Chirurgie esthétique sous le soleil du Maghreb
Sea, sun and lifting : depuis plus d’un an, des agences de
voyages du Maghreb proposent de combiner tourisme et chirurgie esthétique.
Avantage : le prix, bien sûr, et le repos au soleil. Inconvénient : les risques
de complication et l’absence de confidentialité.
" Estetika Tour, Cosmetica Travel, Chirurgie Pro… : une nouvelle
génération d’agences de voyages a vu le jour en Tunisie qui combinent tourisme
et chirurgie esthétique à des prix plus intéressants qu’en Europe. Laurence, 40
ans, est allée cet hiver faire refaire sa poitrine (2200 euros, contre 6000 en
Europe) pendant qu’Eric, son mari, s’est offert une liposuccion pour 1700
euros.
Les prix pratiqués dans les cliniques tunisiennes sont en
effet généralement 30 à 40% plus bas, à trois heures d’avion de Bruxelles.
L’initiateur de cette formule est Houssem Ben Azouz, qui ne connaissait rien à
l'univers de la chirurgie avant de lancer Cosmetica Travel, la première agence
de tourisme esthétique. A son grand étonnement les patients sont au
rendez-vous; après l’opération, ils profitent de journées de repos à l’hôtel,
dans un décor de vacances, et ont le temps de se faire à leur nouvelle
apparence avant d’affronter le regard des proches.
Cette possibilité existe aussi au Maroc. A Casablanca, le Dr
Guessous, chirurgien plasticien, a ouvert son cabinet voici 5 ans. Il s’est
aussi entouré d’une équipe qui organise le voyage, depuis l’accueil à
l’aéroport Mohamed V de Casablanca jusqu’aux souks de Marrakech le temps d’un
week-end, si le patient se sent bien. «On peut nous demander n’importe quelle
prestation et nous avons ajouté ces derniers temps des séjours personnalisés :
golf pour l’accompagnant, visite des villes impériales, journée relooking,
visite culturelle de Casablanca», précise-t-il, le sourire satisfait de son
concept.
«Le prix est effectivement la motivation principale des
patients, ajoute-t-il. Ici, un implant mammaire revient à moins de 3000 euros,
avec l’hôtel en demi-pension. Vu la différence avec le prix en Europe, les
patients peuvent revenir 15 fois au Maroc!».
Tour opérateurs ou médecins ?
La démarche est cependant très différente entre le Maroc et la
Tunisie. «En Tunisie, il y a des intermédiaires entre les patients et le
chirurgien. Si vous allez sur le site des agences Estetika Tour ou Cosmetica
Travel, vous ne parlerez pas directement à un chirurgien, mais à des vendeurs
de voyage. Cela pose de vrais problèmes de déontologie et de secret médical».
Choisir une intervention de chirurgie esthétique en quelques clics de souris,
c’est possible.
Sur www.estetikatour.com, par exemple, le patient peut poser
un ensemble de questions allant des services offerts (devis, voyage, clinique…)
aux prix en passant par la météo. Un chirurgien répond, sans qu’il y ait
cependant aucune certitude sur l’identité du praticien. Après avoir choisi la
formule adéquate (en couple, en famille, VIP ou Seniors) ainsi que
l’intervention, la démarche à suivre est simplissime : il suffit de remplir un
formulaire on-line avec vos données personnelles afin d’établir un devis
contractuel et y ajouter les photos de la partie du corps à traiter. Plus loin,
le visiteur peut obtenir une première consultation gratuite et en direct après
avoir envoyé ses coordonnées. Mais rien n’est indiqué quant à la fonction et à
la compétence de la personne au bout du fil.
Sur
www.esthetique-maroc.com , par contre, c’est directement au
chirurgien que le patient s’adresse, et c’est avec lui qu'un contact
téléphonique sera ensuite pris. «Je lui demande alors de faire des analyses et
de constituer un dossier médical. La personne doit voir un cardiologue et un
médecin de famille. Pour ce dernier, c’est aussi un prétexte pour les faire
passer dans un filtre, et tester leur motivation réelle. Dans la pratique, un
mois se passe entre le premier coup de téléphone et l’opération», pour des
raisons éthiques, mais aussi de calendrier.
Des risques, que l’on dit réduits
Comme tout acte chirurgical, l’intervention esthétique
comporte des risques. Les voyagistes et chirurgiens maghrébins affirment que
ceux-ci ne sont pas plus nombreux qu’en Europe. «Certains patients témoignent
d’une appréhension à leur arrivée et ils exigent des garanties qui ne sont
absolument pas données par les chirurgiens en Europe. Afin de lever toute
appréhension, nous garantissons à nos patients une reprise totalement gratuite
en cas de résultats non satisfaisants», indique le Dr Smida, chirurgien à
Tunis.
Le risque de voir surgir des complications après le retour au
pays d’origine est la principale inquiétude chez les patients qui choisissent
de venir se soigner en Tunisie. D’autant plus qu’une augmentation mammaire, un
lifting ou une greffe de cheveux ne se termine pas une fois sorti de la
clinique. Pour le Dr Mazhoud, aussi de Tunis, «une patiente en très bonne
santé, ne présentant aucun facteur de risque, s’adressant à un chirurgien
confirmé et demandant un acte chirurgical simple ne s’expose à aucun danger.
