Environnement
(17 mai 2012)
Le loup, entre peurs et
rumeurs
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© Philippe Clément/Belpress |
L’homme
n’en a pas encore fini avec le loup… Objet de haine ou de fascination,
celui-ci pourrait bien, un jour, revenir arpenter nos campagnes, comme il le
fait déjà en France et en Allemagne. Car les temps ont changé et, malgré
quelques résistances vivaces, le moment est venu de réfléchir aux conditions
d’une bonne coexistence avec son vieux rival : l’homme. A La Louvière, une
exposition nous aide à mieux exorciser le passé pour, peut-être, préparer
l’avenir.
Il est “odieux”, “nuisible”, “inutile” et
“désagréable en tout”…. Diable! Serait-ce la description peu
charitable du loup faite par un louvetier ou par un évêque, deux professions
qui, pendant des siècles, n’ont cessé de massacrer et vilipender cet animal?
Non. Il s’agit là d’une présentation “scientifique”, celle du naturaliste
Buffon, dans son précis “Histoire Naturelle” de la deuxième moitié du
XVIIIème siècle. Un portrait qui en dit long sur la façon dont Canis
Lupus (son nom latin) a fait tourner la tête aux esprits censés être
les plus objectifs et cartésiens.
Le loup n’a
pourtant pas toujours été cet ennemi public numéro 1, traqué, piégé et
pourchassé tous azimuts. C’est l’un des mérites de l’exposition qui se tient
jusqu’au 2 septembre au Musée royal de Mariemont, à Morlanwelz (près de La
Louvière): le célèbre canidé a d’abord été le protecteur de l'homme et tout
particulièrement des chasseurs et des guerriers. Ce n’est qu’avec le regard
de l’Eglise, au Moyen-âge, que le loup perdra pour de longs siècles cette
figure protectrice et maternelle (incarnée par la louve abreuvant Remus et
Romulus), acquérant alors une fonction nettement répulsive. Le loup est,
depuis cette époque, assimilé au diable. Celui- ci n’a d’autre objectif que
de détourner les âmes pieuses de Dieu. Commence alors une longue période
d’acharnement contre les loups, qui aboutira à son éradication dans de
nombreux pays européens. Dont le nôtre. Mais pas par Léopold Ier,
contrairement à la croyance populaire..
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Gustave Doré - Paris, 1867 © Musée royal de Mariemont |
Honni ou
protecteur
L’exposition de
Mariemont “Ô Loup! De nos campagnes à nos imaginaires” promène le
visiteur au fil d’un parcours balisé par différentes facettes du mammifère :
le loup protecteur, mais aussi le loup “retourné” (c’est-à-dire rendu
inoffensif, par exemple par l’intervention d’un Saint…); le loup honni et
anthropomorphisé (où l’on découvre que la légende des loups garous a connu
de très beaux jours en Wallonie); le loup dans les archives, les blasons,
les lieux-dits, la presse illustrée, etc. L’exposition réussit son objectif
de démystification du canidé. Elle est riche d’objets très variés,
susceptibles d’intéresser un public de tous les âges. Pour les enfants :
deux beaux animaux empaillés, des pièges impressionnants, des colliers de
protection pour les chiens, des sculptures en taille réelle, etc. Pour les
plus grands : gravures, faïences, porcelaines à son effigie, livres anciens,
l’un ou l’autre bijou, etc. Quelques-uns de ces supports frappent le
visiteur, tels ce superbe heurtoir en bronze de la région liégeoise
(arborant une tête de loup menaçante, frontière entre l’espace public et
l’intérieur des logis) et ce registre paroissial namurois de la moitié du
XVIIIème siècle, décrivant la stratégie suivie pour la destruction du
mammifère.
La première partie
de l’expo se termine par la photo d’un loup en cage, sorte de roi-nu triste
et piteux. On ne sait trop, après avoir mesuré la richesse (un peu)
biologique et (très) culturelle de l’animal, qui de l’homme ou de celui-ci
est le plus misérable : le loup sur le cliché, derrière les barreaux, ou
l’auteur de l'enfermement… L’expo principale se complète d'une double salle
qui vaut largement qu'on s'y attarde : 130 ouvrages pour enfants (mais pas
seulement) en disent long sur l’imprégnation de la littérature par le loup.
Depuis des siècles, les auteurs de tous les styles ont rivalisé
d’imagination pour le décrire tantôt redoutable, tantôt haï, sympathique,
fragile voire attendrissant. Au menu : le Roman de Renart, Edgard Tytgat,
Mario Ramos, Derib (Yakari), etc. En marge de tous ces ouvrages, un grand
panneau reprend la longue liste d’expressions évoquant le loup dans la
langue française: à pas de loup, à la queue leu leu, entre chien et loup,
etc. A noter, également, une troisième exposition, moins attirante, “Regards
d’artistes contemporains”. Sarah Moon y livre une dizaine de clichés
réinventant le thème du Petit Chaperon Rouge, transposant celui-ci sur le
film fantasmatique de peurs très contemporaines. L’histoire, en quelque
sorte, d’un Petit Chaperon Noir.
Elèves
artistes
L’expo n’est pas
vraiment du genre interactive ni ludique. Mais, nichée dans ce superbe parc
de Mariemont et éventuellement complétée par les commentaires des guides
“maison”, elle vaut largement le détour. A relever, enfin, cette bonne
trouvaille : la mise en évidence, en suspension, des centaines d’œuvres
coloriées des enfants qui ont déjà visité l’expo. Décidément, en plus de
nous faire réfléchir à notre rapport à l’altérité, le loup, même lorsqu’il
est détrôné du podium de l’horreur, n’a pas fini de titiller l’imaginaire.
