Cette évolution bouscule le monde des paysans. Et les mesures générales de ces dernières semaines, qui sanctionnent les bons éleveurs comme les mauvais, apparaissent d’autant plus qu’elles les conduisent à la ruine. Et pourtant, comme l’expliquait à La Libre Belgique (3) le professeur Armand Thonon, responsable de l’unité d’Economie rurale à la Faculté des sciences agronomiques de l’UCL, les paysans n’ont fait que suivre ce qu’on appelle “le progrès” ! “Dans les années 50, explique-t-il, on a dit que l’agriculture devait réaliser qu’elle constituait un secteur économique comme un autre et ont a fait comprendre à ses acteurs qu’il leur fallait évoluer. Ils ont obéi, ont incorporé le progrès, se sont soumis aux lois du marché. Ils ont profité des techniques, éprouvées et contrôlées à tous les niveaux, qu’on leur proposait… On a dit aux agriculteurs, ne fabriquez plus vos aliments pour bétail, ceux que produit l’industrie agroalimentaire sont plus équilibrés, plus efficaces. Ils ont écouté. Ils n’avaient pas les moyens d’analyser les aliments qu’on leur fournissait…ils ont fait confiance aux produits du marché.”

De son côté, la Suède, qui occupe actuellement la présidence du Conseil des ministres européens, met en avant son “élevage d’exception”. “Dès les années 80, explique un paysan suédois à un journaliste du quotidien français Libération (4), “on a débattu dans tout le pays du contenu de l’animation animale. Un débat éthique. L’opinion a réagi très fortement pour dire que les vaches ne devaient pas se manger elles-mêmes. Une loi interdit l’utilisation de cadavres d’animaux comme nourriture de bovins. Et de toute façon, les paysans ont décidé d’eux-mêmes d’arrêter les farines animales. Mais il faut bien reconnaître que ça n’avait rien à voir avec la vache folle. On ignorait tout là-dessus.” De même, sous la pression de l’opinion publique, les paysans suédois ont renoncé aux antibiotiques dans l’élevage, pourchassé la salmonellose, interdit les graisses animales, renoncé aux produits génétiquement modifiés. Et pourtant, le débat sur la vache folle est aussi intense en Suède que dans les autres pays européens. Les parents s’inquiètent de ce qu’on propose à leurs enfants dans les cantines scolaires… C’est dire si la peur fait le tour de l’Europe.

Le mouton tremble, la vache devient folle… et l’homme dans tout ça ? La crise de la vache folle révèle crûment la “chosification” du monde vivant, commente Martine Rèmond-Goullioud (1). Elle “suscite une répulsion à l’égard de la rationalité productiviste appliquée au monde animal… la relation intime unissant les êtres vivants, désormais patente, indiscutable, invite à approfondir la relation entre l’homme et son contexte naturel et, sur le plan juridique au moins, à en réviser l’approche; l’environnement, rite de passage vers cet ordre refondé, a bien rempli son rôle, à l’avant-garde des interrogations de notre temps”. Il faut donc s’interroger sur les raisons du développement d’une psychose collective qui se fonde sur la conviction que les rapports de l’homme avec la nature sont pervertis tout en rappelant que l’urgence de mettre un terme aux crises alimentaires ne peut nous faire oublier que celles-ci restent moins meurtrières que le diabète, les accidents cardiaques, les accidents de la route, le suicide ou le sida !

Christian Van Rompaey

(1) Citation extraite de Entre bêtises et précaution dans la Revue française Esprit (novembre 97). Ce numéro contient un dossier intéressant sur le thème Après la vache folle : alimentation, santé, environnement : vers une politique de précaution. Martine Rèmond-Gouilloud travaille toutes les questions de responsabilités, entre science et droit.

 

(2) Les peurs de l’an 2000. Ignacio Ramonet et Les raisons d’une psychose de Denis Duclos dans Le Monde Diplomatique (Décembre 2000). 

 

(3) La Libre Belgique (mardi 27 février 2001).

 

(4) Libération. A signaler : Un numéro spécial de la revue scientifique française La Recherche (février 2001 - 285 FB) est consacré au “risque alimentaire”.

Consulter le site internet : www.larecherche.fr