Consommation (6
mars 2008)
La hausse des prix
plus préoccupante
que le chômage
En décembre dernier, 25.000 manifestants se retrouvaient dans les rues de
Bruxelles pour défendre une sécurité sociale fédérale, une fiscalité plus
juste et, tout particulièrement, une meilleure défense du pouvoir d’achat.
En quelques mois de temps, le pouvoir d’achat est devenu la première
préoccupation des Belges.
Il
n’est pas étonnant que le pouvoir d’achat soit devenu la préoccupation
majeure des consommateurs belges. Depuis plusieurs mois, ceux-ci constatent
directement sur leur ticket de caisse les effets de la hausse des prix du
pain, des fruits frais, de l’huile, du beurre ou du café… En données
chiffrées, l’indice des prix de février 2008 a progressé de 3,64% par
rapport à février 2007 alors qu’en janvier il avait augmenté de 3,46% par
rapport au même mois de l’an dernier, ce qui représentait déjà un niveau
record en un peu plus de 16 ans.
L’inquiétude se fait aussi européenne. L’inflation a, en effet, atteint 3%
en moyenne dans la zone euro, comme nous l’indique l’Eurobaromètre, un
sondage réalisé à l’automne par la Commission européenne. Pour les citoyens
européens, la hausse des prix, limitée certes mais bien réelle, est devenue
plus préoccupante que le chômage ! Alors que 27% ont peur du chômage (contre
40 % il y a un an), ils sont 26% à craindre un retour de l’inflation (contre
16 % il y a un an).
En France,
la question du pouvoir d’achat figurait parmi les trois premières
préoccupations économiques et sociales durant la dernière campagne
présidentielle. Aujourd’hui, 75% des Français estiment qu’il est plus
important d’augmenter le pouvoir d’achat que de bénéficier de davantage de
temps libre.
Selon Guy
Quaden, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique (BNB), il ne faudrait
pas pour autant dramatiser la situation. Cette poussée de l’inflation ne
devrait poser problème qu’à une minorité de Belges qui doivent être
soutenus... Pour la Banque Nationale “dans les faits, le pouvoir d’achat
a (…) continué à progresser d’un point de vue macroéconomique,
principalement sous l’effet des créations d’emploi, mais également parce que
le salaire horaire réel a continué d’augmenter (…). Pour certains groupes,
comme les ménages percevant des allocations peu ou pas liées au bien-être,
et pour lesquels les produits devenus nettement plus chers représentent une
part de la consommation plus importante que pour le ménage moyen, la perte
de pouvoir d’achat est plus grande. Cet écart pourrait encore s’accroître en
2008.”
Manifestement, les consommateurs ont quelque difficulté à accepter ces
propos rassurants. Pour beaucoup, les revenus ne suivent pas l’évolution de
leurs besoins et leurs envies d’achat. Tour à tour, les citoyens désignent
le passage à l’euro, les hausses de prix d’un certain nombre de postes de
consommation ou des revenus insuffisants comme étant à l’origine de leurs
difficultés.
La notion
de “pouvoir d’achat” reste encore une notion floue pour le grand public qui
pense plutôt “coût de la vie”, constatent Robert Rochefort et Philippe Moati
dans un volumineux rapport publié par le CREDOC (France)(1):
“Pour l’économiste, le pouvoir d’achat est la quantité de biens et de
services que l’on peut acheter avec le revenu disponible. Il suffit donc que
la hausse des revenus dépasse celle des prix pour que le pouvoir d’achat
progresse.
De façon plus empirique, l’homme de la rue raisonne différemment: “son”
pouvoir d’achat représente “sa” capacité à acquérir les biens et les
services qui forment les standards du moment. Or, il est indéniable que
depuis une dizaine d’années, les coûts supplémentaires résultant de
l’apparition de biens et de services qui n’existaient pas auparavant, ainsi
que des nouveaux modes de vie et de consommation devenus la norme, ont
progressé plus vite que les revenus”.
Ainsi, pour
être “de son temps”, il faut s’équiper d’un GSM, acquérir un ordinateur
portable, s’abonner à Internet, acheter un nouvel écran plat, s’équiper d’un
Ipod… et bien d’autres choses encore. Mais cela suppose bien souvent qu’il
faut se priver d’autre chose. Contraint de “négocier” entre ses revenus et
ses dépenses, le citoyen peut vivre ces choix comme une privation, voire un
appauvrissement, alors que d’un point de vue purement économique “il s’agit
d’arbitrages dans un contexte de faible croissance ou de stabilité des
ressources.”
Pour le
dire autrement, personne ne contestera que, de manière générale, le niveau
de vie – en ce qui concerne le niveau de confort, les équipements et les
loisirs – s’améliore d’une génération à l’autre, mais ils sont moins
nombreux à affirmer que le pouvoir d’achat s’est amélioré! Et ils sont
encore moins nombreux à le dire lorsqu’on leur demande comment ils
envisagent l’avenir: “Déclarer que son pouvoir d’achat baisse est souvent
la conséquence du cumul d’un constat d’insatisfaction à l’égard de la
situation présente et d’une forte inquiétude pour l’avenir.”
