La santé publique
(18 juin 2009)
Pollution de l’air
A la racine du mal
La pollution atmosphérique tue davantage qu’on le pense
habituellement. Pour protéger la santé publique, il faut - bien plus que
lutter contre les pics et les “smogs” – endiguer le “bruit de fond” des
polluants. Une autre paire de manches!
Elles sont minuscules. Elles sont en
suspension dans l’air de nos villes par milliards. Elles fichent la poisse
dans nos alvéoles et nos artères mais… nous les produisons de plus belle. De
quoi s’agit-il? Des particules fines. Elles forment, avec l’ozone (lire
l’article ci-dessous), le principal souci des gestionnaires urbains
préoccupés par la qualité de l’air. Pour faire simple, imaginez une sorte
d’éponge microscopique (en carbone) qui aspire une panoplie très variée de
poussières: des pollens, des résidus de freins ou de frottement de pneus sur
l’asphalte, de l’ammoniaque, des minéraux, des HAP (1),
etc. Les plus “grandes” particules (10 microns à peine de diamètre) sont
d’origine naturelle: lorsque les moissons battent leur plein dans le
Brabant, en juillet, elles envahissent Bruxelles par milliards, si le vent
est favorable. Si, pendant leur déplacement, elles fixent des polluants,
leur toxicité reste néanmoins limitée. Une fois inhalées, elles ne passent
pas le cap de la trachée. Ou bien sont dégluties.
Il en va tout
autrement des particules plus petites. Dans leur jargon, les spécialistes
parlent des PM 2,5 (deux microns et demi de diamètre). Elles ont pour
origine toutes formes de combustion: fours industriels, chaudières,
cigarettes, barbecues et, bien évidemment, automobiles. Les moteurs diesels
sont les champions de leurs émissions, incluant des particules encore plus
petites (un micron), voire lilliputiennes (un dixième de micron!). La carte
publiée en 2002 par la Commission européenne (lire ci-contre) est d’une
limpidité éclatante. «Avec le Nord de l’Italie, la Belgique est la région
européenne où la réduction de l’espérance de vie liée à ces particules en
suspension est la plus élevée: 13,2 mois en moyenne, explique Benoît Nemery,
responsable de l’Unité de recherche en toxicologie pulmonaire de la KUL.
Associée à d’autres facteurs (génétiques, alimentaires, addictions diverses,
etc.), la pollution de fond des particules fines tue chaque année 10 à
13.000 personnes en Belgique». En cause: la haute densité d’industries sur
notre petit territoire et l’importance du charroi international de camions
sur nos routes. Mais, surtout, la forte diésélisation du parc automobile
belge, renforcée par la grande quantité – le record européen – de voitures
de société en circulation (le diesel y est nettement privilégié à
l’essence).
Les cyclistes pénalisés
La bonne
nouvelle: en Belgique, la pollution globale aux particules diminue depuis le
milieu des années 1990, grâce aux efforts du secteur industriel. Le bémol:
alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de ne pas
dépasser une concentration moyenne de 20 microgrammes par mètre cube, notre
pays ne parvient pas à descendre en-dessous d’un plateau qui oscille, depuis
2003, entre 30 et 40 microgrammes. C’est encore trop! «Si on respectait la
recommandation de l’OMS, on éviterait le décès, chez nous, d’environ 630
personnes par an, commente Benoît Nemery. Soit à peu près trois fois le
nombre de victimes de l’Airbus français récemment disparu...»
Que sait-on
encore de l’effet des particules sur la santé? Dans les villes, les
cyclistes sont les plus exposés: en Allemagne, on a démontré qu’ils sont
jusqu’à six fois plus susceptibles de faire un infarctus que les
automobilistes, du fait de l’effort physique et de l’appel de sang vers le
cœur. Car – et cela a surpris plus d’un chercheur – si les particules les
plus “grosses” sont stoppées dans les voies respiratoire supérieures ou
sédimentent dans la trachée, les particules les plus fines, elles, filent en
partie directement dans le cœur. Là, leur effet semble très rapide: une
question de minutes… (2) Avis aux adeptes de la
bécane: il semble, d’après des constats menés à Bruxelles, qu’une vitesse de
20 kilomètres/heure au lieu de 25 km/h permet de réduire l’exposition aux
particules de 30 à 50 %. En optant pour des itinéraires de petites rues,
moins fréquentées, et en évitant de se ranger derrière les camions et les
voitures (mais aussi les scooters!), les cyclistes peuvent sensiblement
réduire leur exposition.
Les solutions de fond
«Les filtres à
particules actuels ne sont pas la panacée», complète Benoît Nemery. Au rayon
des solutions, ce spécialiste souligne l’importance de travailler sur le
“bruit de fond” de la pollution des particules, bien plus que sur les pics
liés à la météo. «Prendre des mesures lors des fameux smogs ne permet pas de
réduire sensiblement la mortalité. C’est juste un premier pas, positif, en
termes de sensibilisation du public. S’attaquer aux racines du problème
reviendrait, notamment, à s’interroger sur le sens du “just in time”: les
stocks de marchandises sont en permanence sur les routes…» Et de nuancer
aussitôt: dans l’ensemble, si la pollution de l’air tue, elle le fait bien
moins que la consommation de tabac.
