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A suivre... (3 mai 2001)

Pas d’apartheid dans les soins de santé

Comme Edouard Descampe l’affirmait dans un récent éditorial d’En Marche(1), le conflit qui oppose l’Afrique du sud aux firmes pharmaceutiques ne serait qu’un épisode de plus dans une guerre commerciale classique si l’enjeu n’était pas la survie de millions de malades qui ne peuvent se payer les médicaments essentiels au prix fixé par les multinationales de la pharmacie. Ce conflit est exemplaire parce qu’il oppose d’un côté le droit et le devoir des Etats à garantir l’accès aux soins, de l’autre le droit du commerce mondial qui vise certes à protéger la propriété intellectuelle des laboratoires pharmaceutiques, mais aussi de plantureux bénéfices.

En retirant leur plainte, les firmes pharmaceutiques échappaient du même coup à l’obligation de répondre aux multiples questions que se pose l’opinion publique internationale. Ainsi, le TAC (Treatment Action Campaign), une Ong sud-africaine militant pour l’accès aux traitements des séropositifs, avait demandé au tribunal que les firmes pharmaceutiques expliquent pourquoi les prix des médicaments pouvaient atteindre jusqu’à 20 fois leur coût de production et pourquoi les médicaments bénéficiaient d’une aussi longue protection juridique. Le brevet légal garantit en effet un monopole de production et de vente pouvant aller jusqu’à 20 ans. Selon les Ong, la protection par les brevets, destinée en principe à promouvoir l’innovation, se traduit en fait par des prix plus élevés pour le consommateur et plus de profits pour les fabricants. La durée moyenne de protection d’un brevet tourne actuellement autour d’une quinzaine d’années alors qu’elle était de 8 ans au début des années 80 ! Cette protection permet ainsi aux firmes pharmaceutiques de retarder la mise sur le marché de nouveaux génériques. Un procès en bonne et due forme aurait également permis de mettre en lumière leur stratégie commerciale ainsi que les importantes dépenses de publicité et de marketing, estimées généralement à 35% des budgets, c’est-à-dire au double des moyens accordés à la recherche et au développement.

Partager des biens qui ne demandent qu’à l’être

Les firmes pharmaceutiques, d’habitude plus avisées dans la promotion de leur image de marque, se sont égarées dans un combat perdu d’avance. Comment ont-elles pu imaginer qu’il était possible de défendre au yeux du monde l’idée que la propriété intellectuelle (et surtout les profits commerciaux qui y sont liés) pouvait prendre le pas sur le droit à la vie de millions de personnes ? Comment pouvaient-elles défendre l’idée que l’on pouvait tirer profit d’un cauchemar de santé publique ? Comment par ailleurs expliquer que les firmes pharmaceutiques se sont si tardivement rendu compte de l’impasse dans laquelle elles se sont fourvoyées… si ce n’est en constatant qu’elles ont agi dans cette affaire comme elles le font depuis longtemps dans d’autres situations qui ne bénéficient pas du même retentissement mondial que la pandémie du sida ?

En effet, combien de maladies endémiques dans les pays du Sud, totalement ignorées dans nos régions, ne bénéficient pas de la recherche des laboratoires pharmaceutiques ? (2) Peu de laboratoires commerciaux travaillent sur le paludisme qui ne concerne pas les pays riches (sinon les voyageurs). Les firmes ne produisent pas des molécules qui existent, faute de rentabilité. C’est le cas pour la maladie du sommeil ou les leishmanioses (parasitoses). De manière générale, informe Médecins Sans Frontières, il faut savoir que près de 17 millions de personnes dans le monde meurent des suites d’une maladie infectieuse dont 97% dans les pays en développement. Sur les 1.223 médicaments développés entre 1975 et 1997, seulement 13 sont utiles au traitement d’une maladie tropicale. A peine 8% des dépenses pharmaceutiques sont consacrés aux pays en développement alors qu’ils accueillent 75% de la population mondiale.

Les firmes pharmaceutiques avaient donc décidé de résister ensemble à la loi sud-africaine en affirmant que “les produits génériques sont des actes de piraterie”. Il s’agit, disent-elles, d’un vol intellectuel. Mais qu’est-ce que la “propriété intellectuelle” ? Peut-elle être mesurée de la même façon que l’on est propriétaire de sa maison ? A cette question, Daniel Cohen répond dans le quotidien Le Monde : “La propriété intellectuelle, écrit-il, est d’une tout autre nature que la propriété tout court…Mourir d’une maladie dont le remède existe déjà n’est pas comme envier le propriétaire d’une paire de mocassins…: ce n’est pas seulement injuste au sens ordinaire du terme, c’est inutile, “inefficient” au sens économique.” Pourquoi donc mettre des obstacles à partager des biens qui ne demandent qu’à l’être ? Certes, tout ne peut être gratuit. Mais on sent bien que le prix de la santé ne peut être fixé comme celui d’une maison. Même si la santé a un coût, elle ne peut être objet de commerce. En fin de compte, paradoxalement, la manière d’agir des multinationales de la pharmacie aura contribué à faire émerger un peu plus l’idée que la santé est un “bien public” à partager.

Christian Van Rompaey

 

(1) Un conflit exemplaire, Edouard Descampe, Secrétaire général de l’ANMC (En Marche 15 mars 2001)

(2) Les diktats de l’industrie pharmaceutique, Philippe Gomrée (En Marche 6 avril 2000)

Lire aussi : Les firmes pharmaceutiques organisent l’apartheid sanitaire, Martine Bulard (le monde Diplomatique, janvier 2000).