Environnement
(5 mai 2011)
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Tchernobyl : le roi est nu ...et nous aussi!
Journaliste à la RTBF, Marc Molitor publie un ouvrage fouillé, accessible et
interpellant sur l’explosion du réacteur nucléaire de Tchernobyl. Sa thèse
centrale: l’impact de la catastrophe sur la santé a été largement
minimalisé.
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© Greenpeace |
Que retiendra le grand public du tout récent vingt-cinquième
anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl?
Probablement
l’ampleur exceptionnelle de ce drame, auquel on a maintes fois
comparé la tragédie récente de Fukushima (Japon). Ensuite, ces
milliers de “liquidateurs”, véritable fourmilière humaine
réquisitionnée pour ériger le célèbre “sarcophage”, aujourd’hui
obsolète et bientôt enfermé dans une “arche” au financement bien
hasardeux. Enfin, cette controverse lancinante - vingt cinq ans que
cela dure ! - sur le nombre exact de décès directement causés par la
catastrophe:
Malgré cet anniversaire,
le risque est grand de voir le drame de 1986 confiné à ce statut de
catastrophe éloignée dans le temps et l’espace. Tchernobyl, c’est du passé,
n’est-ce pas… Ou, bientôt peut-être, une attraction touristique à grande
échelle: certains ne rêvent-ils pas de voir les amateurs du ballon rond
débarquer par milliers sur le site de l’ancien réacteur nucléaire, à
l’occasion de l’Euro de football qui se tiendra en Pologne et en Ukraine en
2012? Eh bien non! Tchernobyl, ce n’est pas fini. Et, en 2011, nous restons
tous concernés. Tel est le principal enseignement du récent ouvrage de Marc
Molitor, économiste, passionné par le nucléaire depuis quarante ans et,
depuis 1990, journaliste à la RTBF (1). Au fil d’une enquête minutieuse,
alimentée par sept séjours en Ukraine, en Russie et en Bélarus et par
d’innombrables contacts internationaux, il démontre que Tchernobyl est un
problème qui reste éminemment contemporain. Et cela à triple titre.
D’abord, par ses ravages
sur la santé. Ceux-ci n’ont cessé de se dévoiler au fil des révélations sur
des rapports cachés ou dénigrés, des manipulations de chiffres et des
experts intimés de se taire. Loin des seuls décès par exposition directe aux
radiations ionisantes, il faut aujourd’hui compter, selon l’auteur, des
centaines de milliers de victimes, atteintes de cancers de la thyroïde, de
vieillissement prématuré ou de divers symptômes étranges, notamment chez les
enfants nés bien plus tard (problèmes cardiaques, syncopes…), échappant aux
“standards” médicaux. Pour arriver à ce bilan très lourd, Marc Molitor est
allé à la rencontre de ce qu’il appelle les “dissidents”. Il s’agit
d’experts locaux peu suspectés de fanfaronnades qui, dénués de moyens de
communication ou carrément réprimés, n’ont pas eu accès aux institutions
internationales pour y faire part de leurs constats, rarement traduits en
anglais. En complément de ceux-ci, on lira avec un intérêt tout particulier
l’interview captivante du Dr Luc Michel, spécialiste de la chirurgie des
glandes endocrines à l’hôpital universitaire de Mont Godinne (UCL), sur
l’impact du “nuage” radioactif en Belgique…
L’auteur démontre aussi,
par A+B, les silences ou les atermoiements coupables des grandes agences
internationales onusiennes, telles l’AIEA (très proche des milieux
industriels et intrinsèquement promotrice de l’énergie nucléaire), l’OMS,
etc. Cette dernière est décrite – au mieux – comme une institution dénuée de
moyens pour commanditer les études épidémiologiques qui auraient dû
s’imposer depuis vingt ans. Ou – au pire – comme littéralement bâillonnée
par l’AIEA en vertu d’accords historiques qui l’empêchent notamment de tenir
compte de normes de radioprotection plus adaptées à la réalité.
Enfin, si cet ouvrage
d’investigation journalistique séduit, outre sa lisibilité pour le lecteur
lambda et son absence totale de pathos, c’est parce qu’il amène à une
réflexion quelque peu vertigineuse à l’heure de Fukushima. Si les Etats et
leurs institutions tiennent tant à tourner la page de Tchernobyl, c’est
parce que la gestion d’une catastrophe nucléaire ne peut que les mener à une
sorte d’impasse, où ils sont obligés de se voiler la face et d’accepter
“mensonges, omissions et irresponsabilités”. En tout cas, ils ne peuvent pas
se permettre de laisser percer “les voix de ceux qui démontrent qu’il y
a, avec le nucléaire, un sérieux problème. Or peu de décisions politiques
peuvent y répondre rapidement sans montrer que le roi est nu, sans risquer
elles-mêmes de revêtir un caractère autoritaire ou contraignant”.
En
ce sens, la conclusion de cet ouvrage engagé, dépassant largement le thème
de la gestion du risque, réaffirme la pertinence de la vigilance
démocratique face à la technologie et la technocratie.
// Philippe Lamotte
>>
Tchernobyl, déni passé, menace future?
•
Marc Molitor
•
Editions
Racine/RTBF
•
275 p.
•
19,95 EUR.
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