Santé
mentale
(3 novembre 2011)
Burn-out
Docteur, vous craquez?
Ce sont “des bons”. Des docteurs ou des soignants idéalistes,
perfectionnistes. Ils ont placé leur métier sur un piédestal. Jusqu’au jour
où, à force de stress et d’insatisfactions, ils tombent en “burn-out”,
c’est-à-dire en épuisement professionnel. Face au massacre, la riposte
s’organise. Il est temps…
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Claude Cortier/BELPRESS
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Ani-Raphaelle, une brillante médecin de 24 ans,
“avait tout pour elle”… avant de se suicider, en 2009, dans la cour de son
hôpital, au Canada.
Elle venait de sauver un patient en choc allergique, mais son responsable
lui avait reproché de ne pas avoir emprunté le meilleur traitement pour y
parvenir. Le suicide d’Ani-Raphaelle, une exception ? Etait-elle “seulement”
une professionnelle trop fragile et perfectionniste? Si c’est le cas, ils
sont des centaines, des milliers à être – comme elle – trop vulnérables.
Dans tous les pays occidentaux, certains médecins craquent. Ce dont ils
souffrent ? De “burn-out”. Cet état d’épuisement professionnel intense les
coupe de tout ce qui faisait leur vie : la passion pour leur métier, leurs
liens avec les patients. Souvent, ils sombrent sans appeler au secours, ou
alors très tardivement. En Belgique, un récent rapport du Centre fédéral
d’expertise des soins de santé (KCE) sur le burn-out des médecins
généralistes aidera peut-être à délier les langues à temps, et à mettre en
place des mesures pour tenter de prévenir ou de réparer le mal…
(1)
L’histoire du burn-out commence en 1974, à New-York. Un psychologue, Herbert
Freudenberger, constate que des professionnels en santé mentale développent,
au contact de leurs patients, un état d’épuisement particulier, accompagné
de plaintes pour des douleurs diverses. “Certaines personnes sont
parfois victimes d’incendie, comme une maison, rapporte le psychologue. Sous
l’effet de la tension, leurs ressources en viennent à se consumer, comme
sous l’effet de flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même
si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte”.
Un risque du métier
Depuis ce premier diagnostic, les investigations vont bon train autour du
“burn-out”, un terme, emprunté aux mondes de l’électronique et de
l’aérospatiale, qui désigne une “surcharge des tensions” ou un “grillage des
circuits”. Désormais, on sait que le burn-out est un risque qui fait partie
du métier des médecins. Mais c’est aussi une menace qui plane au-dessus de
la tête d’un grand nombre de professionnels.
L’épuisement professionnel s’installe progressivement chez des personnes
confrontées à la fois à un stress personnel qu’elles ont du mal à gérer ou à
contrôler, et à un stress “exogène”. Ce dernier naît de leurs conditions ou
situations de travail mais, aussi, pour les soignants, de la charge
émotionnelle liée à la rencontre avec les patients. Les docteurs, face à des
difficultés et à des frustrations qu’ils n’avaient pas envisagées et ne
parviennent pas à modifier, perdent peu à peu leur idéal, leur énergie, les
raisons qui les avait fait choisir une profession tournée vers l’aide aux
autres. Pourtant, ils continuent à surinvestir dans leur job, jusqu’au
moment où le déséquilibre entre leur rêve et leur réalité professionnelle
devient trop grand. Le burn-out risque alors de les happer. Derrière le Mr
Hyde, le Dr Jekill peut tenter de gagner la bataille…
Combien sont-ils à succomber ainsi ? Les études belges annoncent des
chiffres divergents. En 2001, Le Journal du Médecin avait mené une enquête
auprès de 1.500 de ses lecteurs : la moitié d’entre eux se trouvait dans une
des zones critiques qui mènent au burn-out. Dernièrement, le KCE, d’après
une estimation effectuée en 2005 par la Fédération des maisons médicales,
avançait que dix pourcents des médecins de famille seraient touchés, tôt ou
tard, par ce syndrome.
