Santé des femmes
(3 mars 2011)
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Les
femmes qui ne sont pas mères sont de plus en plus nombreuses. Pour
certaines, l’absence de maternité est vécue comme un deuil éprouvant voire
impossible. Pour d’autres, il s’agit d’un choix mûrement réfléchi. Pour
d’autres encore, les circonstances de la vie en ont voulu ainsi. Quoi qu’il
en soit, la société persévère à considérer les femmes sans enfant en marge
d’une certaine normalité. Dans un ouvrage tout en finesse, nourri de
nombreux témoignages, Isabelle Tilmant, psychothérapeute, invite les femmes
et les couples à réfléchir à leur vécu et à s’ouvrir à une autre “fécondité”
pour s’épanouir. Rencontre.
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© Reporters |
En Marche : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
Isabelle Tilmant :
Dans mes consultations, je reçois de plus en plus de femmes de la
quarantaine en profond désarroi parce qu’elles s’attendent à devoir renoncer
définitivement à leur désir d’enfant qu’elles ont ajourné pour diverses
raisons. Parallèlement, de nombreuses mères qui me consultent disent vivre
difficilement leur maternité et être épuisées de devoir jongler avec leurs
différents rôles. Les unes idéalisent complètement la situation des autres
et vice-versa. En réalité, beaucoup de femmes sont en souffrance, qu’elles
aient ou non des enfants. Dans notre société, les femmes ont le sentiment
qu’elles peuvent tout réaliser à la fois, que toutes les portes leur sont
ouvertes. Mais dans les faits, le temps ou le corps imposant leurs limites,
elles sont obligées de poser des choix, d’opérer des renoncements parfois
douloureux. J’ai voulu mettre en perspective ces vies de femmes, transmettre
leurs témoignages, inviter à comprendre avec nuances les multiples vécus
liés de la non-maternité. Sans jugement ni moralisation. J’ai aussi voulu
reconnaître l’intensité du profond chagrin éprouvé par toutes les femmes
dont le désir d’enfant n’aboutit pas et j’ai souhaité parler de la
spécificité de ce deuil et de la manière dont on peut le transcender.
EM : Schématiquement, on a tendance à penser que les femmes qui n’ont pas
d’enfant se répartissent en deux groupes : celles qui sont en manque
d’enfant (childless) et celles qui sont heureuses de ne pas en avoir (childfree).
En réalité, il existe autant de situations que de femmes.
IT :
Effectivement. Les vécus face à la non-maternité sont très différents d’une
femme à l’autre. Pour certaines, l’absence d’enfant n’est pas véritablement
un choix. Parfois ce sont les circonstances de la vie, le destin, qui ont
conduit à cette situation alors que le désir d’enfant existe. La
contraception, les études, l’investissement professionnel, la sensation
d’avoir toute la vie devant soi, la difficulté de rencontrer un homme avec
qui construire un couple parental se succèdent et puis, un jour, ces femmes
réalisent qu’il est trop tard.
Parfois, la
non-maternité est subie parce que le corps en a décidé ainsi. Que les
problèmes de fertilité leur soient propres, proviennent de leur partenaire
ou soient cumulatifs dans le couple, ces femmes qui vivent alternativement
espoir et déception ont besoin d’être soutenues. Et lorsque leur souhait de
donner naissance à un enfant est réduit à néant, il est important qu’elles
puissent déposer leur douleur avant de s’engager dans de nouveaux projets
incluant ou non la maternité, comme l’adoption.
Et puis, il y a toutes
les femmes, toujours plus nombreuses, qui affirment que la maternité ne fait
pas partie de leur projet de vie. Elles choisissent de s’investir dans
d’autres domaines qui les épanouissent: leur métier, leur carrière
professionnelle, leurs passions. Dans ce cas, la femme est généralement plus
paisible face à son choix. Mais le refus d’enfant peut également être une
réaction à une histoire familiale. La femme interpelle alors, parfois d’une
manière agressive, celles qui prônent un mode de vie maternel, mais elle n’a
pas toujours conscience des enjeux que son choix véhicule.
EM : Vous insistez sur le fait de pouvoir différencier le désir d’enfant du
projet d’enfant? En quoi consistent ces différences et pourquoi est-ce si
important ?
IT : Le désir de
maternité semble encore considéré comme une norme largement partagée
collectivement. Pour la plupart des petites filles, avoir plus tard des
enfants paraît une évidence. Sur le plan personnel, le désir d’enfant est
empli de motivations mi-conscientes et mi-inconscientes, de contradictions
et d’émotions multiples. Il renvoie à l’enfant imaginaire, celui qui
comblera tous les désirs, qui concrétise et symbolise l’amour du couple.
Certaines femmes veulent un enfant pour suivre la tradition, donner un sens
à leur vie, pour être reconnues, se sentir aimées ou appartenir au cercle
des mères… Le projet d’enfant, lui, concerne l’enfant réel dont on va
s’occuper et qui va changer profondément la relation et la vie du couple.
Si l’on est resté dans
une vision idéalisée de l’enfant, si l’on n’assume pas ensemble les
contraintes que représente “l’éducation bénévole à temps plein” d’un enfant,
le risque est grand que les reproches s’installent et que le couple se
déchire. A l’inverse, le fait de mûrir son projet d’enfant, de se percevoir
comme ressource par rapport à son conjoint permet de mieux se préparer,
chacun et ensemble, à ce nouveau mode de vie. Combien de parents, en effet,
n’ont-ils pas eu un enfant sans réelle réflexion sur cet engagement?