Il serait
pourtant absurde, affirme le CREDOC, de penser que les gens ne seraient que
des victimes de leurs inquiétudes, de leurs angoisses ou de leurs modes de
vie. D’ailleurs, des questions réapparaissent régulièrement à propos de la
manière dont on construit l’indice des prix à la consommation. Celui-ci
est-il un bon outil d’évaluation?
L’indice des prix
est-il imparfait?
Avec
le passage à l’euro, beaucoup de consommateurs ont perdu leurs points de
repère habituels: n’a-t’il pas eu pour effet de provoquer des augmentations
de prix qui n’auraient pas été prises en compte? La généralisation de
promotions de toutes sortes, des produits blancs et des “gratuits” ne
favorise pas non plus la transparence des prix. L’apparition incessante de
nouveaux biens (notamment dans les nouvelles techniques de communication),
souvent améliorés par rapport aux précédents, favorisent à la fois le “désir
d’achat”… et la frustration: “Cette hausse du ‘vouloir d’achat’,
commentent Robert Rochefort et Philippe Moati, dans un contexte de
morosité de la croissance du pouvoir d’achat, en nourrissant un sentiment de
frustration, a très probablement joué un rôle important dans l’appréciation
biaisée que les ménages ont pu avoir de l’évolution de leur niveau de vie.”
Un autre
biais dans l’évaluation de “son” pouvoir d’achat – à propos duquel personne
ne peut dire qu’il se trompe, ni les statisticiens, ni les ménages – c’est
que les indices sont toujours des moyennes dans lesquelles les individus ne
peuvent pas toujours s’y retrouver. Une situation “vécue” ne sera que
rarement celle de la moyenne. Mais la moyenne dit vrai quand elle dégage des
tendances.
Il est
vrai, par exemple, que les revenus des salariés ont progressé moins vite que
les revenus du capital et que chacun d’entre nous est exposé de manière
différente à l’inflation selon sa manière de dépenser, mais aussi et surtout
selon son âge, sa situation familiale, son niveau de revenus. Ainsi, les
prix ont augmenté plus rapidement pour les produits bon marché recherchés en
priorité par des personnes à faibles revenus et le coût de la vie est plus
élevé pour les personnes seules…
L’indice
des prix représente donc une moyenne générale qui ne peut rendre compte
exactement de situations sociales et de modes de consommation qui ne sont
pas homogènes. Ainsi, la part des dépenses pour certains produits est
beaucoup plus importante pour les ménages à petits revenus, fait remarquer
Thierry Dock, directeur de la FEC (2), dans la revue
Démocratie (3), pointant du doigt le poste «logement, eau,
électricité, gaz et autres combustibles» dont le poids est de 26,1% pour un
ménage moyen tandis qu’il est de 38,5% pour les 10% de ménages les moins
nantis et de 6,2% contre 4,7% pour les dépenses de santé.
Autre
exemple: la part du salaire consacrée au logement est très différente d’une
famille à l’autre. Une famille avec de petits revenus peut consacrer à son
loyer jusqu’à la moitié de son budget, soit beaucoup plus qu’une famille
plus aisée.
Alors que
les prix des logements ont fortement augmenté depuis 10 ans, l’augmentation
des loyers n’est prise en compte dans le calcul de l’indice santé que pour
6% du total des dépenses. S’il est vrai que 7 ménages sur 10 sont
propriétaires, cette moyenne ne reflète pas la réalité de beaucoup de
familles disposant de petits revenus.
Une étude
de Philippe Defeyt, de l’Institut pour un Développement Durable (IDD) de
novembre 2007, estimait que depuis 2004, date de la mise en place du nouvel
indice des prix à la consommation, les petits revenus avaient perdu jusqu’à
400 euros sur une base annuelle, ces pertes s’ajoutant aux pertes probables
enregistrées entre 2000 et 2004 à la suite d’augmentations de prix qu’ils
subissent plus que d’autres (plus 60,4% pour les pommes de terre et 10,7%
pour le lait, par exemple) ainsi que la hausse du coût de l’énergie et des
loyers dans les années antérieures. Ces mauvais résultats, affirme Philippe
Defeyt, “plaident pour la mise en route effective de la liaison des
allocations au bien-être et pour une augmentation du net des petits
revenus.” (4)
Sans en
tirer argument pour construire des indices de mesure de l’inflation “sur
mesure”, qui pourraient aboutir à une remise en cause de l’indexation
automatique des salaires et des allocations sociales toujours revendiquée
par le patronat, les questions posées par les ménages sont une invitation
pressante à ce que les indicateurs du pouvoir d’achat – qui en définitive
participent à la mesure de la qualité de vie – représentent au mieux le vécu
des personnes afin de favoriser la prise de bonnes décisions par les
autorités publiques.
Christian Van Rompaey
(1) “Mesurer le pouvoir d’achat”, une publication du CREDOC
(Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie).
Edité à la Documentation française. Téléchargeable sur
http://www.cae.gouv.fr/ (335 pages).
(2) Formation Education Culture, Service de Formation de la
CSC.
(3) L’indexation automatique. Un mécanisme précieux, mais
insuffisant. Thierry Dock dans Démocratie, bimensuel du MOC-CIEP – 1er
mars 2008. A lire sur
www.revue-democratie.be/
(4) Indice des prix, indexation et pouvoir d’achat des
ménages à petits revenus. Lire sur
http://www.iddweb.eu
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