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Médias (20 février 2003)

Des médecins flirtent avec la télé-réalité

Les rapports de plus en plus proches entre des représentants du corps médical et certaines émissions de télévision commencent à énerver de nombreux professionnels de la santé. Les Lofteurs et les Star-Académiciens, les aventuriers de Koh Lanta… ont un médecin et/ou un psychiatre à leur côté pendant le jeu. Leur présence est-elle un alibi ou une garantie?

 

Ils sont six, un gars et cinq filles, âgés entre 25 et 35 ans et ils ont décidé d’entreprendre un régime pour perdre entre 5 et 20 kg. Ils sont suivis par 6 médecins “spécialistes de la minceur” qui proposent chacun une méthode thérapeutique spécifique (acupuncture, diète protéinée, méthode hypocalorique, chirurgie plastique, méthode psychosensorielle...). Particularité de l’aventure : ces jeunes gens sont suivis en permanence durant 4 mois par une équipe de télévision. Chaque semaine l’émission “J’ai décidé de maigrir” fait le point en deux volets. Une première partie en prime time définie par la chaîne de “feuilleton documentaire” ou de “docu-vérité” fait vivre le parcours des uns et des autres devant des millions de téléspectateurs. On suit les candidats quand ils font leurs courses, chez eux en famille, à table notamment, et… lors de leur consultation chez le médecin. En seconde partie de soirée, un talk-show avec les spécialistes analyse tous les aspects des régimes et répond aux questions du public. C’est en France que cela se passe, sur la chaîne privée M6 (celle-là même qui a lancé Loft Story).

 

Caution médicale

En France la polémique fait rage. Dans une lettre publiée dans Le Monde du 28 janvier dernier, Michèle Le Barzic, psychologue clinicienne et Arnaud Basdevant, professeur de nutrition s’insurgent avec 40 autres médecins contre ce nouveau réality-show de l’amaigrissement. Ils se désolidarisent “de ces médecins qui apportent leur caution “médicale” à des messages aberrants. Sur les 6 candidats sélectionnés, un seul est obèse au sens médical du terme. Cette confusion des genres est désastreuse. Les responsables de l’émission “J’ai décidé de maigrir” et de la chaîne M6 se défendent en prétendant faire œuvre utile en sensibilisant le téléspectateur à un problème de santé publique.

“En assimilant des corpulences normales à l’obésité, et en légitimant sans distinction toutes les pertes de poids, l’émission, par sa caution médicale, renforcera les ravages d’une idéologie nutritionnelle normative et totalitaire. Nous mettons en garde, en particulier les jeunes, sur les risques d’une quête effrénée de la minceur”, continuent les médecins dans leur lettre rageuse. Caution médicale… le mot est lancé. La télé-réalité peut-elle se permettre de faire n’importe quoi sous prétexte qu’un médecin est là pour veiller au grain ?

 

Rien de neuf sous le soleil télévisuel

Ni l’existence de la télé-réalité, ni l’intervention d’un professionnel de la santé dans ces émissions ne sont pourtant vraiment nouvelles. En 1983 déjà, dans l’émission Psy Show sur TF1, la productrice Pascale Breugnot mettait en présence sur le plateau des couples venus pour se rabibocher et un psychanalyste . “Déjà à l’époque on utilisait ce procédé classique qui consiste à faire “encadrer” l’émission par des personnes qui allaient servir de référence (dans un sens positif) ou d’alibi (pris négativement)”, analyse Marc Lits, directeur de L’Observatoire du récit médiatique de l’Université Catholique de Louvain. “Il y a 10-15 ans, les responsables des chaînes avaient déjà un discours rassurant qui mettait en avant ces personnes chargées de donner toutes les garanties et de veiller au bon fonctionnement de l’émission”, continue Marc Lits.

La différence c’est qu’aujourd’hui les émissions jouent dans des registres plus extrêmes.

Récemment dans Loft Story sur M6 et RTL, le psychiatre Didier Destal était là pour signifier que rien de condamnable ne risquait de se produire dans le bocal où l’on avait enfermé 12 candidats durant plus de 2 mois sous l’œil de 27 caméras. Le psychiatre, chef de service à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evard, a participé à la sélection en éliminant les candidats trop fragiles, trop violents, les profils paranoïaques ou pervers, ceux qui avaient des tendances suicidaires… Dans le premier Loft, il a même décidé de faire sortir David, un candidat qui avait du mal à s’adapter aux conditions du jeu.

Le médecin généraliste Emmanuel Héau a suivi et soutenu les 16 aventuriers de Koh Lanta partis sur une lointaine île de la Thaïlande pour vivre les grands frissons que le jeu de TF1 était censé leur procurer. Les candidats qui, au début ont présenté de banales brûlures solaires, ont ensuite subi les morsures de rats, la déshydratation, des carences alimentaires mais aussi la faim. Le médecin contrôlait la situation en invitant les candidats à mieux se protéger du soleil, en les vaccinant contre la rage, en offrant des rations hypercaloriques à ceux qui tournaient de l’œil de manière un peu trop dangereuse… Un psychiatre était chargé de recevoir les candidats après leur élimination.