La pollution
aux particules recèle encore des zones d’ombre. On ne connaît pas encore
très bien, par exemple, l’effet des PM 2,5 (liées aux moteurs diesels) sur
les voies respiratoires supérieures et, notamment, leur rôle dans les
allergies comme les rhumes des foins. «Comme on n’en meurt pas, ce domaine
reste peu étudié jusqu’à présent»… A l’instigation de BELSPO (la Politique
scientifique fédérale), plusieurs équipes universitaires étudient
actuellement l’effet des particules sur les personnes très âgées (plus de 85
ans) et les bébés. D’après des études menées à Anvers, il semble que les
particules fines, en activant les plaquettes sanguines, favorisent la
formation de caillots. De même qu’elles favorisent l’inflammation des
poumons et augmentent la tension artérielle. Quant aux nouveaux-nés, les
premiers constats, qui doivent encore être confirmés, indiquent que chaque
augmentation de 10 microgrammes de particules dans l’atmosphère urbaine
augmente de 5% le risque de mortalité des enfants âgés d’une semaine à un
mois. A noter qu’il ne s’agit pas, ici, d’enfants fragiles ni prématurés!
Inquiétant? «La pollution ne tue pas directement ces enfants, nuance Benoît
Nemery. Mais elle contribue au décès à cette période critique de la vie.» Et
de taper sur le clou: «La vraie prévention est bien plus efficace
lorsqu’elle s’attaque aux racines du mal qu’à ses excès». Qu’attendons-nous
pour revoir le régime fiscal du diesel?
Ph. Lamotte
(1) HAP : hydrocarbures aromatiques poly-cycliques
(mutagènes et cancérogènes).
(2) Une autre partie des particules les plus fines se
répand dans les alvéoles pulmonaires.
Ozone: de
plus en plus exposés
Ozone: de plus en plus exposés
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@ Dann Cortier/Belpress |
Il en va de l’ozone comme de la pollution atmosphérique en général:
les épisodes extrêmes sont en constante diminution
(1). Enfin une bonne nouvelle venant de
l’environnement? Oui et non.
Voyons d’abord le bon côté des choses.
Primo, les pics d’ozone sont en diminution constante dans notre pays depuis
une douzaine d’années. A circonstances météorologiques équivalentes, leur
nombre est passé d’une trentaine d’épisodes à une bonne vingtaine. Cette
érosion des maxima de pollution éloigne – très lentement – la possibilité de
revivre le scénario cuisant de 2003: associé à une vague de chaleur
exceptionnelle, le gaz tant redouté avait tué 70.000 personnes en Europe,
dont près de 1.200 dans notre petit pays.
Secundo, la
leçon de cette année-là a porté ses fruits. En Belgique comme ailleurs, on
dispose dorénavant de plans de bataille bien ficelés qui, en cas d’épisodes
d’une telle ampleur, sont prêts à mobiliser autant les médecins de première
ligne que le personnel des CPAS, des hôpitaux ou des maisons de repos. En
effet, les personnes âgées, et surtout les plus de 85 ans, sont les victimes
privilégiées du puissant oxydant: insuffisances respiratoires, arrêts
cardiaques, etc.
Tertio: à force
d’être serinés chaque été dans les médias, les conseils à suivre en cas de
pic sont peu à peu entrés dans les mœurs: les bébés, enfants en bas âge et
seniors, à l’intérieur! Les sportifs: pas d’efforts violents! Les malades et
personnes fragiles: pas d’excès! Pour tous: attention aux symptômes
d’essoufflement, de picotement des yeux et de la gorge, et aux maux de tête.
La diminution
des épisodes de pics de pollution est néanmoins une fausse bonne nouvelle.
Car les concentrations de fond, elles, augmentent petit à petit. Lentement,
mais sûrement, à raison d’1 microgramme par mètre-cube par an. Cela
signifie que nous sommes soumis à des concentrations d’ozone plus longues et
fréquentes qu’autrefois. Or, une étude américaine à grande échelle (450.000
personnes, dix-huit années d’observation!) publiée en mars dernier dans le
New England journal of medecine a confirmé ce que les scientifiques
soupçonnaient depuis un certain temps: l’ozone tue aussi et, surtout, à
petit feu. Chaque fois que la concentration quotidienne s’élève de 20
microgrammes, la mortalité liée aux maladies respiratoires augmente de 4%.
Une autre
évolution, observée dans notre pays, entache l’optimisme évoqué ci-dessus :
le dioxyde d’azote (NO2), un gaz qui favorise nettement la formation de
l’ozone (il est dit “précurseur”) et qui entraîne les mêmes symptômes que
celui-ci, est également en augmentation constante en ville. Or il est lié
aux moteurs diesels. Pis: “Techniquement, un moteur diesel, en 2009, émet
davantage de NO2 qu’en 1999, explique Olivier Brasseur, expert à la Cellule
interrégionale Céline. La forte diésélisation du parc automobile ruine en
partie les efforts réalisés en matière de baisse de l’ozone”.
Et dire que les
véhicules diesels, du fait qu’ils sont moins gourmands et produisent moins
de gaz à effet de serre, n’arrêtent pas d’être présentés comme des véhicules
plus “écologiques”!
Ph.L
(1) Il s’agit, ici, de l’ozone troposphérique (de basse
altitude), indésirable, qui n’a pas grand-chose à voir avec la
“couche d’ozone” stratosphérique (le fameux “trou”) qui nous protège du
rayonnement ultra-violet.
Infos: www.meteo.be ;
www.irceline.be ;
www.health.fgov.be ; Call center SPF
Santé publique - 02/524.97.97.
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