En fait, le burn-out regroupe trois états qui n’apparaissent pas
simultanément, mais s’aggravent peu à peu. Le premier stade implique un
épuisement émotionnel, caractérisé, entre autres, par une irritabilité, un
manque de motivation au travail et une sensation que tout est difficile ou
insurmontable. Le deuxième symptôme induit une déshumanisation des relations
aux autres, avec une tendance à dépersonnaliser les patients, que l’on
regarde désormais de manière détachée, négative ou parfois cynique. Enfin,
une perte du sentiment d’accomplissement personnel mène le soignant à
s’évaluer négativement, à se trouver incompétent, nul, sans utilité pour ses
patients. Bref, à perdre son estime de soi.
“Un grand nombre de médecins peuvent être touchés par l’un ou l’autre de
ces symptômes. Mais seuls deux pourcents cumulent ces trois caractéristiques
et, parfois aussi, de la dépression”, tranche Michel Delbrouck, médecin
et psychothérapeute, qui vient de consacrer un nouvel ouvrage au traitement
du burn-out (2). Ce livre est entièrement consacré à ce qui
est désormais prioritaire à ses yeux : la prise en charge des personnes
concernées. Pour parvenir à cet objectif, le Dr Delbrouck lance aussi une
formation destinée aux soignants, psychologues y compris. En effet,
assure-t-il, “face à l’ampleur du problème et à sa complexité, nous
manquons de thérapeutes capables de prendre en charge, de manière
multidisciplinaire, ce phénomène particulier et complexe“.
Silence sur toute la ligne
Bien évidemment, les docteurs en situation de burn-out font généralement de
la résistance. Ils continuent à travailler comme des fous et à lutter
désespérément contre leur épuisement. Ils ont aussi le plus grand mal –
c’est un euphémisme – à reconnaître ce qu’il leur arrive et à consulter un
confrère. Puis, à prendre les mesures qui s’imposent. “Si on commence à
se sentir happé par un processus d’épuisement professionnel, la première
étape peut consister à apprendre à gérer le stress exogène, rappelle le
Dr Delbrouck. Une formation et un apprentissage à ses propres émotions,
à son mode de fonctionnement, permettent de mieux contrôler ce stress, tout
comme la mise en pratique d’une règle d’or : savoir, enfin, dire non…”
Hélas, souvent “entièrement coincés dans leur idéal de vie
perfectionniste, les futurs “burnoutés” s’obstinent et s’accrochent, plutôt
que de déposer les armes et de réfléchir à leur état”, constate le Dr
Delbrouck. Or, s’ils ne le font pas pour eux, les médecins en épuisement
professionnel devraient y penser au moins pour les autres : diverses études
évoquent la baisse de leur qualité du travail et leurs risques accrus
d’erreurs. Le burn-out entraînerait également davantage de médications
inappropriées, une moins bonne communication avec le patient, une moindre
implication en matière de prévention, des prescriptions plus coûteuses...
Tous ces résultats étonnent cependant le Dr Delbrouck : en 25 ans, il a
rencontré et suivi beaucoup de médecins qui soignent leurs patients en
allant au-delà de leurs forces. Mais “ils le font en s’oubliant
eux-mêmes, en prolongeant leurs consultations, sans bâcler le travail”,
constate-t-il.
En tout cas, dans tous les pays, un grand nombre de médecins sous l’emprise
de burn-out finissent par abandonner leur métier : un incontestable gâchis,
à tout point de vue, y compris en ces temps de (début de) pénurie de
soignants. Comment arrêter ce massacre ? En premier lieu, comme le KCE, le
Dr Delbrouck prescrit aux médecins d’avoir…un médecin. Et de cesser de lui
demander une consultation sur un coin de table ou au détour d’un couloir !