Dans le jeu Zone rouge (18h10 tous les jours sur TF1) on s’amuse à flirter avec son rythme cardiaque sous l’œil du mystérieux Dr Djea dont l’identité réelle n’est pas communiquée. Ce consultant médical analyse et contrôle les questionnaires remplis par les candidats potentiels et se rend sur le plateau en cas d’urgence.

 

Sous les quolibets des confrères

“Faute éthique” crie les uns, “Le psychiatre est là pour soigner les gens qui souffrent. Il peut accomplir un travail de prévention, mais pas à des fins médiatique et commerciale”, lance les autres. Le psy du Loft a tenu bon sous l’orage des critiques de ses confrères. Il a répondu aux questions du Conseil de l’Ordre et du ministère de la Santé qui n’ont rien pu retenir contre sa participation à l’émission. “C’est si les psychiatres refusaient leur concours qu’ils saliraient leur métier”, estimait Didier Destal dans le Quotidien du médecin.

Quant aux 6 praticiens qui suivent les volontaires de “J’ai décidé de maigrir”, ils doivent s’expliquer devant leur conseil de l’Ordre départemental respectif. C’est que les consultations télévisuelles violent le principe du secret médical. Autres manquements à la déontologie qui leur est imputée : l’interdiction de se prêter à de la publicité ainsi qu’une déconsidération de la profession. Le débat est actuellement en cours.

Dans une interview accordée au Quotidien du médecin en septembre 2001, le Dr Héau tire un bilan positif de son expérience. “En tant que médecin, je n’ai pas été caution de situations inacceptables et mes conseils ont été écoutés. Le seul risque serait maintenant de procéder à une surenchère dans la gestion du risque”, précise-t-il quand même. Et surenchère il y aura lorsqu’on sait que TF1 (encore elle) prépare la version française de “Fear Factor”, un “jeu” où les candidats seront amenés à se confronter à leurs phobies. Peur des araignées ? Rien de tel que d’enfermer le peureux avec des centaines de mygales pour faire monter l’audimat ! Ne vous inquiétez pas, un psychiatre veillera!

 

De vrais garde-fous?

Les médecins sont-il de vrais garde-fous ? Ne sont-ils finalement pas de piètres alibis censés jongler entre leur propre éthique et les demandes de plus en plus farfelues des productions ?

“Que ce soit dans Koh Lanta ou dans d’autres émissions de télé-réalité, on entre de plus en plus dans une logique de la surenchère, une logique de l’exploit, de l’extrême, confie Marc Lits. En réalité les producteurs de ces émissions “essayent” de nous faire croire qu’on joue à l’extrême tout en nous montrant qu’ils ne sont pas inconséquents, qu’ils ne dépassent pas les règles. La présence des médecins est une manière de mettre en scène un risque sécurisé. Ce phénomène est assez typique d’une évolution actuelle de notre société. Aujourd’hui, on veut des sensations fortes et extrêmes (du style saut à l’élastique) tout en courant un risque zéro (il n’est pas question que l’élastique lâche). Je pars à l’aventure à l’autre bout du monde mais avec mon GSM connecté en cas de pépins… On retrouve tout naturellement cette ambiguïté dans les émissions de télé-réalité. On nous fait frémir tout en nous donnant la garantie qu’il n’y a pas de danger que cela dérape.”

“On ne peut nier que les médecins jouent un rôle d’alibi. Quel que soit le discours qu’ils tiennent, les médecins n’ont effectivement qu’un contrôle restreint sur ce qu’il se passe. Ils sont finalement au service de la production, continue le directeur de L’Observatoire du récit médiatique. Il faut bien savoir aussi que dans ces émissions, on est dans quelque chose d’entièrement construit. Le terme de télé-réalité est une chimère. Tout est scénarisé. Et donc il s’agit également de dégonfler un peu cette notion de risque mise surtout en avant pour des raisons promotionnelles. On sait bien que Koh Lanta est beaucoup moins dangereux que ce qu’on a vu, tout était sous contrôle”.

 

Et après ?

Après avoir vécu 3 mois dans un loft pour les uns, 43 jours sur une île soi-disant déserte pour les autres, montrer ses grosses fesses et ses faiblesses, chanté faux dans une école de pacotille ou révélé ses secrets intimes que devient le candidat de la télé-mensonge ? Bien souvent laissé à lui-même. Si tout suivi médical qui se respecte se situe dans la durée, le conseiller médical de la télé-réalité abandonne bien souvent ses “patients” lorsque les projecteurs s’éteignent. Les maisons de production qui vendent leurs concepts délirants aux chaînes de monde entier ne sont pas des prestataires de services mais de simples marchands. Et une fois que le produit est consommé et payé, le marchand se moque bien de savoir si son client tient encore debout.

Et le public est logé à la même enseigne. S’il jure ne pas être dupe, s’il se dit conscient des trucages et autres manipulations de ces émissions de plus en émotionnelles et “extrêmes”, il est cependant le premier à courir les rayons pour acheter, qui le dernier CD de la Star Ac, qui la ligne de vêtement des lofteurs, qui la fameuse poudre miracle qui fera maigrir. Le petit écran éteint, il est laissé à lui-même avec ses pulsions d’achat. La télé-réalité n’entretient finalement qu’un lien intime… avec l’argent.

 

Françoise Robert 

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