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EUROPE ( 3 mars 2005)

 

Les soins de santé ne sont pas des marchandises

 

Le 19 mars prochain, les syndicats, les mutualités ainsi que de nombreuses autres organisations manifesteront contre la proposition de directive, dite directive “Bolkestein”(1), relative aux services dans le marché intérieur. Si celle-ci aboutit, de nombreuses dispositions qui protègent aujourd’hui les citoyens, malades et bien-portants, seront considérées comme des “obstacles” à la réalisation du grand marché européen.

 

La directive “Bolkestein” s’inscrit dans le cadre de la stratégie amorcée au Sommet européen de Lisbonne (2000), dont l’objectif est de faire de l’Union Européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010. Le secteur des services, responsable à 70 % du PNB et de l’emploi, possède un potentiel de croissance et d’emploi considérable. Mais, selon la Commission, de trop nombreuses règles nationales empêcheraient les entreprises de services d’exploiter sans risque juridique toutes les opportunités du marché intérieur.

En fait, les règles établies par les différents pays, présentées comme étroitement protectionnistes, ce sont aussi très souvent, comme l’écrit Raoul Jennar, chercheur auprès de Oxfam (2) “des dispositions arrêtées par les pouvoirs publics dans l’intérêt d’une meilleure prestation du service(...), de l’accès de tous au service, des garanties fournies quant à la qualité du service, du droit au travail, des règles tarifaires, des réglementations visant la publicité. Ces “obstacles” ciblés par la Commission européenne, ce sont les dispositions arrêtées pour éviter que l’immense secteur des services devienne une jungle où se livre une concurrence débridée parce que la recherche de la rentabilité et du profit est la finalité première.”

 

La proposition de directive est très vaste. Elle n’exclut que les services déjà soumis à une législation européenne spécifique (comme les transports, les services financiers et les télécommunications). Les services publics n’échapperaient à ce projet que pour autant qu’ils soient prestés directement et gratuitement par les pouvoirs publics et que leur caractère “non commercial” soit avéré. Or, nombre de services relevant de la santé, de l’éducation, de la culture… relèvent à la fois de ce qu’on appelle aujourd’hui les services d’intérêt général et du secteur économique non-marchand.

 

En visant en premier lieu une série de services commerciaux, la directive se situe dans le droit fil de la longue marche vers la constitution d’un grand marché européen.

 

Les secteurs non-marchands traditionnels, comme les soins de santé, se sont crus longtemps peu concernés par le processus d’intégration européenne. Le Traité stipule en effet que lors de l’adhésion à la Communauté, dans le domaine de la santé publique, les responsabilités des Etats membres en matière d’organisation et de fourniture des services de soins de santé et des soins médicaux seront totalement respectées. Mais l’exposé des motifs du projet de directive “Bolkestein” ne laisse aucun doute. Les soins de santé sont bel et bien assujettis à l’ensemble de ses dispositions puisque les soins de santé, les soins à domicile, comme l’aide aux personnes âgées, sont cités comme exemples d’activités pouvant être considérées comme un service, à la suite des parcs d’attractions, du secteur de la construction, de la location de voitures… (3).

 

Scénario pour un futur incertain

Appliqués aux soins de santé, les deux principes de base de la directive, “liberté d’établissement” et “liberté de prestation” se traduisent dans des mesures à haut risque. Procédures d’autorisation, formalités excessives, exigences discriminatoires, critères économiques… devraient être éliminées par l’introduction du “principe du pays d’origine”. Ceci implique que le prestataire de soins reste soumis à la réglementation de son pays d’origine et non à celle du pays où il travaille. Le principe du pays d’origine part de l’idée qu’un prestataire de soins ne peut être soumis aux conditions de deux Etats et qu’il doit en principe pouvoir offrir ses services dans d’autres Etats membres sans devoir y satisfaire à d’autres règles. Si, par exemple, selon la législation belge, une intervention ne peut être pratiquée que par un médecin qui atteint un seuil minimal de ce type d’interventions par an (pour des raisons évidentes de sécurité pour le patient), il n’est pas certain que cette règle puisse être exigée d’un médecin étranger qui pratiquerait en Belgique. Toute une série de conditions actuellement reprises dans la nomenclature belge ne pourraient être exigées de médecins étrangers travaillant en Belgique. Au Royaume-Uni, les praticiens de l’art infirmier peuvent, par exemple, prescrire certains médicaments. L’application du principe du pays d’origine aurait pour conséquence qu’ils pourraient également le faire chez nous.

