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La nouvelle majorité silencieuse 

Le client est roi ! C’est bien connu. Le problème est que chacun voudrait être roi….

Qui n’est pas plus choyé aujourd’hui que “le client” ? C’est pour lui que l’on a inventé le concept de “qualité totale”, de “satisfaction totale”, de “zéro défaut”. C’est pour la satisfaction du client que le produit ou le service doit être disponible à l’endroit et au moment où il en a besoin, ou simplement l’envie. Au meilleur prix, bien sûr.

C’est lui que flatte la publicité. C’est lui que les journaux auscultent au stéthoscope de l’audimat. C’est lui que les grandes marques cherchent à “fidéliser” en répétant tout au long de l’année le coup du père Noël. Le client n’a jamais été couvert d’autant de cadeaux... qui camouflent d’énormes entreprises de marketing. Comme on dit, avec le cœur sur la main, dans les revues où on parle de la “science du marché” (c’est-à-dire du partage du gâteau) :  “le client est le patrimoine le plus précieux de l’entreprise”. Mais, plus encore, l’important n’est-il pas surtout d’offrir en prime une simulation du bonheur au milieu d’un tas d’avantages inutiles ?

Frédéric Beidgbeider, créatif repenti, dans un roman aux qualités douteuses mais dont l’actuel succès de vente résonne comme un signal dans le ciel des publicitaires reconnaît avoir pris plaisir à la magie qu’il y a à “donner envie à des gens qui n’en ont pas les moyens d’acheter une nouvelle chose dont ils n’avaient pas besoin dix minutes auparavant” (1). En cela, il confirme la réflexion du sociologue Jean Baudrillard qui écrivait, il y a une douzaine d’années déjà : “Il a longtemps suffi au capital de produire des marchandises, la consommation allant de soi. Aujourd’hui, il faut produire les consommateurs, il faut produire la demande elle-même et cette production est infiniment plus coûteuse que celle des marchandises...” (2)

Le bonheur ne s’est jamais autant affiché sur les murs de notre vie quotidienne. Le publicitaire Jacques Séguéla s’en régalait devant ses contradicteurs chaque fois qu’il passait sur antenne. Que les villes seraient tristes, disait-il, sans l’imagination des publicitaires… Et pourtant, écrit encore l’iconoclaste Frédéric Beigbeder : “Tu veux être allongé sur une pelouse et pleurer en regardant le ciel. La publicité a fait élire Hitler. La publicité est chargée de faire croire aux citoyens que la situation est normale quand elle ne l’est pas. Comme ces aboyeurs nocturnes du Moyen Age, elle semble crier continuellement : “Dormez, braves gens, il est minuit, tout va bien, du pain du vin du Boursin... Mini-Prix fait le maximum !”

La publicité, toutefois, ne fait pas que des heureux comme l’indique des enquêtes peu diffusées - il ne faut pas effrayer les annonceurs. Un sondage de Carat France indique ainsi que 61% de nos voisins français apprécieraient qu’il n’y ait plus d’écrans publicitaires à la télévision et 80% avouent “souvent ou très souvent” changer de chaîne quand vient la pub. La pub dans les magazines est moins critiquée. Ce n’est pas parce qu’elle plaît davantage. C’est qu’on peut plus facilement s’en détourner !

Le client est choyé comme un bébé. Les publicités fleurissent qui montrent comment un savon, un yaourt, un siège de voiture, … ont été pensés dans des laboratoires sophistiqués où on s’adonne dans une recherche scientifique pleine de sollicitude pour la protéger la peau du vieillissement, maintenir en forme un système digestif surchargé, ou le dos souffrant de ce cher client. On cherche à obtenir sa “confiance” à tout prix. Les mécontents sont remboursées sans discuter. Les financiers s’intéressent de près à son comportement. Ils n’osent quitter des yeux les courbes de la croissance de la consommation. Publicitaire, “Tu es à la pointe de la société de consommation et à la cîme de la société de communication” (1).

Rendre public...

Mais un beau jour, “l’idéologie du client” (3) se retourne. C’est pour le client qu’on “écrase les prix”... Mais, en écrasant les prix, on presse aussi les travailleurs, les employés, les cadres qui doivent tous être soumis à la cause de l’entreprise. Le client, quant à lui, n’aurait - semble-t-il, pas d’émotions citoyennes. Il se moquerait de ce qui se passe dans la boîte noire : que l’on délocalise l’emploi en Asie, que ses vêtements soient fabriqués à bas prix par des enfants dans le Tiers-monde, que des entreprises pétrolières soutiennent des régimes autoritaires ou polluent la mer… Peu importe, pourvu que les prix et les délais soient respectés. “C’est tout bénéfice”. Le pouvoir est dans le ticket de caisse ! On a pourtant vu plus d’une fois des entreprises d’ameublement, de sport ou d’habillement faire marche arrière devant l’action d’associations de citoyens/consommateurs. Celles-ci avaient alors pour seule arme... la publicité. Mais celle-ci n’avait cette fois plus rien à voir avec le rêve et la séduction. Il s’agissait bien au contraire de rendre public ce qui n’aurait pas du être dévoilé, à savoir les conditions de production des produits proposés aux clients occidentaux.

Derrière chaque consommateur, il y a, on l’espère, un citoyen qui veille. Celui-ci se réveillera le jour où il découvrira que le client exigeant et inconscient qu’il est parfois est aussi, en d’autres instants, le même travailleur “pressé” de faire preuve de souplesse, de flexibilité, de soumission. Mais pour cela il faudrait retrouver “le regard du social”, redécouvrir notre capacité de vivre ensemble, notre désir de faire société. Alors nous comprendrons à quel point l’univers de la consommation, et son alliée, la communication publicitaire, nous réduisent à n’être que des électrons libres sans autres attaches que les célébrations hebdomadaires du supermarché.

Mais les masses ne s’expriment plus. On les sonde, on les teste, on les met en cartes et en puces. “Le seul référent qui fonctionne encore, c’est celui de la majorité silencieuse, écrit encore Jean Baudrillard. Tous les systèmes actuels fonctionnent sur cette entité nébuleuse, sur cette substance flottante dont l’existence n’est plus sociale, mais statistique, et dont le seul mode d’apparition est celui du sondage. Simulation à l’horizon du social, ou plutôt à l’horizon de laquelle déjà le social a disparu.”

 

Christian Van Rompaey

 

(1) 99 F, Frédéric Beidbeder, , éditions Grasset 2000.

(2) A l’ombre des majorités silencieuses ou la fin du social, Jean Baudrillard, Editions Sens & Tonka (réédition 1997).

(3) L’idéologie du client , Pierre Lazuly, Le Monde Diplomatique 1998.