Par contre, une patiente ayant déjà des problèmes de santé, présentant des
facteurs de risque (tabac, mauvaise cicatrisation…) et demandant à un
chirurgien un geste chirurgical long et compliqué dont il n’a pas l’habitude,
s’expose à un risque majeur». L’évidence…
Le contrat qui lie le client à l’agence ou à la clinique doit
stipuler noir sur blanc qu’en cas d’insatisfaction avérée ou de complications,
les soins nécessaires sont à la charge du tour opérateur de tourisme esthétique
ou de l’établissement médical. Mais si cette formule a de quoi plaire aux
patients disposant d’un petit budget, certains chirurgiens belges restent
sceptiques quant au suivi pré- et post-opératoire. «En Belgique, un chirurgien
proposera de voir la patiente au minimum deux à trois fois avant une
intervention pour parler de ses désirs, des résultats, des complications et
risques éventuels», explique le Dr J. D. W., à Bruxelles.
La Sécu rembourse peu
La règle de l’Assurance Maladie est simple : la chirurgie
«médicale» (dite fonctionnelle) est remboursée, celle de convenance personnelle
ne l’est pas. Mais, souligne le Dr Boly, médecin-conseil aux Mutualités
chrétiennes, c’est l’application qui est compliquée, parce que «une zone grise
existe entre les deux catégories. Nombre de dossiers concrets de chirurgie
esthétique qui nous sont soumis comportent une petite partie de chirurgie
fonctionnelle et une autre, d’ampleur variable, qui reste de pure convenance.
Nous devons tenter de faire la part des choses.»
Les enjeux de la chirurgie plastique pour la Sécurité sociale
sont devenus énormes : s’il n’existe pas de statistiques sur les demandes de
remboursement refusées, on sait par contre qu’entre 1989 et 2004, le nombre de
prestations remboursées par l'INAMI en ce qui concerne la chirurgie plastique
est passé de 21.378 à 41.465, pour des montants qui ont évolué de 2.775.698 à
10.707.318 euros. Les prestations qui ont le plus augmenté (de 1.381 à 8.278
cas pour un budget de 266.910 à 2.630.923 d'euros) sont les interventions pour
hypertrophie mammaire avec gêne fonctionnelle (les poitrines trop grosses qui
provoquent des problèmes de santé).
Face à ces coûts en hausse, les préoccupations des
intervenants divergent. Les patients ont, évidemment, tendance à essayer se
faire rembourser le plus possible. Leurs chirurgiens aussi, puisque cela permet
d’augmenter leur clientèle potentielle et le nombre de personnes qu’ils peuvent
aider. D’où, explique le Dr Boly, la tentation de beaucoup d’entre eux de faire
passer sous l’étiquette de chirurgie fonctionnelle la plus grande part possible
des coûts.
La règle est encore plus stricte pour les opérations à
l’étranger. Dans tous les cas où des soins sont prévus hors de Belgique, ils
doivent, pour être remboursables, faire l’objet d’un accord préalable des
médecins-conseils d’une mutualité. Et celui-ci ne peut légalement être donné
que s’il est impossible de trouver des soins de même qualité en Belgique. «Il
n’est pas évident que ce soit le cas pour la chirurgie esthétique réalisée au
Maghreb», précise Jacques Boly, qui ajoute d’ailleurs ne pas se souvenir de
dossier de ce genre accepté, en vingt ans de pratique.
Reste alors l’hypothèse de complications soignées en Belgique
après une opération à l’étranger. «La règle reste la même, selon le
médecin-conseil. Les complications peuvent être prises en charge par
l'Assurance Maladie mais dans certaines limites. Si, par exemple, une prothèse
mammaire placée dans un cadre esthétique doit être ôtée suite à une
complication, l'ablation sera prise en charge, mais pas l'implantation
éventuelle d'une nouvelle prothèse». La Sécu, c’est l’argent de la collectivité
; il n’est pas prévu qu’il serve à satisfaire de simples souhaits esthétiques
personnels.
Fethi Djebali (à Tunis),
Maude Malengrez (au Maroc)
et Virgine Ebner, InfoSud
La santé se mondialise
De Tunis à Johannesburg, de Bangkok à la Havane et de Budapest
à New Delhi, le tourisme de santé ne cesse de se développer. La santé se
mondialise et les patients gagnent en mobilité, fuyant les listes d’attente et
les systèmes de santés nationaux de plus en plus lents et incapables de
répondre à une demande exponentielle. Si la Tunisie a le vent en poupe
aujourd’hui à cause de sa proximité avec l’Europe, l’Afrique de Sud a été la
première à développer le tourisme esthétique. Depuis 1999, l’agence Surgeon et
Safari (www.surgeon-and-safari.co.za) vend aux Anglais et aux Nord-américains
des ensembles bistouri et safari.
Les grands voyageurs opteront pour New Delhi où les hôpitaux
sont certifiés Iso et même cotés en bourse. 100.000 patients s’y rendent chaque
année. Une opération du cœur coûte 3000 euros au lieu des 15.000 en Europe et
des 30.000 aux USA. Selon un Rapport sur le tourisme médical en Inde du cabinet
Mckinsey (1), les hôpitaux offrent un service de haut vol et le dépaysement est
garanti. Mais la première place en matière de tourisme médical revient à la
Thaïlande avec 400 hôpitaux et 400.000 patients étrangers. A Bangkok, les
hôpitaux emploient des médecins de différentes nationalités et intègrent un
service d’interprétariat. Enfin, Cuba accapare les soins oculaires. C’est le paradis
des yeux depuis quelques temps, bien qu’inaccessible pour les autochtones.
(1) "Healthcare in India : The Road Ahead" McKinsey
et Confédération indienne de l’Industrie, 2002. |