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Santé publique (4 janvier 2007)


 

Crèmes peu claires pour peaux noires !

 

Pour nombre de femmes noires, malmenées par des critères de beauté qui font de la peau claire un idéal féminin, s’éclaircir le teint est un défi quotidien. Produits irritants, illégaux et cocktails explosifs: tous les moyens sont bons pour y parvenir. Les conséquences sur leur santé peuvent être graves, et sont certainement méconnues.

Bojou au Bénin, tchatcho au Mali, kobwakana ou kopakola dans les deux Congo, les termes ne manquent pas, en Afrique, pour désigner les pratiques de dépigmentations utilisées par les femmes pour éclaircir leur teint. En Belgique, on utilise également le terme kopakola, en lingala, eu égard à l’importance de la communauté congolaise chez nous. S’il est peu connu, le phénomène existe ici aussi et la dépigmentation volontaire pose un véritable problème de santé publique. Les crèmes blanchissent effectivement la peau mais entraînent nombre d’effets secondaires qui peuvent s’avérer graves, et une certaine dépendance.

 

Modes d’emploi

Plusieurs procédés sont utilisés pour s’éclaircir la peau: du produit cosmétique (savon, lotion, crème) vendu dans les magasins spécialisés et les pharmacies au «cocktail-maison» préparé artisanalement, en passant par les crèmes vendues sur le marché parallèle.

En général, les produits dépigmentants utilisés par les Africains contiennent un ingrédient principal détourné de son usage pharmaceutique: l’hydroquinone, un dérivé de cortisone. «On utilise l’hydroquinone à 2 ou 5 % (sa concentration dans le produit) de façon médicale pour traiter des tâches de pigmentations chez les femmes qui ont des masques de grossesse ou des tâches brunes. Le produit est irritant mais provoque peu de problèmes, même à long terme», explique le docteur Michel Heenen, Chef du service de dermatologie à l’hôpital Erasme. L’hydroquinone à forte dose (10 % et plus) peut produire des tâches blanches définitives. Excepté leur achat dans une pharmacie et sur ordonnance, les produits cosmétiques à base d’hydroquinone et de corticoïdes sont interdits à la vente en Belgique.

 

Importés d’Asie ou des Etats-Unis, certains produits contenant de l’hydroquinone se vendent à la sauvette dans les salons de coiffure et autres boutiques de cosmétiques africaines, comme les lotions éclaircissantes de la marque américaine Clear Essence.

«Les femmes qui utilisent ces produits ne sont pas totalement satisfaites, explique le docteur Lubaki Kumba, ancienne Chef du service de dermatologie à l’hôpital général de Kinshasa. Un taux de deux pourcent d’hydroquinone donne des résultats, mais l’éclaircissement n’est pas très prononcé, en tous cas  pas assez pour beaucoup de femmes qui veulent obtenir des peaux plus claires dans un délai court. Elles font dès lors de la «chimie», des cocktails de produits et ajoutent à la crème au taux d’hydroquinone à 2 % de la cortisone en crème ou d’autres produits très  irritants tels que le ciment, l’eau de javel ou l’Omo bleu (la poudre à lessiver, ndlr)». Certaines femmes enduisent leur corps de cette mixture deux fois par jour et se couvrent parfois d’un film occlusif pour que la pénétration du produit soit plus intense.

 

Conséquences et complications

«La peau étant irritée, les femmes obtiennent des résultats très rapidement, mais ces produits et mélanges provoquent également des brûlures de la peau», explique le docteur Lubaki Kumba.

 

«Les corticoïdes sont utilisés pour traiter des maladies inflammatoires comme l’eczéma. Ils ont un effet direct sur la synthèse de mélanine, mais ils sont nocifs à moyen et long terme car ils provoquent une atrophie de la peau (ils la rendent plus fine), ainsi que de l’acné», explique le docteur Heenen. Ces complications apparaissent après quelques mois d’application biquotidienne de ces produits blanchissants. «Sous ces traitements, la peau vieillit plus vite et se déchire plus facilement. La cicatrisation des blessures devient également plus compliquée». Une utilisation régulière de corticoïdes peut provoquer des vergetures et des mycoses (infections dues à un champignon).

 

L’hydroquinone étant un produit photosensibilisant et phototoxique, les parties du corps enduites de crème à base d’hydroquinone, exposées au soleil risquent de se couvrir à court terme de tâches épaisses noires, voire bleuâtres, appelées ochronoses.

Parmi tous les risques invoqués, certains parlent de cancer de la peau ou de leucémie. Mais ni le docteur Lubaki Kumba, ni le docteur Heenen n’ont rencontré de tels cas durant leur carrière.