// PHILIPPE
LAMOTTE
>> “Ô Loup
! De nos campagnes à nos imaginaires”, au Musée royal de Mariemont, Chaussée
de Mariemont 100, 7140 Morlanwelz. Jusqu’au 2 septembre.
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Animations
contées le premier dimanche du mois à 14h30. Animations scolaires avec
ateliers. Visites préparatoires gratuites pour enseignants. Réservation :
064/27 37 84 ou
sp@musee-mariemont.be
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A pas de loups
Tôt ou
tard, la question de la coexistence entre l'homme et le loup se posera chez
nous, comme elle l'a fait en France, en Suisse, en Allemagne... Autant s'y
préparer sereinement.
Si hypothétique soit-elle, la découverte, en
août 2011, d’un loup sauvage(1) à Gedinne, dans le Sud
Namurois, l’a rappelé avec force. Le loup se porte bien, en
Europe. A tel point que le célèbre canidé pourrait bel et bien pointer à
nouveau son museau dans nos contrées dans un avenir proche, comme l’affirme
depuis plusieurs années déjà une majorité de biologistes spécialisés. Cinq
ans? Dix? Vingt? Nul ne sait vraiment, mais l’hypothèse n’est manifestement
plus qualifiée de fantaisiste. Après tout, l’espèce a fait l’objet d’une
expansion étonnante : en moins de vingt ans, elle a quitté deux de ses
derniers repaires européens (la Russie et la Pologne d’une part, l’Italie
d’autre part) pour entamer une longue et rapide marche vers l’Ouest et le
Nord. Après sa recolonisation des Alpes et du Jura, elle est très
probablement arrivée dans les Vosges l’année dernière. Côté allemand, le
loup est à moins de 400 kilomètres de la Belgique, en Hesse et en
Saxe-Anhalt. Il a profité à la fois d’une protection assez généralisée (il
est classé espèce “Cites”, ce qui rend sa chasse interdite sauf exception)
et d’une extension du couvert forestier. L’animal, au demeurant, n’a pas
forcément besoin de vastes et profonds massifs forestiers pour se sentir
bien. En Roumanie, il fait les poubelles des villages et des gros bourgs, à
la façon du renard chez nous. En Espagne, on l’a vu fréquenter cultures et
vignobles. Dans le Vercors (France), où trois meutes sont actuellement
répertoriées, on voit ses traces aux abords des arrêts de bus, dans le bas
des vallées.
Méfiant et
peureux
Panique à bord?
Non! Même s’il lui arrive de fréquenter les environs immédiats des
infrastructures humaines, l’animal est porteur d’une tradition de
persécution multiséculaire et, à ce titre, nanti d’une méfiance maladive
envers l'homme. Une illustration : chez “Mille traces”, une association du
Vercors qui s’est spécialisée dans le grand canidé, quatre guides natures
chevronnés, en dix sept années de travail, l’ont aperçu en chair et en os
une dizaine de fois, guère plus! Mammalogistes, naturalistes et admirateurs
du loup en conviennent donc: si Canis Lupus fait, un jour, son
grand retour chez nous, cela devrait se faire moderato. Du fait de
l’hyper-fréquentation de nos campagnes, le loup ne pourrait trouver un
refuge durable en Wallonie - en tout cas pour se reproduire - que dans
quelques massifs reculés : la forêt d’Anlier, la Croix-Scaille,
Saint-Hubert, un camp militaire ou l’autre… Selon plusieurs experts du loup,
les meutes, chez nous, se compteraient sur les doigts de la main et seraient
limitées à trois ou quatre individus. Parmi les autres mythes à casser, ces
longues courses poursuites de cerfs exténués, dévorés par des loups affamés.
“Le loup adore les proies modestes, comme les rongeurs et les petits
mammifères”, corrige Roland Libois, biologiste à l’Université de Liège.
Dédramatiser
Il ne fait pourtant
aucun doute qu’il faudra préparer l’opinion publique et, évidemment, la
fraction la plus rétive – nullement négligeable – des chasseurs qui
pourraient y voir un concurrent, oubliant le fantastique succès des
politiques de conservation que constituerait le retour naturel de quelques
loups après un siècle de disparition (après le lynx, la cigogne noire, le
faucon pèlerin, etc.). Sans compter l'influence décisive des petits
éleveurs… Aux Pays- Bas (oui!) et en France, des politiques de préparation
et de dédramatisation face à ce retour sont déjà sur les rails, livrant des
résultats intéressants. Ici, des réseaux de naturalistes amateurs font de la
sensibilisation dans les écoles. Là-bas, les pouvoirs publics, en
partenariat avec des associations spécialisées, assurent des permanences
téléphoniques: dès que la présence d’un loup est suspectée, la visite d’un
expert est organisée sur le terrain, afin d’analyser ses traces. Objectifs :
faire le tri entre les rumeurs et les observations réelles et casser, autant
que faire se peut, l’emballement médiatique et l’émoi populaire. En
Wallonie, à l'heure actuelle, l'indemnisation des dégâts du loup n'est pas
prévue par la législation, à l'inverse de ceux du blaireau, du castor, du
cormoran, etc. Mais on envisage vaguement un travail législatif à ce sujet.
Et s’il fallait ne pas traîner?
// Ph L
(1) Filmé par la
VRT l’été dernier, le “loup” de Gedinne, qui a tué plusieurs moutons, n’a
plus fait parler de lui. Ce qui fait dire à certains qu’il s’agissait plutôt
d’un canular, d’un chien loup en liberté ou d’un vrai loup échappé d’un parc
animalier. Voire d’un loup réintroduit en catimini.
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