Il incombera au pays d’origine de contrôler si les activités du prestataire de soins répondent, tant dans son propre pays qu’à l’étranger, à ses propres obligations légales. Non seulement, il paraît difficilement faisable d’exécuter des contrôles au-delà des frontières, mais en outre les organes de contrôle étrangers n’y ont que peu d’intérêt.

 

Transposée au secteur de la santé, la liste des exigences légales à supprimer montre à quel point les Etats verront leurs marges de manœuvre considérablement réduites. Elles peuvent concerner la fixation de tarifs maximum par les conventions collectives, les normes d’agrément qui imposent des exigences minimales, le caractère non lucratif requis du prestataire de soins, les exigences réservant l’accès à certaines prestations à des prestataires ou établissements de soins spécifiques…

 

On touche ainsi aux principes fondamentaux de notre système de santé, qui sont le résultat de négociations et d’équilibres subtils entre les prestataires de soins, les pouvoirs publics et les mutualités. Cette situation crée une profonde incertitude juridique, là où précisément on voulait rassurer ! Ceci risque d’entraîner de fait une discrimination entre les prestataires de soins qui s’établissent à l’étranger et les prestataires nationaux, à moins qu’ils ne tentent d’y échapper en s’installant à l’étranger … pour exercer en Belgique !

 

Un raisonnement trop simple

La philosophie de la directive part d’un raisonnement trop simple, à savoir que la concurrence et la libre circulation des services conduisent automatiquement à l’efficacité, à la qualité et à la baisse des prix. L’Europe considère a priori les réglementations nationales avec défiance, soupçonnant que celles-ci ne cherchent qu’à mettre certains groupes à l’abri des mécanismes du marché. Cette philosophie est diamétralement opposée à la politique conduite aujourd’hui dans de nombreux pays européens dans le secteur de la santé où les pouvoirs publics s’efforcent, par le biais de mesures limitant le prix et le volume et de normes de qualité imposées, d’offrir à tous des soins à des prix acceptables.

En fait, il manque surtout un cadre de contrôle européen qui ne soit pas purement économique et qui tienne compte aussi de la solidarité et de la justice. “La Commission en oublie l’ordre historique des choses en matière de construction du marché européen, affirme Arnaud Zacharie, directeur du Centre national de coopération au Développement. La libéralisation ne peut devancer l’indispensable harmonisation garantissant l’encadrement et la régulation publique du marché intérieur.” (4)

 

L’accès à des soins de santé de qualité pour chaque citoyen doit être reconnu d’un bout à l’autre de l’Europe comme un droit fondamental. Les initiatives politiques européennes devraient être davantage harmonisées, notamment les règlements européens en matière de mobilité des patients, la reconnaissance des qualifications professionnelles et la protection sociale. Mais on doit aussi reconnaître les services d’intérêt général de sorte que les services sociaux, culturels et éducatifs reposant sur une base non commerciale ne soient pas considérés comme des services marchands.

 

Christian Van Rompaey

 

 

(1) Du nom de l’ex-commissaire européen hollandais qui l’a rédigé.

Lire le texte complet du projet : www.europa.eu.int/comm/internal_market/fr/services/services/index.htm 

(2) Voir sur l’Internet www.urfig.org 

(3) Pour une analyse complète, lire l’article de Sandra Derieuw du Département Recherche et Développement de la Mutualité dans MC-INFO (février 2005). Voir sur l’Internet : www.mc.be (rubrique MC-informations).

(4) www.cncd.be

 

 

 

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