 

Cependant, l’addition de sels de mercure (poison hautement toxique) dans les cocktails artisanaux cause des dommages très graves, à l’origine d’altérations sanguines (anémie) ou rénales. Selon le docteur Lubaki Kumba, le dépôt de mercure dans le corps se traduit par une décoloration verdâtre des ongles et grisâtre de la peau. La quinacore est également un produit utilisé. Destiné à soigner les rhumatismes, il a comme effet secondaire de blanchir la peau, mais également d’affaiblir le système immunitaire

 

Sous la peau, le mythe

Le phénomène de blanchissement est connu et très répandu en Afrique, où la dépigmentation est apparue dans les années 60. En République démocratique du Congo, on parle du complexe de Mobutu (qui prenait pour épouses des femmes au teint clair). Un peu partout en Afrique, on fait référence à Mami Wata, déesse de l’eau préférée des femmes libres des villes post-coloniales, souvent représentée grande, claire de peau, avec une longue chevelure, telle une métisse.

 

La grande majorité des femmes qui recourent à la dépigmentation ressentent de fortes pressions exercées par leur entourage. Pour le docteur Lubaki Kumba, ce phénomène a été créé par l’attitude de l’homme noir, qui défend un idéal de beauté qui vise la femme métisse. «La majorité des femmes qui consultent parce qu’elles ont utilisé ces produits à mauvais escient sont des femmes mariées qui ont vu partir leur mari pour une femme à la peau plus claire. Pour le récupérer, la première chose qu’elles envisagent est de se dépigmenter». Cependant, les hommes sont eux aussi de plus en plus nombreux à se dépigmenter, à l’instar de certains chanteurs congolais qui participent, de par leur rôle de modèle, à la définition des critères de beauté des Africains.

 

Pour le docteur Gode Imbamba, médecin psychiatre et directeur du Centre Africain – Promotion Santé (CAPS), le problème de la dépigmentation dépasse la seule question de la couleur de peau et renvoie à l’image des Noirs par rapport à celle des Blancs. «Depuis la colonisation, la peau noire représente quelque chose de mauvais, d’inférieur tandis que l’homme blanc symbolise la pureté, la supériorité. Même dans la Bible, on retrouve l’opposition entre les ténèbres (noirs) et les cieux (blancs).» Cette image négative de la peau noire, véhiculée à la fois à travers l’histoire coloniale et à travers la christianisation, est encore aujourd’hui fortement ancrée dans l’inconscient collectif et explique en partie, toujours selon le docteur Imbamba, le recours à la dépigmentation.

 

Casser les clichés

Malgré tous les risques encourus, peu d’études scientifiques ont été menées sur la situation en Belgique. Le manque d’informations sur l’ampleur du phénomène et sur les risques liés à une mauvaise utilisation de ces produits tend à banaliser le phénomène, qui reste largement méconnu.

Pour le docteur Lubaki Kumba, lutter contre les conséquences des pratiques de dépigmentation sur la santé est avant tout sensibiliser les utilisateurs et non interdire les produits à base d’hydroquinone.

 

Des alternatives sont mises à disposition, comme des produits à base d’acides de fruits, que l’on trouve en Belgique. «Mais les femmes se sont vite rendu compte que ces produits ne dépigmentaient pas aussi vite ni autant que les produits contenant de l’hydroquinone. De plus, lorsqu’elles arrêtent l’hydroquinone, elles noircissent et foncent encore un peu plus qu’avant. Elles vont donc se tourner vers le marché illicite pour s’en procurer», explique le docteur Lubaki Kumba.

 

L’urgence est donc d’informer et de sensibiliser à l’utilisation des produits blanchissants avec l’aide de dermatologues, de psychologues et des pouvoirs publics. De plus, les Africaines ont besoin d’un modèle positif de femme à la peau noire auquel s’identifier.

 

Virginie Ebner,

InfoSud

 

Une histoire de mélanine

 

La peau est constituée de trois couches successives: l’épiderme, qui est la plus superficielle, le derme et l’hypoderme qui est la couche la plus profonde. Dans l’épiderme et le derme, on retrouve les mélanocytes qui sont les cellules responsables de la couleur de la peau. Ces cellules produisent à leur tour les mélanines, c’est-à-dire les pigments déterminant le teint.

 

Le nombre moyen de mélanocytes sur la surface de la peau est identique d’une population à l’autre. Par contre, il varie selon la partie du corps: il y en a moins sur la paume des mains que sur le visage. La différence de couleur de la peau est liée à la taille des organismes cellulaires que l’on appelle les mélanosomes contenant la mélanine. Plus les mélanosomes sont gros, nombreux et chargés en mélanine, plus la peau est foncée. La mélanine d’une peau noire est plus dense et dispersée dans les cellules, ce qui leur donne cette couleur plus foncée.

 

Les produits dépigmentants, comme l’hydroquinone, agissent directement sur les mélanocytes en inhibant la synthèse de la mélanine. C’est donc un processus réversible. Par contre, les éthers d’hydroquinone détruisent les mélanocytes et sont utilisés pour blanchir définitivement la peau.

VB