“Il est important aussi de cultiver un réseau de confrères amis auprès
desquels on peut dire qu’on en a marre ou qu’on n’en peut plus de tel ou de
tel patient ! Je conseille également de ne soigner ni sa famille ni ses
amis. En revanche, il faut prendre le temps de s’occuper de soi et de ceux
qui comptent pour soi. Enfin, il faut oser dire : ’Je ne vais pas bien.
Aidez-moi, j’en ai besoin.’ Il n’y aucune honte à le faire, pas plus qu’à
être dans cet état. Et, surtout, à l’admettre avant que la situation ne
s’aggrave.”
Un arrêt, de grâce !
“Pour ceux qui en sont au stade trois du burn-out, l’arrêt de travail,
avec une incapacité de travail, fait largement partie de l’arsenal
thérapeutique”, confirme le Dr Delbrouck. Une telle rupture, difficile
à accepter, ne serait-ce que pour des raisons financières, offre pourtant un
véritable espoir de résoudre le problème. En effet, elle permet réellement
aux médecins de prendre conscience de ce qu’ils traversent. Ensuite, il leur
faudra avancer, pas à pas, vers une sortie de crise.
En général, lorsque ce processus est entamé, de six mois à un an restent
nécessaires avant d’envisager de recommencer à travailler. Cette reprise,
progressive, se déroule dans certains cas à des postes moins “exposés” que
ceux qui ont menés à l’épuisement professionnel. L’ensemble du processus de
“guérison” prend parfois jusqu’à deux ans. Mais on peut s’en sortir, affirme
le psychothérapeute. Et alors, dit-il, “le burn-out pourrait être un
formidable clin d’œil de la vie ou à la vie.” Drôlement cher payé quand
même. Pas vrai, docteurs ?
// Pascale Gruber
(1) “Le Burn-out des médecins généralistes: prévention
et prise en charge” - Etude menée par le KCE en collaboration avec des
chercheurs de l’ULB et de la VUB - Le rapport est disponible sur le site
http://kce.fgov.be.
(2) “Comment traiter le burn-out”- Michel Delbrouck –
Ed. de Boeck – 2011 - 35 EUR. Du même auteur : “Le burn-out du soignant”, de
Boeck, 2003.
Traitements anti-chocs |
Comment prendre soin des généralistes ?
Cette préoccupation de la Société
scientifique de médecine générale, a trouvé
un écho sous la forme de plusieurs
recommandations et pistes d’action
détaillées dans le rapport du KCE sur le
burn-out (voir ci-dessus). Parmi les mesures
envisagées, certaines concernent… les
patients ! Des brochures ou des campagnes de
communication pourraient les sensibiliser à
ce qu’ils peuvent attendre – ou pas – de
leur médecin généraliste. De là à savoir si
cela suffirait à “recadrer” des patients
anormalement exigeants, voire agressifs… |
D’autres propositions concernent les
réponses à apporter aux problèmes concrets
des généralistes. Ainsi, on évoque l’idée
d’améliorer leur protection sociale et de
leur faciliter les remplacements en cas de
maladie. Au programme, aussi,
l’encouragement, par les autorités, de la
pratique médicale de groupe ou de la mise en
réseau des pratiques solo. Un prochain
rapport du KCE se penchera également sur les
moyens d’alléger les charges administratives
des généralistes.
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// PG
Docteur Bobo
Toutes les personnes en burn-out traversent une période de perte de qualité
de vie importante, qui déborde du cadre professionnel. Elles affrontent de
nombreux symptômes physiques ou psychiques, avec des troubles d’origine
psychosomatique. Elles peuvent ainsi souffrir, par exemple, de céphalées, de
palpitations, de problèmes gastro-intestinaux ou de maux de dos. Sur la
liste, également : l’infarctus du myocarde et l’hypertension. Les risques
d’addiction à l’alcool ou à d’autres substances augmentent. Sans parler de
troubles du sommeil, d’anxiété, de fatigue, de dépression ou d’idées
suicidaires…
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