Distinguer désir et
projet d’enfant peut aussi aider les femmes qui souffrent de ne pas voir
leur désir d’enfant se concrétiser. En se confrontant aux expériences de
parentalité que vivent les amis, la famille, en faisant la part entre ce qui
les fait rêver et ce qui leur pèserait dans la maternité, certaines femmes
pourront plus facilement faire le deuil de cet enfant qui ne vient pas…
EM : Pour une femme, ne pas avoir d’enfant est encore souvent mal perçu.
IT : Les enfants
sont bien souvent au centre des conversations et les femmes qui ne sont pas
mères se sentent exclues de ce groupe d’appartenance. Si une femme explique
qu’elle n’arrive pas à avoir d’enfant, cela provoque chez autrui de la
compassion, de la pitié. Si elle assure qu’elle n’en veut pas, le malaise
s’installe ou elle subit de la désapprobation. Si elle est mariée et n’a pas
encore d’enfant, sa situation suscite inquiétudes et interrogations… En
fait, il n’y a rien de plus intime que ces questions autour du désir et du
projet d’enfant, de la fertilité. A la fois le sujet envahit les
conversations les plus anodines et à la fois il reste tabou et normatif. On
est dans une société de grande liberté, de permissivité, mais en fait on se
retrouve vite hors norme. Pour les femmes qui souffrent de ne pas être
mères, les commentaires ou questionnements –souvent maladroits – sur leur
non-maternité représentent une blessure supplémentaire, un poids énorme à
supporter.
EM : Les traitements de procréation médicalement assistée (PMA) permettent
de faire reculer les frontières de la stérilité tant masculine que féminine.
Mais il s’agit d’un processus long, éprouvant physiquement et psychiquement.
Un accompagnement psychologique est-il assuré dans les hôpitaux ?
IT : Cela dépend
des établissements hospitaliers. Certaines femmes ressentent un manque de
soutien mais s’accrochent à l’idée de réussite du traitement. Pour celles
qui vivent des échecs successifs, le risque d’angoisse dépressive est grand
et l’accompagnement psychologique est indispensable. Cela ne veut pas dire
pour autant s’engager dans une psychothérapie de plusieurs années. Certaines
souhaitent un accompagnement dans le centre de PMA, d’autres préfèrent le
trouver dans un lieu neutre. Les groupes de paroles pour partager son vécu
sont hélas trop peu nombreux.
Souvent, dans le couple,
la femme éprouve le sentiment qu’elle mène son combat à elle dans la PMA,
même si l’on effectue le bilan de fertilité auprès de chacun des membres du
couple. L’homme est souvent très touché, affecté, mais il peut plus
facilement continuer à vivre “normalement”. Pour elle, comme cela se passe
dans son corps, l’absence de l’enfant la submerge. Il est important que le
couple conserve sa place, développe sa complicité, échange à propos du désir
et du projet d’enfant.
La PMA et les procédures
d’adoption sont souvent perçues comme du temps perdu mais pourquoi ne pas
l’envisager comme du temps fécond pour mieux se connaître soi, en couple,
pour développer des centres d’intérêt communs et continuer un projet de vie
à deux ?
Le choix de l’adoption
est souvent effectué après des échecs successifs de PMA. Le risque existe
que l’enfant adopté soit investi comme “la” clé qui réponde aux besoins des
parents sans enfant. Mais l’adoption sera d’autant plus envisageable par le
couple qu’il a mûri son projet d’enfant. Les futurs candidats à l’adoption
sont d’ailleurs amenés à effectuer un cheminement intérieur très riche.
EM : Faire le deuil de ne pas être mère peut être particulièrement
douloureux et complexe.
IT :
Effectivement, le deuil d’enfant est tout à fait spécifique car il consiste
à renoncer à quelque chose qu’on n’a pas eu et n’aura jamais. On pourrait
dire qu’il s’agit d’un deuil impossible, mais il est en réalité un deuil
créateur car il oblige à se créer autrement. Lorsque la femme est amenée à
renoncer à son désir de maternité, le manque dont elle parle évoque souvent
une difficulté de trouver du sens à sa propre vie. Les mères ne sont pas
exemptées de ces questionnements mais les femmes sans enfant y sont
confrontées plus fréquemment. Se mettre à l’écoute de ses propres besoins,
se faire du bien, prendre le temps de penser aux valeurs qui sont les
siennes et réfléchir à comment mettre en place des projets de vie qui ont du
sens: voilà les défis de la femme qui n’a pas d’enfant.
Il ne s’agit pas de
remplir un vide car cela ne marche qu’un temps. Je préfère parler de
“transformer le creux en abondance”, en plénitude. La créativité peut
s’exprimer de façons très différentes d’une femme à l’autre, mais chacune
possède en elle cette fertilité psychique. Cela peut s’exprimer dans les
engagements professionnels mais aussi dans le domaine artistique ou dans
d’autres sphères de la vie comme le jardinage, la décoration, l’engagement
volontaire… Certaines pourront aussi développer leur esprit maternel avec
des “enfants de cœur” : filleuls, beaux-enfants, petits voisins… Cela peut
aussi se traduire par une manière d’être avec les autres : une
disponibilité, une capacité d’entrer en relation et de transmettre quelque
chose, une qualité de présence et d’écoute, une expression et un rayonnement
bien à soi.
// Entretien :
Joëlle Delvaux
>> Isabelle Tilmant est psychothérapeute clinicienne.
Attachée à la Women’s Clinic de Bruxelles, dans le Pôle Escale en
Périnatalité, elle y offre un accompagnement autour du désir ou non
d’enfant et des questionnements que cela implique. Elle est
également spécialisée dans le suivi des couples. Elle est l’auteure
notamment de
“Ces femmes qui n’ont pas d’enfant – la découverte d’une autre
fécondité” aux Editions De Boeck
• 2010 •
196p
• 19,50 EUR. |
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